Pêcheur de morues polaires…

2 septembre 2017

 

Il est là, cela faisait tellement longtemps que l’on ne l’avait vu, toujours est-il qu’il faut le prendre tel qu’il est, froid et discret. Ce rayon de soleil matinal est le bienvenu, il rendra moins gris mon état d’âme, l’appel du large est bien trop fort pour me laisser à terre. Depuis juin, quelques poissons améliorent mes repas, morues, rascasses polaires, truites arctiques pour les lacs et rivières. Mais une grande question est enfin élucidée ! Régulièrement des pêcheurs seuls partent en mer quelques temps et reviennent avec des caisses pleines de morues, sans aucun filet, nasse ou gros système. A force de trainer sur les pontons sans rien demander à qui que ce soit, honneur oblige, j’ai procédé à de l’espionnage ! En fouillant le vide sanitaire de la maison qui est un mélange de dépotoir et de vestiges du passé, une vieille ligne m’est apparue. Hier soir à la lueur d’une bougie et de ma frontale, je l’ai remise en état, il suffit d’essayer. La petite barque qui m’est prêtée est vraiment bénie des Dieux des mers et des océans, cela me permet d’être libre sans devoir quémander à qui que ce soit.  La brise du nord est déjà soutenue, ma grosse combinaison encore toute neuve va me protéger de ce froid polaire. Toutes les montagnes sont blanches comme le seront les Alpes cet hiver, à la différence qu’ici on est encore en été ! Je prends la direction du nord, je n’aurais qu’à revenir avec le vent dans les fesses. En face, l’immense île de Qeqertasuaq me semble très proche, le vent du nord rend le ciel pur, ses montagnes sont majestueuses. Dans le ciel, le spectacle est aussi magique, des escadres d’oies en formation rejoignent le sud, l’hiver n’est plus très loin. Leurs cris me touchent, elles semblent me saluer, trop poète pour rester insensible, je leur crie : bonne chance ; heureusement que je suis seul en mer ! Une grosse houle de nord-ouest rendrait bien malade du monde, le courant semble faible et la pointe d’un cap me semble le bon spot. Ma longue ligne munie d’un leurre en forme d’ammassat (capelan) est très lourde, elle emporte vers le fond une série d’hameçons, tous munis de gaines en plastique fluo qui attireront les curieuses. A peine au fond que ma ligne se tend, coup double. Sans me presser, à mains nues, la palangrotte rejoint le bord, deux belles morues sont déjà à bord, cela me présage une bonne pêche. A chaque fois, je remets mes « belles » à l’eau, elles garderont un petit trou sur la lèvre, en souvenir d’un pêcheur corsé ! En moins d’une heure, une trentaine remonteront à mes côtés, une seule aura la « chance » de déjeuner avec moi.  Le vent du nord prend de la force, le blizzard me frigorifie les mains, pourtant je suis heureux, seul en mer. Entre les glaçons, je retrouve le petit ponton, les moutons sont déjà là, il est temps de se mettre au chaud. Avant de retrouver la douceur de la cabane, je passe à la supérette, voir si les œufs sont enfin arrivés. Le magasin est seulement livré par la mer, et hier le grand bateau de l’Artic-Line a fait relâche, Jo Zef est rassuré, les crêpes vont pouvoir se faire, ouf !

