Ici les nuits ne sont qu’excuses au soleil pour se cacher derrière un iceberg afin de mieux surprendre le rêveur d’un monde meilleur, je vous le promets au pays d’apoutiaq il paraît plus que parfait. La matinée sera consacrée à remplir la cambuse car notre point de ravitaillement sera fermé pour le week-end. Les jeunes du village nous ont adopté, dans l’axe de la salle de sport nous sommes interpellés, comment refuser leur appel ! Les enfants sont d’une éducation déconcertante, ils savent jouer avec beaucoup de respect, Pascal a encore droit à sa salve d’autographe, alors que les plus audacieux explique aux nouveaux mon p’tit truc « différent ». La barrière de la langue est balayée par les sourires et les regards complices, ma prothèse intrigue, ils veulent comprendre le fonctionnement de ce bout de vie perdu. Ni une ni deux, les tabous sont mis au congélateur, je vous prie de croire qu’ici il est grand, et je dénude « Magui- bol » ! Ils veulent tous la soupeser, la sentir, les plus petits y plongent les jambes… Les rires inondent la salle, soudain, ma mémoire se décongèle et je déniche au fond du sac une pile de carte postale de l’association, tous en veulent… La journée pourrait s’arrêter là mais le grand beau temps qui inonde la bande des éclopés nous tente pour une nouvelle immersion. L’équipe de tournage de CCTV ne nous lâche plus, ils ont annulé leur vol retour pour rester avec nous, Yu Jiang la directrice de projet est très attachante et sait nous convaincre. Un drone va faire parti des images de l’après-midi, le vent a certainement rejoint d’autre latitude, il nous a confié son copain le soleil pas trop habitué à la vie polaire. La préparation du matériel semble plus simple, mais la concentration doit être à son plus haut niveau, Thierry va tenter « l’impossible » !!! Le protocole est toujours le même, avec Niko, nous nous immergeons en premier pour pousser les « glaçons » puis une fois à bonne distance de sécurité, le Dolfinu s’élance avec aujourd’hui un petit détail : « il sera habillé que d’un maillot » !!! Pour ce défi hors norme ce n’est pas de l’improvisation, depuis plus de 6 mois, tous les jours il s’est entrainé à nager en simple appareil dans des rivières hivernales corses. La tension monte d’un cran, hier au briefing de la séance de nage j’ai réexpliqué en détail les risques encourus, tout le monde va avoir sa tache en cas de « soucis », Pascal, Ange, Alex, Patricia et même notre chanteur Francis seront là pour le plan B. Accroché à un iceberg je donne le départ, Thierry glisse dans les entrailles d’un océan à une température vertigineuse :-1,6°. Ma crainte est double, le premier est la blessure par un bout de glace tranchant, hier ma combinaison de 7 mm a été lacéré en une fraction de seconde, la seconde est la syncope brutale qui entrainerait un coulé à pic funeste. Avec Niko nous sommes sur le qui vive, rien ne doit être laissé au hasard. Thierry ondule, vibre il devient élément, les Dieux des glaces et des blizzards semblent vouloir le protéger. La distance entre chaque point de sécu est de moins de 70mts et à chaque fois qu’il vient à ma rencontre nous échangeons quelques regards pour vérifier sa lucidité, il semble parfait mais au bout de 18’, il prend la décision de sortir. Je suis bluffé d’une telle aisance, Thierry est entre les mains des copains, je dois m’en remettre à quelques elfes arctiques. Un bel immeuble de glace me tente, le long de sa peau marbrée je glisse dans les entrailles de la mer la plus dur au monde. Le sol est meurtri, il comporte les stigmates des géants de glaces qui trainent leur mort programmé. Une alcôve semble m’accueillir, tout est bleu vert, je stoppe ma respiration pour entendre les râles d’un iceberg agonisant. La journée repasse en boucle, merci mon Dieu de nous avoir offert toute ses souffrances encore aujourd’hui j’en ai compris les enseignements.