Vigilance
3 août 2017Le vent du nord a pris de la force, il fait un froid polaire, normal où je suis, non ? La journée d’hier a laissé des traces, ce que j’avais planifié aujourd’hui, je l’ai pagayé hier, alors farniente ! Qu’il est bon d’être enfoui dans son sac de couchage en sachant que dehors c’est un congélateur, je ne veux plus lutter et me laisse bercer par mon immense fainéantise et je n’ai pas honte. L’île qui nous accueille est grande comme un mouchoir de poche, 50 m sur 300 m de large maximum, mais elle a un quelque chose qui fait que je m’y sens bien.
Hier en arrivant, j’ai eu du nez en récoltant quelques bouts de glace qui étaient bloqués sur des dalles. Mis dans une bassine pliable, ce matin j’avais mes deux litres à l’œil. Ici c’est de la survie à chaque pas. Cette journée de repos, ne me met pas en relaxation totale, il faut tout contrôler pour être sûr d’être opérationnel en cas de dégradation du temps ou de vagues d’icebergs disloqués. Hier c’était calme plat, mais j’ai pris mon temps pour quand même récolter des pierres qui ont bloqué ma tente, puis malgré son poids, j’ai fait un effort surhumain pour sortir Immaqa du bord de mer, heureusement. Alors que je rêvassais dans la tente, «mon» île s’est mise à trembler mais d’une force incroyable, une déflagration énorme. Le temps de mettre ma « guibole », un pull, un blouson, le bonnet, quel choc de voir une vague arriver droit sur nous, un iceberg de la taille d’une barre d’immeubles s’est pulvérisé, en jetant dans l’océan des tonnes de glace. Bien qu’à marée basse, la berge de l’île s’est transformée en coupe gorge, un ressac d’au moins 1 mètre l’a balayée pendant 10 minutes. Encore une leçon de vie, je suis resté scotché en me disant que si c’était pendant mon débarquement il y aurait eu beaucoup de dégâts. Décidément, la prudence est à assurer à tout instant.
Une journée de repos à observer la houle, les moutons, le vent mais sans le moindre nuage de souffleuse à l’horizon, les copines ont dû changer de restaurant… Ici la vie est survie, le temps est le seul allié sur lequel on peut compter. Ne jamais baisser la garde, vigilance et anticipation sont les seules règles valables, le reste, des blablas de sudiste… En face du camp, l’immense mer intérieure de Pâkitsoq. Si les Dieux du vent et des courants le veulent, demain nous allons aller l’explorer…
Ouf !
2 août 2017Hier soir en faisant ma « vaisselle », je trouvais vraiment le camp très près de la mer, il n’aurait pas fallu de houle d’ouest ! Eh ben oui, elle est arrivée cette nuit qui est toujours et encore jour. Comment veux-tu dormir dans ces conditions ? 4h du mat et on change de coin, via le sud… 5h du mat, ça y est, nous glissons sur une mer houleuse mais avec un vent faible de nord nord-ouest, vraiment comme il faut. Mais voilà qu’il se renforce, levant une mer chaotique, mais au moins ça pousse… Mais le vent augmente, la mer aussi, les premiers moutons nous lèchent la poupe, cela ne me plait pas du tout. Je tente la vitesse en envoyant le cerf-volant qui part au premier coup, waouh 7 km, Timmiaq, c’est son nom qui veut dire oiseau en groenlandais, tient seul mais au delà des 20 nds de vent, il part dans tous les sens pour finir à l’eau. Les déferlantes m’impressionnent, mais le kayak tient bon le cap. Par les pieds, je pilote le safran qui compense sans cesse les travers dus aux rouleaux. Il faut que rien ne casse, mais ça il ne faut pas y penser. Au bout d’une heure, c’est le coup de vent et dire que c’était prévu calme avec une brise de Nord nord-ouest de 3 à 4 nds !!! Timmiaq prend mal le vent, les bourrasques le déstabilisent, pour l’aider, je force comme un malade sur les pagaies pour lui donner moins de prise, mais patatras il s’écroule. Il me faut un exercice de cirque pour le ramener le plus rapidement possible sans qu’il ne passe derrière en se transformant en ancre flottante qui risquerait de me faire chavirer. Je ne sais toujours pas comment il s’est trouvé à bord aussi rapidement.