A pluche

1er jour de septembre

1 septembre 2017
 
La cabane est bizarrement silencieuse, le froid lui se moque des émotions, il suit son petit bout de chemin en saupoudrant de neige les sommets des alentours. La pluie rend la journée plus triste qu’elle ne devrait l’être, la vie n’est faite que d’arrivées et de départs, de débuts et de fins. Karin est partie tout à l’heure, le premier transfert fut en bateau, une traversée équivalente à Bonifacio, Santa-Térésa en Sardaigne. En Corse, dans les Bouches de Bonifacio, nous sommes rodés aux vents violents, ici, avant d’arriver, je souriais quand on me parlait de coups d’air au Groenland, avec des pointes en été à 20nds ! Mais quelques facteurs majeurs me manquaient pour comprendre. La glace, le froid, les courants violents contraires et les aléas de marée. Sur ma belle île méditerranéenne, un grand frais se gère sans problème, Karin et moi-même avons fait plonger les touristes avec des tempêtes force 10, il suffisait juste de trouver le bon spot protégé du vent et c’était tout. Ce matin, des averses de neiges rendaient la navigation douteuse, la houle de sud nous ballotait dans tous les sens et les couloirs de vents contraires nous frigorifiaient le visage. Une sortie de plus au milieu des icebergs mais toujours aussi belle et puissante.
 
A l’aéroport, les quelques passagers attendent, la plupart sont des étrangers, tous ont le nez sur leur écran ! Dans deux semaines, je vais rentrer en Corse, l’adaptation sera à l’inverse de mon arrivée, mais ce trimestre groenlandais m’a déconnecté de tout le virtuel, du confort qui rend esclave, qui nous fait perdre le contact avec la nature, avec le silence, ce contact qui nous envoie à la face les doutes, en nous offrant le temps d’y réfléchir. Une dame groenlandaise  me rassure, c’est la seule avec moi dans la salle d’attente à ne pas avoir d’écran, elle tricote, l’hiver est en train de retrouver sa place, son ouvrage protégera peut-être un chasseur, un pêcheur, je ne le saurais jamais. Le cœur serré, ma belle allemande grimpe dans le bimoteur pour Copenhague via Kangerlussuaq.
 
Je fais quelques courses en ville, des aluu passent de ci de là, du monde commence à me reconnaître, je me sens moins étranger, mais pas du tout encore intégré, il va falloir que je fasse encore beaucoup d’efforts pour comprendre la culture esquimau. A la coopérative, une combinaison de pêche est à ma taille, cet achat est plus que nécessaire, le froid est un passager clandestin qui rend la navigation compliquée. Emmitouflé dans cet habit fait pour la navigation polaire, les onglets ne me prendront plus en traitre. Orange fluo, en plus en cas de pépin, je serais encore plus facilement repérable. Seul, je reprends la mer. Le vent d’est, bien que de terre, lève un bon clapot, les petits bouts de glaçons sont des pièges à hélice, il me faut slalomer sans cesse. Oqaatsut et sa baie sont calmes. Comme à son habitude, le gros bateau Artic-line fait relâche sur le vieux ponton du port, des madriers, des poutres, des lambourdes, des rouleaux d’isolant, des caisses sont débarqués… Peut-être que les œufs, absents depuis un bon moment, sont en soute; la mascotte espère bien pour sa pile de crêpes !
 
Me voilà de retour à la cabane, je stocke le frais dans la grande bassine remplie de glace et retrouve le silence de la belle cabane avec vue sur la baie de Disko. Ce soir, une mélancolie s’empare du gros dur que certains voient en moi. En bon écorché vif, l’horizon me rassure, je ne fuis pas les hommes, je les observe, ils me font quelquefois saigner. Ces presque 3 mois de vie polaire m’ont encore plus rapprochés de l’essentiel, comme un moine en monastère himalayen, ce ne sont pas des mantras qui m’ont enseigné, mais des conditions de vie, moins aisées, plus rustiques. Comme après chaque grosse expédition, il va falloir que je digère tout ça. Il me reste encore quelques jours ici, je vais tout prendre ce qu’il y a à prendre, pêche à la morue, oursins, moules, balade avec les baleines, rencontre des phoques, rando en tête à tête avec la solitude et m’assoir pour juste aimer encore plus le monde… Vive la vie, même avec un bout en moins, l’important est de ne jamais boiter dans sa tête…
 
PS : Norra est rentrée aussi, ce soir Jo Zef réintègre mon sac de couchage, sacré mascotte.
 
