Hier soir, le vent du sud a forcé des gens à s’abriter ici. Ce village abandonné est un bon abri pour les marins de passage. Une famille m’invite au café, la jeune fille de 18 ans parle couramment anglais, elle sera ma traductrice. Son grand-père Lars est né ici en 1948, il y a vécu jusqu’en 1963, je n’étais pas encore né. J’essaie de comprendre la vie ici, dans ces temps reculés. Mais l’homme du sud que je suis commet des impairs. Innocemment, je demande quel était le métier de son aïeul à cette époque. Du haut de ses 18 ans, elle me met face à mon monde douillet et surfait du sud! Mon grand-père, comme tous les hommes à cette époque, était chasseur, pêcheur, cueilleur. Ils n’avaient pas le choix, le taux de mortalité était immense… Prends toi ça dans les dents « pôvre » rigolo que je suis. Et oui à cette époque, les eskimos avaient la vie rude, leur vie ne dépendait que de leur chasse… Le vieux Lars nous amène, sur une dalle, ici avant c’était sa maison où il est né. Derrière, juste en haut de la butte, son père et sa mère reposent au cimetière… Quand je demande à Pilunnguag ce qu’elle voudra faire plus tard, là aussi elle me scotche. Plus tard, je veux donner de mon meilleur… Waouh, 18 ans à peine… Puis elle poursuit sur son fiancé qui en ce moment se montre très fort pour elle, car dans le tsunami au nord d’Uummanaq, c’est sa famille qui a disparu. Elle tourne la tête pour fuir mon regard, je suis touché. Son jeune frère Miki lui, est un jeune de maintenant, lui son truc sera d’ouvrir un restaurant à Ilulissat pour les touristes. Loin de sa sœur, il me demande si je sais que la mort de Mickaël Jackson est un fake, en vérité il vit caché. Je lui demande d’où vient cette info, il me répond : Facebook. Mon Dieu, quelle fossé entre ce gamin et son grand-père, en moins d’un siècle, ce peuple est passé de la survie à notre monde virtuel…
Ce matin, je remet le panneau solaire 65 wts en fonction, zut et triple zut il ne marche pas de nouveau. Je me prends la tête, puis à un moment, je baisse la garde, la journée est belle et ce n’est pas la foutue technologie qui va me pourrir ce moment. Je vais bien trouver le temps de réparer, sinon d’ici 10 jours, plus de journal de bord, mon PC a des batteries que seul ce panneau peut charger. Pour le reste, le petit de 25wts suffit largement. Donc, me voilà parti en exploration. Là, sur ma carte à 4km, se trouve un fjord dans lequel se jette une rivière, au dessus une série de lacs, Jo Zef me souffle que quelques truites pourraient s’y cacher. J’ai toujours la boule au ventre de laisser tout mon bivouac seul et de partir pour la journée, mais le coin est protégé et j’ai tout bloqué au cas où encore un gros coup de vent passerait dessus. Au bout du fjord somptueux, deux bateaux au mouillage, des tentes sur la plage. Là j’ai la réponse, c’est un coin à truites. Des gamins courent vers moi à mon arrivée, des moucherons par milliards, des nuages entiers, eux bien sûr ne portent pas de moustiquaire ! Un aluu réglementaire et sans perdre de temps, je prends une sente pour trouver enfin le premier lac. Le même décor que si on était dans les Alpes à 3000 m d’altitude, à la différence qu’ici on est en bord de mer. Au premier lancer, une truite, une deuxième, une troisième… Et dire que je ne suis pas un bon pêcheur ! Le lac regorge de poissons et pour le bonheur des groenlandais, ces lieux sont le garde manger d’un hiver long et rigoureux…
En milieu d’après midi, je suis de retour au village abandonné, seul au monde, personne, même pas le vent. Mon bidon de 5 litres est plein. Dans la vieille cabane que je squatte comme coin cuisine, je m’improvise un coin douche et laverie… Ce soir au menu crêpes aux truites mais sans les crêpes !!!
Demain, comme chaque lundi, on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à 12h40.
A pluche