Maintenant, je n’ai plus que ma pagaie pour maintenir le cap, le travail est dantesque mais l’adrénaline me fait tenir le rythme sans souffrance aucune. Deux heures et le vent est stabilisé vers les 20 nds, avec un voilier c’est un pur plaisir, avec un kayak en mer polaire c’est la roulette russe. Pour tenir la cadence, des images me viennent et aujourd’hui la conversation que j’ai eu hier soir avec Karin me prend aux tripes. Son amie de formation yoga, s’est tuée dans un accident de la route il y a quelques jours, ma «petite» allemande est très affectée. Je ne connaissais pas cette femme, mais je pense fort à elle, à la vie. Nous sommes pendus à un fil de soie, à tout moment il peut céder pour nous amener vers l’autre monde… 3h, le vent est toujours là mais la mer est encore plus hachée, j’allume le GPS il me donne 4km/h, le courant est contraire au vent ! Il me faut sortir de cette route cabossée, le large me semble la seule solution. Et me voilà bouchonnant seul au monde avec une concentration extrême. Au bout de 4h, je franchis le cap pour enfin me retrouver sur une mer d’huile. Mais quelle galère, quelle énergie pour ne pas chavirer. Je ne dirai pas qui, «micca nomi», mais un drôle de spécialiste m’a dit : après le cap tu trouveras des accostages supers simples, plages, roches plates !!! Mais où bordel, où ? Que des roches abruptes et pour ce qui est des plages, une seule avec des galets gros comme des roues de tracteur !!! Alors je continue. Au dernier cap, j’entends sa voix qui me dit : « là tu verras, c’est super, un beau coin pour toi », oh l’enfoiré pour être poli !!! En face, le détroit large de 8km, j’ai compris ce sera encore une très grosse journée. Je me lance sur une mer d’huile avec un vent inexistant alors, pourquoi s’en faire. La motivation est au plus haut niveau, et quand la motivation est là, même les montagnes tu peux les déplacer… Des phoques me font oublier les baleines de ce matin qui ne nous ont même pas calculé, je les rassure : nous non plus ! Puis une légère brise de nord se lève, tout sur le travers. Là je me dis : non pas encore une rouste ! Puis non, cela reste une petite risée qui m’amène de l’autre côté de la rive pour une journée de 40 km. A notre arrivée, une belle baleine moins prétentieuse que les autres, se laisse un peu plus approcher, alors nous dansons ensemble…. L’île qui nous sert de bivouac est celle du premier camp que j’avais fait avec Karin il y a plus de 40 jours déjà, que d’eau sous la quille d’Immaqa depuis. En douceur, nous accostons pour enfin retrouver le calme et nos si bonnes nouilles chinoises.
Pour l’amie disparue de Karin, en mer, ces mots me sont venus : A toi belle inconnue, prends soin de toi et de ceux que tu aimes. Là où tu es, notre quotidien te semble bien drôle, prie pour nous pauvres tricheurs, prie pour notre salut, pour les peurs qui nous habitent. La vie ici en bas n’est qu’un combat d’une guerre que nous créons au quotidien. Si le ciel est ton paradis, je te dis à bientôt, la mort n’est qu’une porte que l’on ouvre derrière l’inconnu, alors n’ayons plus peur, ne tremblons plus de ce que nous ne connaissons pas…
Freeman plus que jamais…
Camp ouest Agdlugtodq
1 août 2017Je ne sais pas si je suis plus heureux d’arriver ou de partir, c’est la quête du nomade, se poser en sachant que proche sera le départ. Le village abandonné d’Agpat est dans mon dos, le courant nous porte vers l’inconnu. Un phoque décide de jouer les bodyguards pendant une bonne heure mais ce loustic reste toujours à distance, alors je l’engueule mais plus je parle fort plus il tente de sortir sa tête de l’eau pour savoir qui est le fada qui lui cause.
Le fameux cap où on m’avait prévu dangers et courant est d’un calme incroyable. La route occidentale de l’ile d’Agdlugtoq, n’est pas des plus faciles pour trouver des coins bivouacs, alors je cherche. Un premier arrêt me présente de gros galets, où il m’est absolument impossible de sortir Immaqa. Plus au sud, une plage de galets plus petits semble mieux mais les 3m² habitables sont difficiles à trouver. Depuis Qeqertaq, je possède la table des marées ce qui me permet de m’organiser, et là aujourd’hui le coefficient est faible et les hautes eaux vont se situer vers 17h30. Je décide donc de placer ma tente sur la plage face à l’île de Disko. Les très gros icebergs sont vraiment loin, donc en se désagrégeant ils ne feront pas de vagues ravageuses au bivouac des nomades polaires. Si les moustiques ont un peu diminué, ce sont les brûlots (entre la mouche et le moustique mais minuscule) qui pullulent, il y en a des milliards, impossible de rester sans moustiquaire de tête, un vrai calvaire. Vers 12h, je monte la tente pour manger ma truite saumonée déjà cuite, à l’abri et oui je me soigne !