A pluche.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Les baleines de la baie de Disko

30 août 2017
 

L’hiver à petits pas

29 août 2017
 
Dans l’une de ses chansons, Jacques Brel disait : Ce n’est pas encore l’hiver mais ce n’est plus l’été… Brouillard, crachin, et brise glaciale, le Groenland prend doucement un autre rythme, une autre couleur, d’autres histoires vont naître. Grâce au bateau prêté par notre marin polaire croisé, nous pouvons continuer à explorer les alentours en prêtant moins attention aux vents contraires. Malgré de multiples couches, le froid est pénétrant, mais laissons aux autres les gémissements, ici la nature est génératrice d’émerveillements faisant oublier les détails de quelques degrés de plus ou de moins.
 
La brise d’est se transforme en coup de vent, le petit bateau frappe de l’étrave mais notre curiosité est trop forte, la carte, bien qu’imprécise, nous laisse l’espoir de découvrir un lac. Un bloc minéral assez haut nous permet de débarquer sur des dalles glissantes à souhait, mais notre embarcation est en eau saine et ça c’est le plus important. Dans mon sac à dos étanche rien n’a changé, téléphone satellite chargé à bloc, balise satellite, thermos d’eau chaude, barres de céréales et quelques bricoles de survie, ici on est seul au monde, la moindre broutille peut se transformer en drame.
 
Le lac est bien là devant nous, juste derrière un fjord où gémissent des icebergs prisonniers des vents du
sud, eux n’auront pas la chance d’entreprendre leur grand voyage, au bout de quelques explosions ils ne resteront qu’un souvenir d’un été difficile. Mon lancer est en place mais les truites arctiques, si nombreuses il y a
encore quelques jours, ont dû repartir en mer, ma cuillère est la seule à rider le calme de cette masse d’eau douce.
 
Un silence impressionnant nous rend encore plus petit, cela devient une sacrée habitude, pourquoi s’en lasser ?Bredouilles de protéines mais la besace de l’âme remplie d’énergie, nous reprenons la mer. La carte ne donne rien de précis mais un coin étonnamment plat attire mon attention. A pas de loup, nous nous approchons d’une passe, l’échancrure est trop tentante, nous nous y engouffrons. Waouh, encore une autre surprise, une lagune immense abritée de tous les vents me fait rêver, là un beau voilier pourrait jeter l’ancre. Je note dans mon disque dur la façon de la pénétrer, on ne sait jamais !
 
A marée montante, le courant est fort, mais fini les coups de pagaies, un coup de 4 temps et nous en sortons. Bien que la mer soit couverte de glace, je laisse
la barre à Karin qui doit retrouver dans le brouillard la route vers Oqaatsut. Concentrée et debout, elle zigzague, les bouts de glaçons explosés sont très dangereux pour un petit bateau, la lourde brume rend la navigation encore plus compliquée. Le froid s’invite à bord, l’humidité nous transperce, il est temps de retrouver la maison chauffée au pétrole.
 
Mais ici, il se passe toujours quelque chose. Sur la côte, une immense fumée m’inquiète, pas de village, pas de bateau, mais une cabane d’où semblent venir ces fumeroles. Reprenant la direction à fond les manettes, l’intrigue m’oblige à ouvrir les gaz au maximum. A deux encablures de notre inquiétude, des eskimos ont allumé de la camarine pour faire fumer
leurs prises de mer. Du flétan ou de la morue sont en train de sécher. Ce n’est pas leur cabane qui brûle, ouf. Un lointain aluu et nous reprenons le chemin du village. Le visage de Karin est congelé mais elle doit être concentrée, barrer un bateau dans ces conditions demande beaucoup, beaucoup d’attention.
 
De retour à la cabane, nous encerclons le poêle qui redonne vie à nos mains… Le brouillard, le crachin, la glace, sont devenus nos alliés : ici tu n’es rien et c’est pour ça qu’ils sont là, juste pour te le
rappeler…

Rencontres polaires

29 août 2017

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Balade sur les hauteurs d’Oqaatsut

27 août 2017

Un taureau de glace!

