Mer Méditerranée grande déesse destructrice d’insouciants. Hier après-midi sur la plage de Marino di Campo absolument ouverte à la grosse houle du sud, la bannière rouge est de mise. Faut-il un drapeau pour prévenir le danger ? Hélas, je constate que oui. La saison est sur la fin mais les touristes sont encore en recherche de bain de mer. Les jeunes sauveteurs sur leurs miradors veillent, moi je scrute la mer en quête de réponse sur mon proche futur en kayak. Par deux fois en deux heures les jeunes sauveteurs vont risquer leurs peaux pour sortir de la houle des abrutis… Les déferlantes, le vent ne cessent depuis mon arrivée et météo France me laisse présager que du mauvais pour plusieurs jours. Le 30 septembre la lune sera pleine, normalement elle garde pendant un cycle de plusieurs jours le temps qu’elle a eu cette journée là. Ce n’est pas de la science mais une observation qui n’engage que moi, les physiciens me mettraient un mauvais point pour cette affirmation. Donc si j’analyse mes calculs personnels, plus la lecture du graphisme météo de l’Atlantique qui permet d’anticiper les prévisions du bassin méditerranéen, je suis « marron » !!! Non Jo Zef pas glacé, ce n’est pas la saison. J’ai trois alternatives : traverser quand même avec tous les risques que cela engendre, trouver un gros ferry, ou alors attendre une bonne dizaine de jours. Depuis un moment je pense à cette traversée, elle n’est pas longue, seulement 54km, mais juste assez pour être très engagée. Je suis né en Méditerranée et je connais ses humeurs par cœur. Sauveteur en mer pendant de longues années je suis allé par toute condition météo chercher des inconscients. Je me vois mal déclencher ma balise satellite et venir me faire sauver à mon tour par des collègues qui m’ont vu maintes fois faire la morale aux rescapés. Cette nuit, Steve qui a repris la logistique Arcticorsica, va arriver avec le fourgon, la journée suivante doit être consacrée au transfert vélo, kayak. J’ai pris une décision, je vais amputer mon raid de la traversée de l’île d’Elbe à la Corse. Je vais embarquer avec Steve et nous allons rejoindre Bastia par ferry. Personne n’a osé me conseiller cette solution mais j’ai senti beaucoup d’inquiétude dans les non dits. Pendant les 1100km de kayak en Botnie j’ai eu pas mal de chance de m’en sortir indemne, j’ai souffert et par moment j’ai dû décupler mon énergie pour m’en sortir. J’ai été surpris de voir la réaction de Véro quand en Suisse je lui ai bêtement passé quelques extraits de vidéos tournés in-situ, elle a explosé en larmes de stress. D’y être je ne me rendais plus trop compte du danger, pourtant il planait au dessus de ma tête. J’ai parcouru des milliers de kilomètres contre vent et marée et une petite surestimation de ma part pourrait faire capoter le projet. Je ne m’excuse pas, je ne dois rien à personne, je raisonne à haute voix. Ce matin j’ai pris mon vélo pour me rendre à cala Tombe, la plage d’où j’ai programmé de partir. Waouh les copains, c’était beau mais pas pour un kayakiste et ses mascottes. Le vent du sud était tellement chargé d’humidité que je n’ai même pas pu voir ma belle île, rien que de la brume. Je peux vous dire que j’ai cogité, pendant 3heures je suis resté face au Mare Nostrum. Houle de 2 à 3 mètres de sud, vent de Sud-est et une rotation du tout vers le sud. Un voilier de location est passé, il était pourtant en fuite (vent dans les fesses), mais il se faisait sacrément secoué. Voilà une décision bien ficelée, vendredi matin je remonterai Immaqa sur une plage de la Corse orientale et reprendrai ma route pour le sud. Houle, tempête, je serai en sécurité sur les cotes Est de la Corse. Yes i’m a free man.
« Il ne sert de rien à l’homme de gagner la lune s’il vient à perdre la terre »
François de Mauriac
A pluche !