Le ciel est gris et la température est douce sans rendre la tente comme un four. Je me repose, mais il y a un petit mais, mon moignon me fait souffrir le martyre. Les galets et la toundra rendent la marche casse patte, ma perte de poids aussi me rend plus ample dans l’emboiture de la prothèse, alors je serre les dents. Mais ce n’est pas ce détail qui va m’empêcher de vivre, il m’en faut plus pour me plaindre. Une fois le bivouac en place et la sieste organisée, je pars en clopinant à la recherche du grand lac à quelques boiteries de là. Immense, sublime et isolé comme jamais. Je n’arrive pas à croire que nous sommes le 1er août. Des glaciers, à perte de vue et des lacs plus beaux les uns que les autres… Demain, je vais tenter de faire un beau bout de route pour retrouver un coin plus abordable, le coin de ce soir ne me plait qu’à moitié, je n’aime pas être aussi proche de l’eau…
La mascotte a de plus en plus la langue bleue, c’est grave docteur, ou ce sont les myrtilles ?
Paix et liberté
1 août 2017Ce matin, mon petit poste qui ne peut capter que KNR, me donne les infos en Groenlandais, je ne comprends rien mais j’aime la musique qui est diffusée, c’est souvent d’ailleurs du local. Mais ce que je note au ton du journaliste, c’est qu’il y a quelque chose de lourd, et je comprends bien tsunami, Uummanaq, des mots clés qui me font réfléchir… Je viens de savoir qu’en vérité, ce sont les gens des villages où a eu lieu le drame qui veulent retourner chez eux…
Le vent est faible mais de sud et le courant lui est prêt à tordre le pôvre kayakiste. Donc on reste ! Ne plus courir pour écouter le chant des baleines, voilà un programme qui me plait. Mais où sont les gens,personne en mer, personne nulle part et dire que c’est le premier week-end des grandes vacances d’août, «ma» pauvre Corse doit être envahie jusqu’à la dernière petite plage. Avant de vaquer à mes rêveries, une dernière fois, je tente une opération de survie sur mon panneau solaire. Je vire mon coin cuisine de la grande table qui me sert de cambuse et installe tranquillement la bête, un rayon de soleil passe à travers le carreau. Soudain, la diode s’allume, mais il n’est pas mort alors. Je me mets en 4 pour comprendre d’où cette coupure peut provenir, jusqu’au moment où enfin j’ai compris que c’est un des éléments voltaïques qui est cassé. Là, je ne peux pas ouvrir au risque de le détruire définitivement alors je lui trouve la courbure adéquate pour qu’il puisse se connecter de nouveau et donner du jus. Une heure de casse tête…
Mais je ne suis pas ici pour me laisser voler «mon» temps si précieux, être ici est un privilège alors vivons le. Armé de ma caméra et de mon appareil photo, je cherche les points de vue stratégiques pour «choper» mesdames les baleines. Un immense hangar en cours de délabrement devait être le lieu où était stockée la graisse de baleine, de gros tonneaux ont résisté au temps, il me semble entendre les ouvriers causer entre eux. Je remonte l’arête de la côte ouest de cette petite île, un cairn me donne la direction. Un monticule de pierre avec un poteau au centre devait être le mirador pour avertir en cas de passage des cétacés. La baleine franche a failli disparaitre, son nom vient du fait qu’elle se laissait approcher sans malice par les harponneurs. Puis je poursuis vers un lac, la vue est magique. A moins de 30km, l’île de Disko, plus au nord, le cap qui m’a fait trembler. La brise de sud ouest me permet d’enlever ma moustiquaire, le silence et la solitude me prennent aux tripes. Quel pays, quel lieu et tout ça rien que pour moi. Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours mais la récompense est tellement belle. Puis je prends l’arête orientale pour arriver sur un cimetière, la dernière date est de 1934. Eva est partie à 39 ans, là encore plein de petits tas de pierre laissant deviner la mort prématurée de jeunes enfants. Puis deux coups de sifflets me font sursauter, je me retourne brusquement sans pour autant voir quelqu’un ! Je continue et là encore on me siffle, mais comme si c’était quelqu’un qui voulait m’interpeller, je me sens soudain moins seul. Damned, le siffleur est un bruant de Laponie, qui me voyant m’approcher de son nid, s’est mis en crise noire pour me faire changer de route. Il continue sa comédie en faisant l’oiseau blessé qui court dans la toundra pour me faire m’éloigner de ses oisillons. Ah l’artiste, à un moment je me suis demandé si quelques fantômes ne se seraient pas mis en tête de me faire un tour.
