Si aujourd’hui c’est la rentrée en France, ici c’est le retour de l’été mais sans les suceurs de sang. Hier, j’ai bossé comme un sudiste, en ce jour de rentrée, en solidarité avec vous, je n’ai strictement rien fait, et cela me plait. Ne rien faire, c’est juste s’asseoir et regarder passer le temps, ici c’est assez facile, le silence en est le chef d’orchestre. C’est ma dernière semaine, cela fait presque 3 mois que j’ai quitté «ma» petite île et je la retrouverai avec autant de plaisir que je l’ai quittée, la foule n’est vraiment plus faite pour le vieil ours qui sommeille en moi. Ce village du bout du monde est loin de toutes les inquiétudes que l’on a au pays des gens qui comptent au lieu d’aimer. Ici, les seules explosions sont celles des icebergs qui s’écroulent, la nature ne juge pas, elle tolère les hommes mais pas les opinions. Lundi, c’est le jour de la douche, je me sens léger, mes fringues lavées sèchent sur l’ancien séchoir à poissons de la maison. En ces 3 mois, j’ai réalisé des rêves de gosse, j’ai eu la trouille au ventre à en vomir, j’ai su continuer et surtout renoncer à l’égo qui m’amenait à la prochaine vie. L’initiation a été à la hauteur de mes attentes, j’ai été guidé, par qui, par quoi, je ne sais pas mais je me laisse faire, c’est bon de se savoir épaulé. Au pays des esprits maléfiques, les qivitoqs, jamais une seule fois, ils ne m’ont voulu du mal, ils m’ont juste un peu secoué et remis le pied sur le chemin que je devais prendre. Ici on ne rigole pas avec les qivitoqs. Quand aux jeunes, je leur demande s’ils y croient, ils m’affirment qu’ils n’ont pas à y croire puisqu’ils existent. Le soir, bien à l’abri dans ma tente, ils devaient très certainement m’encercler mais pas une seule fois ils ne m’ont dérangé. J’essaie de leur expliquer, que là-haut, au cap des Défunts, j’étais serein de ce côté-là et que mes seuls démons étaient les peurs créees par mon « égo », par l’odeur de la mort, mais jamais une seule fois les esprits n’étaient maléfiques. Je me souviens d’avoir découvert une tombe antique, les ossements de l’enfant étaient répandus, méthodiquement je les avais replacés dans leur reposoir et jamais une fois son fantôme ne m’a fait trembler. Les esprits maléfiques sont nos idées noires, nos craintes de l’inconnu, nous sommes nos propres fantômes.
Si aujourd’hui c’est la rentrée pour beaucoup, mon présent m’ancre sur cette terre de glace et de vent, ce n’est plus une page qui se tourne mais un nouveau livre qui s’écrit. On dit que l’on peut avoir plusieurs vies en une seule, je vous le confirme, la mienne est une succession de vies tellement différentes les unes des autres. Cette année est un axe central avec la séparation de mon petit bateau, je n’utiliserai jamais plus son nom dans mes écrits. Le livre est refermé, ma vie à terre est pleine de situations personnelles dont je n’aurai jamais pu croire qu’elles soient faites pour moi un seul instant, et pourtant. La seule certitude c’est qu’il faut avoir le courage de provoquer les choses, la remise en question quotidienne est indispensable, c’est elle qui va vous ouvrir les portes. Il faut apprendre à trembler, car changer de vie demande de l’audace, du courage et une part d’inconscience teintée d’un brin de chance. Les regrets sont intolérables, savoir s’amputer pour mieux remarcher, un sacré défi qu’il faut accepter même si parfois cela fait mal.
En ce jour de rentrée, l’océan Arctique a décidé d’être calme, le vent est sur le banc des écoles, il doit apprendre quelques mots de Corse que je lui balançais au visage quand il m’épouvantait. La cabane de ceux qui ne boitent plus dans leur tête va être un beau refuge. J’imagine un jour de douche à la maison communale avec des prothèses de ci de là, la secrétaire fera un beau sourire, car ici tout est normal, on sait s’adapter au quart de tour. Je vous souhaite une bonne rentrée, dites aux patrons, aux professeurs, aux «autres» qu’une fois de plus je vais être en retard…
A pluche.