Feu sur la glace?

Non, juste un simple coucher de soleil!

Vue en hauteur de la presqu’île d’Oqaatsut

Les premières glaces du matin…

Cap’tain Karin

Découverte dans l’une des maisons abandonnées

Rendez vous radio sur les ondes de France Bleu RCFM à 12h40 avec Jean-Charles Marsily

Entre myrtilles et mastic

26 août 2017
 
Après ces quelques jours de mer, d’un commun accord  nous consacrons une partie de cette journée à la maison. La tâche est infinie mais quelques travaux ont la priorité. Les fenêtres sont doubles, une partie ouvre dehors et l’autre dedans. Même vieilles de 60 ans, elles sont prévues pour le grand froid, mais avec l’âge, certains ajustements ont été pratiqués par des bricoleurs du dimanche. J’entreprends la réfection des joints des vitres qui ont été rafistolés avec un mélange de plâtre, loin du mastic de l’époque à base d’huile de lin. Sans rien, je m’improvise un chevalet pour tenter l’opération, la première fenêtre est prête pour affronter les -40° du prochain hiver, le joint de Sikaflex semble parfait. De son côté, Karin se lance toute seule dans le décrassage du cagibi qui a dû permettre le stockage de viande de phoque et de morue, l’odeur avec la température positive est des plus odorantes !
 
Mais par moments, nous nous posons pour admirer en silence l’océan. Les icebergs venant d’Ilulissat sont en grand nombre, la brise de nord-ouest malgré un courant de sud nous offre un spectacle merveilleux. Profitant de notre activité qui nous fixe au même endroit, nous pouvons noter la progression des icebergs. Même contre le vent ils arrivent à être poussés par un sacré courant de sud. Je me souviens d’un pauvre kayakiste entêté qui s’obstinait à naviguer contre ces monstres liquides ! En milieu d’après-midi, nous rangeons nos outils pour la récolte du diner. Ce sera bœuf musqué en entrecôte, il nous attend patiemment pour être grillé au barbecue ce soir. Il ne nous reste plus qu’à trouver des bolets, des cèpes, puis de remplir une boite en plastique de myrtilles. Derrière la maison, le sentier qui mène à Ilulissat en 23km semble le bon endroit pour nos besoins, mais tout n’est pas si simple. Je ne peux parler de choses que je ne connais pas, le réchauffement climatique est une histoire de spécialistes, mais ici, cet été, les choses n’ont pas été habituelles. Le mois de juin a été le plus froid depuis que la météo s’intéresse au Groenland, 6 pêcheurs de la région ont trouvé la mort. Le tsunami d’Uummanaq est peu expliqué, tremblement de terre, recul du permagel, éboulement naturel, personne ne semble en trancher l’origine. En juillet, le vent a été sacrément fort et le mois d’août s’est vu pluvieux de manière inédite. Donc, pour en revenir à notre cueillette, cette année les myrtilles sont rares. Mais cela ne nous gène pas trop, le ramassage est
quand même suffisant pour nous deux, les mascottes seront mises au régime !
 
En grimpant derrière le village, la baie de Disko s’offre à nous à l’infini, des centaines d’icebergs prennent la route du large pour leur long voyage qui leur fera faire une route de 6 ans avant de venir mourir au large de Terre Neuve. Tout d’abord, ils grimperont jusqu’au cul de sac de la grande île d’Ellesmere pour ensuite être remis sur un courant nord-sud le long de l’île de Baffin. Nous, là haut, ces mastodontes nous impressionnent toujours autant, comment s’en lasser ?
 
