Il y a des journées qui peuvent paraitre fades mais je vous assure qu’ici, rien qu’en 24h un livre peut être écrit ! Hier vers 17h, j’avais fini mon escale à Qeqertaq. Lavé, rechargé, il me semblait inconcevable de rester là à monter le bivouac au milieu du village. Donc je repris la mer vers le nord-ouest. Mon GPS me donnait pour la première fois la latitude 70° nord. Le 66°33 nord plus au sud donne le cercle polaire !
Camp savik
4 juillet 2017Juste en partant un jeune me confirme sur la carte que le coin visé est très accessible en kayak, propre comme une poêle à crêpe qui sort du lave- vaisselle. Je reprends joyeusement la mer. Mais la glace est là, de gros icebergs millénaires entourés de rejetons de plastiquages de plus en plus fréquents, même pas revendiqués d’ailleurs ! Au lieu des 1h30 prévues, je frise les 3 heures, j’en suis même arrivé au point de penser que l’escale est bouchée. Finalement en slalomant avec une certaine boule au ventre pour la peau d’Immaqa, je trouve une enclave libre de glace, mais à mon grand désespoir la côte est hostile. Dans un coin, une mini plage mais en posant prothèse à terre je m’englue voire m’enfonce, c’est de la glaise toute visqueuse. Mais une sensation bizarre me met sur mes gardes, je me sens observé. Deux têtes pointues m’épient de loin. Un couple de renards arctiques est intrigué par le « pôvre » gars qui s’enfonce dans la boue. Il me faut aussi trouver les 3m² habitables, mais là je jette l’éponge, rien à faire, ce terrain ne peut nous accueillir. Au lieu de courir dans tous les sens je m’assois et profite de l’instant présent. Les renards sur la crête rocheuse braillent de toutes leurs cordes vocales. Se moqueraient ils de nous ? En face, je vois des roches assez plates et comme c’est la marée haute une solution pourrait voir le jour. Deux coups de pagaie et demi après, non seulement un accès est trouvé mais de cette minuscule plage, un terrain extra plat va nous bercer en cette nuit polaire…
Ce matin il nous faut reprendre la mer, mais tout est blanc, de la glace à l’infini. Pas celle au gout vanille, au désespoir de la mascotte, mais de l’iceberg en morceaux qui s’est agglutiné. La peur au ventre de nouveau, nous voilà repartis. Immaqa n’aime pas cette navigation, pendant 1h30 nous zigzaguons pour le passage du grand nord ! La moyenne est comme le moral, en bas dans les chaussettes. Au bout de 7h d’enfer, une plage semble propre. A marée basse il nous faut trouver le coin sans piège, ni une ni deux nous y voilà. Le coin est sombre lugubre, un lieu qui glacerait même Donald Trump ! Mais mon choix est ferme, c’est trop dangereux de continuer. Plus d’une fois nous sommes passés entre deux colosses de glace, si près que s’ils pétaient c’était la fin du voyage…
Coincé sur un bout du monde, je réfléchis à ce périple. Doucement il prend forme, les kilomètres s’engrangent, mais la motivation prend une autre tournure. L’âme de la vieille femme d’Ata m’accompagne, elle me rassure. Décidément c’est un remake de ma descente du fleuve Yukon, mais avec 7 ans de plus et beaucoup d’eau sous la quille d’Immaqa… Nos vies sont des trésors, à nous d’en prendre soin. Chaque seconde est un cadeau qu’il faut savourer. Seul sous ma tente, des gouttes de pluie me racontent le Grand Nord, les vents, les courants, les Hommes qui y sont passés. Ce soir, la solitude n’est pas envahissante, elle est là à mes côtés comme une amie de passage. Comme je sais que c’est éphémère je lui pose beaucoup de questions…
A Pluche