A mon retour, dans un tout petit périmètre, les premières myrtilles apparaissent, l’été si bref est enfin là… A mon retour, «Highlander» fonctionne toujours, c’est le nouveau nom de mon panneau solaire, chaque fois je crois qu’il est mort mais à chaque fois il ressuscite !!! Aujourd’hui j’ai donc eu le temps de penser, de rêver, de me souvenir aussi et j’ai beaucoup ri en repensant à la dernière course à la voile du Vendée Globe. Il y avait un gars, Sébastien Destremau, qui a fini bon dernier car il prenait son temps, il stoppait son voilier pour faire des contrôles, en ce moment je suis devenu un peu comme lui, pas trop pressé d’arriver… A partir de demain, un régime de vent faible de Nord devrait m’aider à prendre un peu de chemin, vive la vie…
PS : Jo Zef en voyant les premières myrtilles vient d’abandonner tous ces gros os de baleine qu’il ramenait pour ses potes, désolé…
Interview Radio France Bleu lundi 31 juillet 2017
31 juillet 2017Frank Bruno Officiel en direct du Groenland, au micro de Jean-Charles Marsily
Publié par France Bleu RCFM sur lundi 31 juillet 2017
Truites
30 juillet 2017Hier soir, le vent du sud a forcé des gens à s’abriter ici. Ce village abandonné est un bon abri pour les marins de passage. Une famille m’invite au café, la jeune fille de 18 ans parle couramment anglais, elle sera ma traductrice. Son grand-père Lars est né ici en 1948, il y a vécu jusqu’en 1963, je n’étais pas encore né. J’essaie de comprendre la vie ici, dans ces temps reculés. Mais l’homme du sud que je suis commet des impairs. Innocemment, je demande quel était le métier de son aïeul à cette époque. Du haut de ses 18 ans, elle me met face à mon monde douillet et surfait du sud! Mon grand-père, comme tous les hommes à cette époque, était chasseur, pêcheur, cueilleur. Ils n’avaient pas le choix, le taux de mortalité était immense… Prends toi ça dans les dents « pôvre » rigolo que je suis. Et oui à cette époque, les eskimos avaient la vie rude, leur vie ne dépendait que de leur chasse… Le vieux Lars nous amène, sur une dalle, ici avant c’était sa maison où il est né. Derrière, juste en haut de la butte, son père et sa mère reposent au cimetière… Quand je demande à Pilunnguag ce qu’elle voudra faire plus tard, là aussi elle me scotche. Plus tard, je veux donner de mon meilleur… Waouh, 18 ans à peine… Puis elle poursuit sur son fiancé qui en ce moment se montre très fort pour elle, car dans le tsunami au nord d’Uummanaq, c’est sa famille qui a disparu. Elle tourne la tête pour fuir mon regard, je suis touché. Son jeune frère Miki lui, est un jeune de maintenant, lui son truc sera d’ouvrir un restaurant à Ilulissat pour les touristes. Loin de sa sœur, il me demande si je sais que la mort de Mickaël Jackson est un fake, en vérité il vit caché. Je lui demande d’où vient cette info, il me répond : Facebook. Mon Dieu, quelle fossé entre ce gamin et son grand-père, en moins d’un siècle, ce peuple est passé de la survie à notre monde virtuel…
Ce matin, je remet le panneau solaire 65 wts en fonction, zut et triple zut il ne marche pas de nouveau. Je me prends la tête, puis à un moment, je baisse la garde, la journée est belle et ce n’est pas la foutue technologie qui va me pourrir ce moment. Je vais bien trouver le temps de réparer, sinon d’ici 10 jours, plus de journal de bord, mon PC a des batteries que seul ce panneau peut charger. Pour le reste, le petit de 25wts suffit largement. Donc, me voilà parti en exploration. Là, sur ma carte à 4km, se trouve un fjord dans lequel se jette une rivière, au dessus une série de lacs, Jo Zef me souffle que quelques truites pourraient s’y cacher. J’ai toujours la boule au ventre de laisser tout mon bivouac seul et de partir pour la journée, mais le coin est protégé et j’ai tout bloqué au cas où encore un gros coup de vent passerait dessus. Au bout du fjord somptueux, deux bateaux au mouillage, des tentes sur la plage. Là j’ai la réponse, c’est un coin à truites. Des gamins courent vers moi à mon arrivée, des moucherons par milliards, des nuages entiers, eux bien sûr ne portent pas de moustiquaire ! Un aluu réglementaire et sans perdre de temps, je prends une sente pour trouver enfin le premier lac. Le même décor que si on était dans les Alpes à 3000 m d’altitude, à la différence qu’ici on est en bord de mer. Au premier lancer, une truite, une deuxième, une troisième… Et dire que je ne suis pas un bon pêcheur ! Le lac regorge de poissons et pour le bonheur des groenlandais, ces lieux sont le garde manger d’un hiver long et rigoureux…
En milieu d’après midi, je suis de retour au village abandonné, seul au monde, personne, même pas le vent. Mon bidon de 5 litres est plein. Dans la vieille cabane que je squatte comme coin cuisine, je m’improvise un coin douche et laverie… Ce soir au menu crêpes aux truites mais sans les crêpes !!!