Tout au long de la journée, les chiots du village encore en liberté en profitent pour grappiller quelques bricoles à se mettre sous les crocs, je soupçonne Karin de craquer à leur regard de fripouilles malodorantes. Quant aux bruants lapons, ils se sont adaptés et commencent à becqueter les restes de pain dur, d’ici quelques jours, ils reprendront leur long voyage vers le sud, l’hiver est en train de s’installer doucement…
 
Le week-end, le village est encore plus calme, on entendrait presque la respiration des mascottes qui attendent leur pitance !!!

A pluche
 

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Camp de la pluie

21 août 2017
 
Je ne vais pas vous parler du changement climatique, car ce n’est pas du tout ma «science», mais ce que j’ai remarqué c’est qu’en un claquement de doigt, l’été n’a même pas eu droit à un automne, il a basculé en mode hivernal, constatation du «petit» méditerranéen que je suis ! La pluie ne nous a pas lâchés, le vent du sud a su maintenir le crachin et le froid. Ce matin, entre deux bourrasques, nous avons décidé d’endosser l’habit de Robinson Crusoé, mais qui sera le «Vendredi» de service ?  
 
Alors qu’équipés comme des cosmonautes, nous partions à l’assaut du point culminant de l’île qui frise les 250m quand même, Karin m’interpelle de loin, dame baleine a décidé de jouer la curieuse. Oubliée la rando, nous devenons de simples observateurs. A deux encablures de la rive, elle passe tranquillement sans s’occuper des deux «prisonniers polaires». Sa grâce et sa majesté nous émerveillent, cela fait 2 mois que j’en croise et à chaque fois, je suis aux anges. Comme une plongeuse, nous la suivons aux bulles, elle perce la surface en lâchant son souffle puis elle sonde pour retrouver son univers.
 
Nous reprenons la route, l’île n’est pas si grande et en quelques enjambées, nous la découvrons. Une cabane en bord de mer nous attire, bien sûr, pas de serrure, notre curiosité est trop forte, nous rentrons. Bien rangée, des petits lits sont superposés, des enfants doivent y passer du bon temps, le coin cuisine est aussi sympa, la photo pieuse bien sûr est en bonne place. Les « qivitoqs » ne pourront pas y séjourner. Puis à flanc de montagne, nous prenons de l’altitude. Dans un pierrier immense, un amas trop régulier nous interpelle, une fois de plus nous trouvons un tombeau des temps passés. Entre deux interstices, 3 crânes reposent, le lichen témoigne de la lointaine époque du décès de ces personnes. L’eskimo se moque du passé, il ne va jamais à la recherche de son histoire et ces tombes isolées resteront à tout jamais des mystères non
élucidés.
 
La pluie nous rabat au bivouac. Dans l’abside, j’arrive à rôtir les champignons ramassés du matin, les rabats de la tente ont vu sur le large au cas où un gros iceberg pète ou que dame baleine veuille bien repasser. La vie sous tente quand il pleut est un arrêt sur image, le temps
n’existe plus, allongés côte à côte, nous partageons ce présent si atypique. En visualisant notre situation, nous voyons un petit point orange planté au nord d’une île polaire désertique, ici nous sommes «nous», sans fioriture, sans façade, dans ces 3m² habitables à l’abri du blizzard, nos vies se mêlent. Karin me raconte son été, le mien est difficilement racontable mais au bord de la mer de Baffin, nous sommes juste à notre place.
 
Ce soir encore, la pluie et le vent du sud nous emprisonnent, la houle vient rendre la mise à l’eau difficile, mais demain est trop loin pour que l’on s’en
inquiète.
 
Rendez-vous lundi 21  à 12h40 sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-
Charles Marcily.

Le froid, la pluie et les bourrasques

20 août 2017
 
L’escale rend le départ difficile, le confort de la cabane, demande une folle motivation pour affronter le froid et la pluie, pourtant là-bas au bout de l’horizon se cache la liberté. Un vent du sud-est de 8 mètres/seconde est annoncé. La pluie, très certainement, nous tiendra compagnie toute cette journée, mais d’un commun accord, nous décidons de partir vers le nord.
 
