Invités de marque
6 septembre 2017Malgré les -5° de ce matin, l’appel du large est plus fort que tout, pourtant le souffle du nord me demande beaucoup de courage pour sortir de la maison si bien protégée de l’avannaa (vent du nord). Seul au monde, je me régale, la houle est dans le sens du blizzard mais mon sillage me mène vers un fjord plus ou moins protégé. Des icebergs vont me servir de brises-clapot naturels, derrière je n’aurai qu’à dérouler ma ligne à morue pour faire les courses. Les premières prises sont trop petites mais la troisième sera la bonne. C’est fou comme ça peut-être facile ici de remonter du poisson !
Dans une échancrure en face de mon étrave, la mer est complètement plate, c’est là où je vais me servir en oursins. Mais une autre surprise m’attend, la mer commence à geler ! Des plaques de glace ressemblant à des nénuphars se forment tranquillement. En coupant le moteur, un gazouillis se fait entendre, l’océan Arctique commence à se figer. Comme un gosse devant un parc d’attractions, je suis aux anges, la vie ici est fantastique, jamais une journée n’est égale à l’autre. Pendant une bonne heure, je suis au milieu de ce décor si peu banal pour le méditerranéen que je suis. Puis je reprends mes esprits, la cueillette des oursins est au programme du jour. Hélas, je n’ai pas de griffe à oursins mais avec une cuillère à soupe bricolée, fixée au bout d’une longue perche, j’arrive à remonter quelques spécimens. En Corse en hiver quand la saison est ouverte, le froid m’a quelquefois demandé beaucoup de détermination mais ici, tout en ayant les mains dans l’eau depuis plus de deux heures, je ne souffre pas du tout. Je réalise à quel point le corps peut si rapidement s’adapter. Chaque pièce est remplie à bloc, je n’ai jamais vu ça et le gout est vraiment identique aux oursins que je connais chez moi.
Le vent se renforce, il est temps de rentrer. Au petit ponton flottant, où tout le monde s’amarre de manière anarchique, le bateau d’Ole accompagné de Siiva est là. Ce sont les charpentiers qui retapent le toit de la maison communale. M’entendant arriver, ils m’invitent au kaffemik, au chaud dans leur vedette. C’est l’heure du «spuntinu», pain, beurre, fromage et charcuterie avec des litres de café pour prendre de
l’énergie, on ne rigole pas avec le casse-croute, Jo Zef le confirme !
Avant de partir, je leur rappelle que pour le déjeuner ils seront mes hôtes et que c’est pour eux que j’ai fait les «courses». A midi pétante, ils rentrent à l’abri du vent qui s’est renforcé. Au menu, omelette d’oursins et morue à la provençale. Bien qu’en chantier, le coin repas est sympa et avec un peu de chance, j’ai réussi à me procurer du coulis de tomate et de l’ail. Au moment d’attaquer les hostilités, on frappe à la porte, Julien est de passage, pas de souci, je rajoute une gamelle. Dans la bonne humeur, nous papotons dans un anglo-groenlandais un peu charabia. Voilà comment se passe la vie à 400 km au nord du cercle polaire dans un petit village de 42 eskimos bien sympas…
A pluche
Escorté par les baleines
6 août 2017Brouillard, calme plat, Immaqa cherche la passe pour quitter ce havre de paix. En face, là-haut sur une crête, le renardeau m’observe, ah quand le reverrais-je ? Jamais certainement… Il me faut traverser devant le détroit de la grande mer intérieure Pakistup Ilordlia, la passe est moins mouvementée qu’avant-hier, nous sommes à marée haute. Je ne sais quel moustique m’a piqué mais j’ai voulu voir si je pouvais naviguer là dedans, une vraie idée de génie ! A peine j’embouque le goulet que je me sens aspiré mais d’une force terrible, l’océan est en train de rentrer dans ce trou à rat et moi, le rêveur de service, en train de me laisser perdre. Il me faudra une énergie folle pour en sortir, parfois je me demande si je ne vais pas un peu me les chercher. Sorti du flux, je peux observer la côte intérieure qui est abrupte, que de hautes falaises se jetant dans la mer, aucun moyen d’accoster. Remis de mes émotions, je scrute la brise qui va me balader aujourd’hui, elle semble dans le bon sens…
Après la pointe Sarfaq, j’ai l’option droit vers le sud-ouest mais au large ou alors raser la côte doucement. Mon choix sera entre les deux, pas trop près de la rive mais assez loin pour choper le vent portant et gagner du terrain. Bam, là devant moi, maman et petit côte à côte, juste pour l’équipage d’Immaqa. Deux baleines enfin se laissent un peu approcher, si près que le baleineau, curieux du « truc » rouge qui flotte, vient nous tourner autour, à un moment, j’ai failli avoir le tournis !!! Un cadeau matinal qui m’a enchanté, ici si les conditions sont perpétuellement extrêmes, elles réservent toujours des surprises fabuleuses.