Demain, comme chaque lundi, on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à 12h40.
A pluche
Camp d’Agpa
29 juillet 2017Pour une fois, la tente n’a pas tremblé toute la nuit, bien au contraire, le chant des baleines nous a enchantés. Trois rorquals ont passé la nuit face au bivouac, droit au nord. La mer était d’huile et leur souffle accompagné de quelques mélodies a été un cadeau énorme… En ce moment, le coefficient de marée est énorme et ce matin pour amener Immaqa à la mer, ce fut un vrai travail de forçat. La plage composée de gros galets, a carrément mis HS le chariot, mais il y a toujours le plan B. Sous mes jambes, j’ai une défense (appelée par les marins d’été, pare-battage), qui permet à mes membres inférieurs de ne pas être sous tension. Je l’ai glissée sous le kayak pour le faire glisser sans trop de problème jusqu’à la rive. Nous y voilà, une heure de gros boulot mais l’important est que tout soit rentré dans l’ordre.
Le courant me porte pour une fois, je ne vais pas me plaindre. Je surveille si mes 3 chanteuses ne viendraient pas à la proue d’Immaqa, rien à faire, elles restent à distance ! Pourquoi pagayer puisque je glisse sans effort. Là, au recoin d’un caillou, au ras de l’eau, une tête en l’air ne semble pas distinguer le kayak rouge qui le vise. Un jeune renard, bien confiant est en train de défoncer un oursin ! Il faudra lui expliquer que seules les loutres peuvent faire ceci, sans dégât !!! La caméra tourne et Immaqa, comme sur pilote automatique, lui arrive droit sur la truffe. Un face à face de quelques secondes et notre goupil prend de l’altitude comme s’il avait vu le diable ! Un peu plus loin, deux phoques nous surveillent. Comme avec les baleines, nous sommes tenus à distance !
Là bas, sur notre bâbord, une immense plage semble l’endroit idéal pour le café du matin. Des falaises de plus de 600 m nous encerclent. Encore ici je suis à ma place, juste un point rouge au milieu de titans. Le vent du sud, se met en place, c’était prévu mais l’île d Agpa est à quelques coups de pagaie. La mer n’a jamais été aussi claire, l’eau est cristalline et des tonnes d’oursins y reposent en paix. Il me faut trouver le moyen d’en récolter quelques uns. Le must serait de trouver un long bâton mais surtout une sorte de griffe pour les cueillir. En débarquant à mon étape du jour, sous ma prothèse, une longue perche semble parfaite et pour couronner le tout, juste à deux pas, une grosse cuillère à soupe abandonnée sera l’outil parfait pour une bonne oursinade polaire. Un village abandonné est encore debout. Je tente la bonne approche pour monter Immaqa, une dalle en bonne pente semble parfaite. Pas une âme, que des souvenirs. Les maisons sont toutes ouvertes, j’en trouve une parfaite pour le coin cuisine, loin des suceurs de sang. La tente sera placée sur un petit parterre parfaitement plat et herbeux et de la glace coincée dans les failles nous permettra de refaire les niveaux d’eau. Mais des tâches sérieuses m’attendent, réparer le chariot et surtout trouver la panne du grand panneau solaire qui ne donne plus. J’ai embarqué pas mal de gadgets pour filmer, photographier et surtout tout stocker dans mon PC qui est un gros bouffeur d’énergie ! Finalement, ce soir tout fonctionne…
Demain, je vais explorer le coin. Juste en face, à une heure de kayak, se trouve un lac où se cacheraient de grosses truites. Je vais me servir de ce camp de base pour découvrir d’autres paradis… Le vent du sud se renforce, la tente est bien calée, elle est située juste en face du détroit. Avec un peu de chance, nous allons avoir droit à un concert gratuit.
