Une pluie mêlée de neige a martelé le bivouac toute la nuit, mais ma première préoccupation est la glace ! A peine réveillé, je grimpe une colline pour deviner ce qui m’attend à l’ouest. Encore pas mal de glace mais plus éparpillée, du moins je l’espère. En moins d’une heure tout est démonté et mis en place à bord d’Immaqa. Toujours la boule au ventre nous nous échauffons : les mains bien qu’elles aient pris du volume ainsi que les bras, rien n’est douloureux. Le seul hic, une fois de plus c’est mon moignon. La position assise les pieds dans le palonnier qui dirige le
gouvernail plus les portages à chaque départ et arrivée, lui ont causé un début d’ulcère qui ne me plait guère… A voir !
Les heures qui me mènent vers le village de Saqqaq (prononcé Sarqaq) sont en labyrinthe mais avec beaucoup moins de pièges que les jours précédents. La première plage côté est est couverte de moignons d’icebergs, l’accès est impossible. En plus de cela je n’y vois aucune embarcation. Juste après le promontoire du village, enfin, je trouve le spot parfait, une échancrure sableuse et des dizaines de bateaux au mouillage. A peine beaché, un groupe d’enfant court vers nous. Aluu, Kranoripit ? Alungila … Et là les gamins croient que je parle leur langue et je me retrouve noyé de questions que je ne comprend pas du tout… Ils m’amènent à la supérette et ne me lâchent plus, leur gentillesse me touche beaucoup. Malgré mes principes et sans qu’ils me demandent quoi que ce soit je leur offre des sodas et des paquets de chips… A la sortie ils s’envolent comme une volée de moineau pour le répéter à tout le village. Les anciens viennent tous me remercier, je suis très gêné… Un tout petit m’interpelle et sort tout doucement de sa poche un « truc », il me le tend… Il m’offre une de ses billes. J’ai les yeux qui piquent, il m’a offert ce qu’il avait de plus cher à son cœur, quel cadeau précieux…
Mais je reprends la mer, je veux voir si là bas l’océan est moins encombré. Encore deux trois plaques et puis enfin l’horizon s’offre à nous, ouf. La brise se met au sud est, cela nous pousse en douceur. Là bas, le cap Kûtsîarfik, je ne sais pas ce qu’il peut avoir derrière. J’y espère un bel abri pour Immaqa et les 3m² habitables nécessaires au montage de la tente. Accueilli par des sternes arctiques, je ne peux qu’imaginer leur voyage. L’été austral, elles sont en Antarctique, puis elles prennent leur grand vol pour le Groenland. Souvent en fin d’hiver je les vois faire relâche dans des étangs en Corse. Leur parcours est de l’ordre du miracle. Donc le cap doublé, je crois m’évanouir, une plage de 6km de long s’offre à nous. Un sable argent spécialement mis là pour nous les pauvres nomades du grand nord. En boitant bas, je décharge le matériel. Par fainéantise ou laxisme, je ne fixe que l’amarre de proue sur mon bâton de marche planté dans le sable. La vue est fantastique. Devant nous, à quelques encablures, un Iceberg d’au moins 15 m de haut nous observe. Alors que je rédige mon journal de bord, il se met à se désintégrer, il explose en morceaux. Je ne sais pourquoi mais pour éviter que mon moignon n’enfle, j’ai gardé mon manchon. Je l’observe dans son mouvement de rotation quand soudain je vois une série de vagues arriver sur Immaqa. A la deuxième vague, le ressac l’embarque au large. Ni une ni deux en simple slip, j’emboite ma prothèse et me jette à l’eau jusqu’à la taille pour le choper au vol. Ni mal au moignon ni même froid dans une eau à deux degrés… Décidément encore une leçon de vie…
A pluche