Le golfe de Pakitsoq ne m’inspire que peu de confiance alors je ne traîne pas, plus vite j’en serai sorti mieux ça vaudra. Pour une fois depuis 47 jours, le courant est en notre faveur, régulièrement je cesse de pagayer pour voir si je ne rêve pas. Non, nous sommes portés. Là où il m’a fallu 6 heures il y a 2 jours pour le pénétrer, il me faudra aujourd’hui 2h30 pour en sortir. Tout au long de cette «croisière» polaire, à quelques 500 m, maman et bébé m’escortent. Le silence est tel que j’entends tout de leur respiration, de leur «conversation», elles doivent dire : qui sont ces bancals avec le truc rouge, qui nous regardent sans cesse ?
Au cap Niaqornaq, nous prenons une route sud, le courant est toujours en notre faveur et la mer est sans une ride, un vrai délice de naviguer aujourd’hui. L’eau à la pointe est très claire et le fond s’offre à ma curiosité, jusqu’au moment ou des centaines de morues, à quelques mètres sous nos fesses, sont en train de nous regarder passer. Là, à 10 m, une roche plate, ce soir Jo Zef, poisson frais ! Le kayak bien assuré, il me faudra un seul lancer pour assurer les protéines pour au moins deux repas. Ici tout est extrême, la richesse de cette mer est incroyable, à croire que seul ici l’homme n’a pas trop d’impact sur la nature. En bas, dans la fourmilière du sud, ce capital serait pillé ou alors protégé par des parcs marins gardés qui sont devenus des parcs d’attractions surfréquentés.
Les gros icebergs ont réapparu, le protocole de sécurité reste le même, surveiller leurs explosions pour éviter les vagues de submersion au débarquement… En face de notre étrave, une belle île semble avoir de belles dalles plates qui pourraient servir pour sortir en douceur Immaqa. Tranquillement, je pose l’étrave sur un caillou plat et décharge le matos. Mon moignon reste toujours très douloureux, le premier voyage est un calvaire, mais entre vous et moi, je ne crois pas que ce soit le lieu pour se plaindre. Vite fait, j’entreprends le tour de l’îlot, l’endroit est parfait. J’ai bien fait hier d’embarquer 5 litres d’eau potable, sur ces écueils il n’y a aucune possibilité de faire le plein. Au moment de monter la tente, un coup de vent énorme se met en place, je suis obligé de faire «l’indien» pour fixer le camp sans perdre un bout de toile. Je suis ravi, les moustiques et les brulôts seront obligés d’être planqués. Mais, en voulant mettre mon embarcation sur son chariot, celui-ci, une fois de plus se met en avarie en faisant lourdement chuter mon bon compagnon Immaqa. J’en ai mal au ventre, rien de cassé ouf, mais ce maudit chariot me sort par les yeux. Ni une ni deux, je sors la boite magique pour une réparation de fortune, le kayak est hissé hors de la marée haute et des tsunamis causés par les icebergs qui se brisent…
Ce soir, sur ce petit caillou perdu au milieu de l’océan arctique à 400 km au nord du cercle polaire, un homme libre prend le temps de savourer sa liberté. J’ai réussi à bricoler ma prothèse en lui ajoutant une cale en cuir qui semble faire son effet. Ma perte de poids a enlevé aussi du volume à mon moignon qui depuis plusieurs jours me fait grincer des dents.
En point de vue de mon sac de couchage, les baleines peuvent danser, chanter, nous, on est là…
A pluche…