PS : la mascotte commence à désespérer, les myrtilles ne sont toujours pas mûres !!!
Torssukatak le géant
27 juillet 2017Le coefficient de marée est très haut en ce moment et ce matin il me faut remorquer Immaqa sur 40 m jusqu’à l’eau. Le chariot, une fois de plus, est en avarie, décidément c’est un vrai gadget de plage. Je récolte toujours les petits «trucs» qui peuvent servir et c’est encore le cas, c’est reparti comme « neuf ». Mon matelas de sol est HS aussi, dans le groupe de Xavier, le Docteur Suisse qui m’a « ausculté », un jeune rentre au pays, son matelas va continuer le voyage à mes côtés. Jo Zef se demande si une tablette de chocolat ne serait pas oubliée par hasard !
Qeqertaq est déjà derrière. La forme est revenue, ça c’est bon pour le moral alors cap vers la côte occidentale d’Agdlutoq, mais avant ça il y a le titan Torssukatak à traverser, un déversoir à icebergs avec des vents catabatiques toujours capricieux. Pour le rejoindre, je vise le cap Nua qui est la porte du puissant détroit. Le vent d’est me prend à contre pied, tiens je connais la musique ! Puis le cœur serré, j’attaque les simples 5 km de traversée, la glace est quasiment absente, mais le vent lui, veut causer au p’tit kayak rouge. Je me cale et fais le vide dans ma tête de mule, il me faut le traverser et c’est tout. Le vent est constant de 15nds puis des rafales frisent les 25nds, une vraie partie de bras de fer. Au bout d’une heure, il me semble deviner des « souffleurs », oui les baleines sont en plein déjeuner, krill à volonté. Ce n’est pas trop mon cap mais je tente l’approche, la force du vent faiblit, chouette je vais à leur rencontre. 10’ pas plus et là un ventilateur est mis en route, clapot, rafales, tout y est. La mort dans l’âme, je vise le cap Qamavik qui sera ma délivrance. 2h de combat encore, mais c’est passé, je peux enfin me relâcher. Le goulet me porte vers le sud, mes nouilles chinoises vont bientôt infuser. Seul au monde, je me remémore la petite traversée, heureusement que la forme est au rendez-vous.
Il me faut reprendre la mer, ici ce n’est pas jouable pour le bivouac du soir. Tranquillement, le vent devient brise et il me porte, quel bonheur. Soudain, sur mon tribord, un mât dépasse d’une profonde crique ! Incroyable, des voyageurs. L’approche est une sorte de dégustation, quel sera le menu de la rencontre ? Polaris, c’est le nom du beau sloop en alu, bat pavillon allemand. Mickaël m’accueille avec un chaleureux sourire,il me propose de monter à bord mais sortir de mon kayak en « long side » d’un bateau est un jeu de cirque que je ne veux pas tenter. Depuis 2009, avec son épouse Martina, il sillonne les mers polaires. Quand je lui demande s’il connait la Méditerranée, on est sur la même longueur d’ondes. Trop chaud, trop de monde, plus aucun endroit n’est paisible, ici au Groenland c’est encore un paradis. En quelques instants, nous dévoilons nos bouts de vie mais je sens Martina fatiguée. Un cancer lui a lancé un défi. Elle me sourit, elle sait que la lutte est inégale mais ces quelques jours avec son mari, ici au pays du silence, lui sont salutaires. Mickaël en profite même pour me réparer mon trépied qui a perdu une fixation et me voilà aujourd’hui avec un chariot, un matelas de sol parfait et un trépied en plein possession de ses moyens. Nous nous saluons chaleureusement, les «take care» fusent, ici on n’est rien et nous le savons.
