100 jour que j'attendais ce moment...
Ce matin je ne fais pas le mariolle, je dois traverser le massif des Apennins ligure avec mon poids-lourd de vélo ; qui vivra verra !Je suis motivé, derrière la grande bleue m’attend. Je suis au fond d’une vallée très encaissée, autoroute, train et route nationale se partagent l’étroit lit de la rivière traversant les villages, un vrai capharnaüm. Un mémorial me rappelle que c’est ici qu’a grandi le champion Fausto Coppi, la route lui rend hommage. Je redoute encore plus la journée, il est rare qu’un grand cycliste s’entraîne sur du plat. Les montagnes rendent la vallée obscure, la route est jonchée de détritus, ce n’est pas un coin pour romantique. Je suis agréablement surpris, les lacets ne sont pas violents et j’arrive à garder une bonne moyenne. Je suis pratiquement seul, le gros du flux routier est sur l’autoroute qui dessert Genova. Au bout d’une heure trente j’attaque le col, une pauvre bosse de 2,5km/h que j’avale à 11km/h, je crois que je suis motivé !!! En haut, le village de Passo dei Giovi, un magasin a écrit en gros sur sa devanture : Chi cerca trova, (qui cherche trouve) ! Un clin d’œil de plus. Je cherche et je trouve à donner mon meilleur, à petit pas j’avance. J’enfile mon coupe vent couleur poussin valaisan et fonce vers la mer. Je suis prudent mais c’est tout de même grisant que de savoir que le Mare Nostrum est à quelques encablures. J’encourage, tous les cyclistes qui grimpent le massif à l’inverse de ma descente, je suis aux anges. La chanson Bel Ciao me vient en tête, je me mets à la chanter à haute voix, je n’ai pas le talent d’Yves Montant mais ses paroles me portent encore plus. Je me surprends à sangloter en même temps que je roule en roue libre, yes i’m a free man.
« Una mattina mi son svegliato, o bella, ciao! Bella, ciao! Bella, ciao, ciao, ciao! Una mattina mi son svegliato e ho trovato l’invasor…//… È questo il fiore del partigiano morto per la libertà!» »
A ma grande surprise j’arrive au centre de Genova seulement après deux heures de route, j’en avais prévu au moins quatre! Je m’autorise un arrêt café dans un bar au hasard où je peux mettre mon vélo à vue. Un expresso bien serré et une brioche, je l’ai méritée. La serveuse est curieuse, mon barda, ma dégaine, mon accent… Je lui raconte mon périple, elle me demande si à part l’italien je parle une autre langue. Drôle de question ! Elle entame la conversation en espagnole, je ne la maitrise pas comme la langue de Dante mais j’essaie de comprendre où elle veut en venir. Equatorienne elle a émigrée en Italie, plus précisément elle est née à Guayaquil. J’y ai posé mes pieds il y bien longtemps, à l’époque je pouvais dire mes pieds ! Le voyage en train jusqu’à Quito restera gravé à tout jamais dans mes souvenirs. 12 heures de montée dans les Andes avec une micheline tellement bondée que les voyageurs font le voyage sur le toit du wagon. Puis les Galapagos encore tranquille, il y a au moins trente ans. Liliana m’offre le café, une fois de plus en quelques minutes la magie du voyage a opéré… Je traverse le grand port ligure, un vrai bonheur. Je connais par cœur le coin, j’y ai fait escale à maintes reprises avec mon Cabochard, j’y ai été marin au pair pour une belle italienne. Ne vous inquiétez pas Véro connais Lucia, dans mon premier livre je lui rends hommage. Grâce à elle, j’ai compris que je pouvais réaliser et vivre mes rêves. Elle, la piémontaise, est venue dans le monde macho de la voile professionnelle une figure de la régate. Elle fût élue skipper de l’année par les journalistes des magasines spécialisées en voile, italiens. Pour un hiver j’étais l’homme à tout faire, elle faisait partie de l’équipage féminin qui avait gagné la course de l’Europe, contre des : de Kersauson, Parlier et autres pointures… De son côté Autissier, Chabaud, Arthaud et bien d’autres formaient un équipage de charme mais de choc… Je reprends ma « pédalerie » le cœur léger. Comme tous les grands ports du monde, la foule est multiraciale, en quelques pas on change plusieurs fois de continent. Je suis prudent, la conduite ici est périlleuse, mais j’ai confiance. Je quitte la mégapole par le lieu où se déroule annuellement le salon nautique, il y a bien longtemps le Cabochard avait dû user de tous ses charmes pour empêcher le sacrilège de l’échanger contre un plus gros en « plastoque » ! Je pousse vers le Sud Est, au loin le promontoire de Portofino, il me coupe la route je vais devoir le gravir. 37’ en plein « cagnard » à 6km/h. En bas le cap de San Fruttuoso où une statue de Madone est fixée par -18mts, de l’Europe entière les couples de plongeurs viennent s’y marier, j’y ai fait des bulles. Vous voyez je n’ai plus le temps de déprimer…
Aujourd’hui cela fait 100 jours que je me suis élancé en kayak depuis l’océan Arctique en Norvège pour arriver en Méditerranée, 100 jours de doute, de volonté, de rire, de pleure, de partage, de solitude. 100 jours pour crier à tue tête : Yes i’m a free man.
PS : Je viens de faire gouter aux mascottes une spécialité locale, la farinata. De Nice à Menton et même à Bastia, elle porte un autre nom, on appelle cette galette de farine de pois chiche, la socca… Un vrai régal, mais un poil pesant pour le cycliste en effort !
A pluche !