Cette fois elles sont devant moi, en vrai ! Les 24 000 iles de l’archipel de Stockholm. Le vent est inexistant ce matin, il y bien longtemps que ce n’était pas arrivé. Je me suis réveillé un peu plus tôt et en ai profité pour partir en avance, je me méfie toujours des entourloupes du Sud ! Calme plat, pas une ride, aucun air sur le bout des oreilles. En file indienne trois monstres de ferry embouquent le chenal, trois montagnes de ferraille. Il y a quelques années, l’un d’eux avait subi l’une des plus terribles tempête de la mer Baltique. L’Estonia restera pour toujours un funeste souvenir. Au bout de trois heures j’atteins enfin l’île de Blidö, alors que je m’arrête quelques secondes pour croquer une barre de céréale, un souffle me fait sursauter. A quelques centimètres du safran d’Immaqa une grosse bouille avec des moustaches, nous espionne. Je suis tellement surpris de cette visite que j’en reste bouche bé. Grosses narines dilatées, il nous regarde un dernier coup et sonde pour nous quitter. Le cinquième en 1000km, j’aurai pensé beaucoup plus. A peine arrivé à quelques encablures de la grande île, un vent de Sud-Est se réveille, ouf nous sommes passés. Je cabote et constate ce que je pressentais depuis longtemps, des maisons qui se touchent à l’infini. Sur 10 km de côtes, pas un endroit pour accéder. J’avais prévu le coup et si je suis passé par là, d’une, c’est pour le voir de mes propres yeux, deux, pour arriver sur un chapelet d’îlots où je trouverai bien par trouver un espace convenable pour bivouaquer. J’ai constaté que devant chaque maison des kayaks étaient entreposés, connaissant un peu plus le peuple suédois, je suis convaincu que des
coins pour bivouaquer seront accessibles. Je scrute, les îlots quand une anse se dévoile, j’espère qu’elle n’abrite pas de maison. Rien que du gré et des roseaux. Un caillou un peu plus plat que les autres va me servir de quai. En m’extirpant du kayak je dois remboiter ma prothèse puisque je navigue sans, un exercice de cirque car en plus de la gymnastique, les cailloux sont recouverts d’algues vertes bien glissantes. Je sens que c’est le bon coin, de l’herbe tassée me fait comprendre que quelques pèlerins sont déjà passés par là. Trente mètres pour trouver une petite prairie bien plate avec des restes d’un ancien foyer, c’est bon les enfants, terminus, tout le monde descend ! Le même train-train et me voilà sur l’une des milliers d’îles du fameux archipel de Stockholm. L’ambiance n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu jusqu’à présent. Entre hier et aujourd’hui j’ai croisé des centaines de bateaux, nous sommes à la fin des vacances, la reprise est prévue en fin de semaine pour tous les suédois, alors ils en profitent. Jusqu’à Oregrund j’ai du croisé une cinquantaine de bateaux, peu pour une distance de 850km en été. La population au nord est de 9 habitants au Km2, la plus faible d’Europe, ici elle est de 233 ! De mon nid d’aigle je peux écouter encore en paix les histoires que le vent veut bien me conter : Il était une fois, il y a bien longtemps, un corsaire qui naviguait sur un petit bateau rouge et noir. Il ne parlait pas la même langue que les vikings mais savait causer au vent et aux oiseaux. Son ami et second dont le nom a été caché par la légende a sauvé une princesse du Nord de la noyade, ils la prirent avec eux à bord et poursuivaient leur route vers le sud.
PS : Norra et Jo Zef sont tout émus de cette histoire, elle leur rappelle quelque chose.
A pluche !
L’archipel de Stockholm en kayak.
7 août 2012Le millième kilomètre…
6 août 2012Le processus de récupération est en marche, malgré encore de bonnes heures de kayak je sens que je me refais une santé. Le vent contraire ralenti hélas ma remise en forme mais le stress en moins de la haute mer me permet de mieux dormir et surtout de ne plus avoir à gérer autant de pression. J’ai augmenté en grosse quantité la prise de protéine en me forçant à manger plus et mieux. Hier soir j’ai englouti 500gr de viande de renne, deux œufs, et quelques filets de harengs. Je vous pris de croire que ça cale, mais mes muscles en ont un grand besoin. Ce matin j’ai de suite senti la différence, ma cadence était plus élevée sans me fatiguer pour autant. Une grande ligne droite de 20km me fera atteindre mon dernier cap avant de pénétrer dans l’archipel de Stockholm. C’est étrange, je suis impatient et en même temps je réalise que ce seront mes dernières heures de kayak sauvage. Le vent annoncé ne me laissera pas passer au promontoire, j’en suis sur. Je suis en pleine forme, mes douleurs aux cervicales et lombaires me laissent tranquille, je peux vaquer à mes rêveries. Je traverse encore un fjord mais le vent traversier ne nous met absolument pas en danger, les quelques vaguelettes qui lèchent Immaqa nous rappellent de sacrés souvenirs. Je croise un kayakiste qui doit faire de la compétition vu sa cadence de pagaie et sa carrure, il me demande d’où je viens. Lulea ! « Waouh, is a very long trip ! » Il réfléchit et me lance : « You are the french man with one leg ? » « Yes I am ! » Doucement je réalise que ce que je viens de faire. La traversée du golfe de Botnie dans le sens nord-sud est une première mondiale, les kayakistes suédois en causent ! Je suis perplexe sur le côté exploit, je le prends plutôt comme une longue séance de coaching de vie, d’humilité. Les vikings qui sans carte ont exploré cette région il y a quelques siècles de cela ne le faisaient pas avec l’état d’esprit d’exploit, c’était la découverte de nouvelles terres qui les intéressaient. Je me sens plus proches de ses valeureux marins que d’un nom dans un livre des records. J’ai fait un long voyage intime avec une mer inconnue qui m’a souvent botté les fesses et remis les pendules à l’heure. Au bout du cap je vais consommer mon millième kilomètre !!! Un tout petit morceau de navigation sans vent et quand je prends route au Sud-ouest, le ventilateur est à la vitesse maximum. Je n’ai plus envie de me bagarrer contre ; deux personnes sur les rochers me regardent lutter face au vent, je leur fait signe de la tête, je ne peux plus lâcher ma pagaie. En face de moi une petite île, 1600 petits mètres et je sais que mes anges gardiens vont me dénicher un vrai abri pour kayakiste heureux d’être tout simplement vivant. Le caillou n’a aucune habitation et semble avoir quelques accès. Je beach Immaqa et part à la recherche du coin idéal. A travers un tumulte d’arbres morts, je me retrouve de son autre côté. Sous une belle forêt une prairie me tend ses bras. Je contourne avec mon embarcation l’île et monte doucement le camp. L’habitude est en place. Je fouille de la main le sol qui va recevoir mon dos et m’applique à virer tout corps étranger. Je dresse la tente et va de suite chercher mon sac à dos étanche où sommeillent nos amis Norra et Jo Zef, je mets la radio pour égayer le coin et m’affaire à établir un coin repas. Encore ce soir je suis ce nomade errant qui vit sans toit mais avec beaucoup d’émoi. Ce millième kilomètre je le dédie à ma compagne Véronique, sans elle tout cela ne serait pas possible. Seul le présent est un cadeau ! A pluche !
PS : Pour information vous pourrez lire un très bel article dans le mensuel Lonely Planet magazine où Sophie Jovillard, la présentatrice de l’émission « Échappées belles »sur France 5 présente Frank suite à sa rencontre lors de son passage en corse.