Le nomade que je suis reprend sa route. Au détour de quelques dalles, une aire de bivouac me semble parfaite. La brise est fraîche, juste assez pour chasser les moustiques, mais les brulots ont repris le flambeau, mais ça c’est un détail que je ne vois même plus… Le coin est une fois de plus somptueux, quelle chance de le vivre si intensément. Malgré ces heures de gladiateur face au vent, un air de liberté me prend aux tripes ce soir. Quel joyau la vie, quel trésor notre existence. Si vous me demandez pourquoi je fais ça, je ne pourrais vous répondre que parce que je suis en vie et que les «risques» vous font apprécier encore plus la vie, parce que l’effort vous nettoie du superflu, parce que les anges ne sont accessibles que quand on se met à nu, sans aucune défense. Ici, ce soir, sous ma tente, je suis à la merci des éléments et c’est ça que je suis venu chercher. Ce n’est pas un record, un challenge mais un bout de vie plus fort que le confort et la routine…
Qu’un vent de liberté vous envahisse. Laissez la faire, elle est de douce compagnie. Vos pensées positives m’ont beaucoup aidé pendant ma brève convalescence, votre énergie me vient jusqu’ici, merci d’être là…
Silence et sérénité
26 juillet 2017Pas une ride, le calme plat, juste le vacarme des icebergs qui explosent et quelque part sur une plage, un nomade qui ne fait rien. A moins que ce soit le contraire, un homme qui vagabonde le monde car il est tout simplement vivant. Le silence mène à la méditation, à la confrontation avec soi même, à écouter ce qui nous entoure et ici c’est le silence absolu. Des nuages de morues déambulent à tir de lancer, alors la cuillère vole pour toucher l’eau, affolement de la troupe, une proie vient troubler leur procession. Une plus vivace, plus audacieuse, plus folle, gobe le leurre. En douceur, je la ramène à terre, j’ai l’impression de me voir avec Dame Nature, un claquement de doigt et c’est fini, alors sagement, je lui retire l’hameçon, l’embrasse entre ses deux gros yeux globuleux et la remets à l’eau. Il faut être bon joueur, elle aussi a droit à son joker. Mais au loin, un bruit de fond m’interpelle, oui c’est ça le petit point au large, au milieu des icebergs, c’est bien une baleine. Le silence dévoile ses trésors et j’en suis le seul témoin. Le soleil est au rendez-vous, la chaleur prend du grade un bon 12° à l’ombre, 30° dans la tente, la canicule !
En face Qeqertaq, mes habits sentent le rat mort, mon coup de mou des jours passés m’a fait transpirer d’une manière malsaine. Le kayak complètement vide, je vais traverser le golfe. Je confie le camp à Jo Zef et lui donne les consignes : si un ours s’approche, tu siffles ! Filant comme une balle, je cherche la baleine mais le champ de glaçons m’empêche de la voir. La maison commune est vide mais ouverte, alors je décrasse, j’en avais le plus grand besoin… Le bureau pour une connexion internet est fermé, dommage. Vers 13h, je suis de retour à la maison, ouf pas de passage, la mascotte a fait un bon boulot. Sur la route, j’ai rencontré Ben et ses clients, ils avaient leur camp à 1km plus au nord. Il m’avait vu et était venu à ma rencontre pendant mon coup de mou. Un sacré bon gars qui amène les touristes aventuriers au bout de leur rêve. Si le voyage vous tente, il bosse pour l’agence 66°Nord qui a organisé les vols entre le sud et le Groenland pour Bout de vie. On se reverra j’en suis sûr. Malgré le vent nul, les moustiques sont tranquilles, ce ne sont plus des millions mais quelques audacieux, qui tentent l’appontage mais sans succès. Je monte le tarp pour donner un coup de frais à la tente, une petite radio m’accompagne et, à quelques encablures d’un village, je peux écouter des musiques groenlandaises.
Le voyage est en mutation, d’une course contre la montre, toujours plus nord, il devient réflexion, pause, découverte. Le temps s’offre à nous, les nomades du grand nord. Mon corps m’a donné une leçon, la glace et le vent aussi. Décidément, ici c’est l’école de la vie sans livre, du mystique sans livre sacré, du pèlerinage sans monastère. Demain, tout neuf et frais comme une morue remise à la mer, nous allons lever le camp pour la rencontre d’un autre coin, d’une autre plage, d’autres rencontres, d’autres émerveillements…
A pluche
Camp de la chance
25 juillet 2017Depuis hier matin, il me semble avoir vécu plusieurs vies. Donc, hier je pars de la micro baie qui me protège, le vent d’est est déjà en place, mais je sais que derrière, la montagne de glace va faire un beau rempart contre le vent. Me voilà dans la forêt d’icebergs. Trouver le passage est un métier de devin, mais pas à pas je sais que ça va passer. En longeant la côte, les milliers de glaçons lâchés par les icebergs qui pètent font une barrière dense, prendre trop au large me mettra dans un tapis roulant de vent et courant contraire. L’unique solution à mes yeux et mon expérience en glace de nouveau né, c’est de slalomer ! Oh mon Dieu, comme je suis petit au milieu de ces titans. Quand je suis trop près j’accélère, de 3,5km/h, je passe à 5km/h en puisant une énergie pas possible. Deux heures de grosse concentration pour enfin me libérer.
Le petit village de Qeqertaq est enfin devant moi. Je dois réparer l’une des roues de mon chariot qui me permet de sortir Immaqa de la zone de submersion en cas de rupture de gros glaçons. Une petite baie sert de mise à l’eau pour les pêcheurs du village, mais c’est aussi là où on jette ce qui est cassé, je reste très prudent. Le kayak en sécurité, un esquimau me trouve le jeune punk du village qui détient le local magique. Mais à mon grand désespoir, cela semble plutôt une poubelle ! Au milieu de vieux pneus de quad, pas le moindre outil pour déchausser mon pneu, il va falloir y aller tout en force… Beaucoup de système D et une bonne heure, me voilà en place, mais quelle énergie ! L’un des copains des jeunes est venu nous soutenir, mais je sens que quelque chose ne tourne pas rond, j’ai des sueurs froides.
Il me faut trouver les nouilles chinoises que je n’ai pas trouvées à Saqqaq et deux litres d’essences pour mon réchaud. A la douche, je me détends mais je commence à avoir des vertiges. Il me faut reprendre la mer au plus vite, juste en face à 5km, une belle plage sera mon havre de paix. J’ai chaud, alors j’enlève des couches. Je n’ai pas mangé depuis ce matin et chose étrange je n’en ressens aucune envie. Les derniers mètres n’en finissent plus, il y a quelque chose qui ne gaze pas. A peine Immaqa beaché, je pars pour uriner et là d’un coup, comme un coup de fusil, je m’écroule, je tombe dans les pommes, l’amarre de mon pauvre kayak simplement posé entre les moules d’une marée exceptionnellement basse. Une dalle plate m’a amorti, mais rien à faire, je suis KO. Combien de temps, je ne sais pas mais ces secondes m’ont parues interminables. Titubant, je récupère mon amarre pour la doubler et la fixer sur un gros caillou, l’effort est surhumain, mais notre vie est en jeu. Une fois cet effort énorme pour le cadavre que je suis devenu, une dalle plate me permet de m’allonger de tout mon long, à ce moment là, burn out, je m’évanouis. Quand je reviens à moi, la marée est montée d’un cran, il me faut décharger mon barda et tout mettre en place. Des sueurs froides me saisissent, des millions de moustiques s’acharnent sur moi, j’ai vraiment l’impression d’être rentré en enfer. Une heure et demie pour tout monter, tout sécuriser, je m’écroule sur une dalle pour une troisième couche, je repars dans le cirage. Cette fois, cela a duré plus longtemps. Les moustiques n’ont pu attaquer ma tête couverte d’une moustiquaire, mais ils se sont acharnés sur mes mains, elles ont doublé de volume…
Je bois, je sens qu’il faut que je boive. Puis vers le nord, je vois un bivouac, il y a du monde je suis sauvé. Je hurle comme je peux, ils m’ont entendu, je suis sauvé… Xavier et Birte sont à mon chevet, il est médecin, une chance sur un million et il est là, à mes côtés. Son diagnostic est sans appel, malaise vagal. Depuis un moment, je me suis restreint en me mettant en sous alimentation, puis à Saqqaq j’ai remangé à ma faim, un bon chasseur m’a offert 2 kilos de phoque que j’ai englouti, mais toute la nuit j’ai été malade comme un chien. Puis j’ai repris ma route et là, à ma dernière escale j’ai fait une razzia sur les moules et de nouveau mes intestins m’ont expliqué la vie. Bien sûr, il y a aussi une énorme tension que j’ai accumulée, une pression de mon invention qui m’a mis à genou.
Ce matin, j’ai retrouvé la forme, je peux tenir debout. A midi, un bouillon de légumes m’a fait du bien. Mes nouveaux amis Suisses ont été à mon chevet, je ne sais comment les remercier. Aujourd’hui, en papotant, nous nous sommes aperçus qu’il y a 4 ans, nous avions communiqué par mail. Il avait fait le tour de la baie de Disko en kayak et j’étais rentré en contact avec lui pour glaner quelques infos, le monde est vraiment petit. Une fois de plus, ma bonne étoile ne m’a pas lâché… Demain je vais rester sur zone pour récupérer à 100%. Tout rentre dans l’ordre doucement. Mes anges gardiens c’est vous aussi. Merci de vos pensées, cela m’aide, me touche…
Vive la vie