La marée est assez haute pour nous permettre le chargement des kayaks sans trop de portage. D’entrée, le vent dans le nez teste notre envie de départ. Fini les 15° de la semaine dernière, la neige n’est pas loin et les couches de vêtements sont nécessaires pour pouvoir tenir le coup. Karin ouvre la route, c’est elle qui doit donner le tempo, mais la règle est stricte, jamais nous ne devons être à plus de 50 mètres l’un de l’autre. Bien que plongeuse professionnelle, je lui donne les consignes de protocole en cas de chavirement. Son kayak, bien que stable, est beaucoup plus léger que son nautiraid, une mauvaise vague peut rapidement la faire dessaler dans une eau à 2°. La baie est calme, seul le vent contraire nous met dans le bain. Au bout d’une heure, juste avant la pause café, des icebergs jouent les acrobates en nous proposant des figures de gymnastique tout en lâchant des tonnes de glaçons, ça pourrait être le pays des apéros, mais ici l’alcool est très rare. Nous beachons nos embarcations, en prenant soin de coincer nos aussières de proue pour éviter la fugue de nos compagnons de navigation. Alors que notre barre de céréales fait trempette dans un bon jus de chaussettes bien chaud, un immense iceberg pète en se chavirant complètement ! Contemplatifs, nous admirons le spectacle jusqu’au moment où une vague se diffuse dans la baie. Ni une ni deux, l’unijambiste court jusqu’aux kayaks pour éviter de les poursuivre à la nage, ici tout est attention et concentration.
 
Nous reprenons la route avec prudence, la pluie est toujours là, notre détermination n’a pas bougé d’un poil de phoque ! A midi, une bonne nouille chinoise et sa boite de maquereaux à la sauce tomate, font partie de ces bons petits moments qui donnent du carburant. Mais la pluie redouble de force ainsi que le vent, nous sommes dans un fjord qui doit avoir un effet venturi, alors confiants, nous décidons de poursuivre. Les rafales sont vicieuses, elles marquent le visage, Karin, semble souffrir, mais ne veut pas lâcher. Je lui donne 20 mètres d’avance pour l’observer, les bourrasques
redoublent de violence, je vois qu’elle est à bout. Avec difficultés, je viens à son niveau pour lui donner la consigne de faire demi-tour. Le vent devient violent, je suis inquiet pour elle, il nous faut rapidement un abri. Un trou de galets cerclés de moules, sera notre arrêt d’urgence, l’accès est casse gueule mais assez bon pour battre en retraite. Karin, explose en larmes, l’effort a été violent mais nous sommes à l’abri, la pluie se renforce, il faut laisser passer l’orage… Finalement au bout d’une heure, le grain s’est épuisé et nous reprenons la route cap au nord. D’un beau campement, une baleine vient nous dire bonsoir, l’effort en valait la peine…
 
A pluche.

Avant départ

18 août 2017
 
C’est bien connu, à partir du 15 août ça se rafraîchit. On peut vous le confirmer, ici c’est déjà le début de l’automne. Le thermomètre décolle à peine du 0°, un vrai calvaire pour les «pôvres» moustiques qui tentent la
résistance, mais leur bataille sent la déroute ! La cabane est chauffée et tout est sec, ce qui change de ma vie de vagabond. Jusqu’à présent, le soir en tente, après une journée humide, le couchage avait le confort d’une belle pataugeoire! La pluie qui est assez rare en cette zone n’a pas cessé depuis plus de 24h, mais il en faut plus pour nous décourager. L’océan Arctique doit avoir une sorte d’aimant pour les nomades rêveurs.
 
Le kayak confié à Karin doit être testé. Les réglages, bien que basiques, demandent sérieux et précision. Le gilet sera obligatoire, bien moins stable que le Nautiraid, un chavirement serait fatal. Le golfe est d’huile, le plafond bas rend le silence encore plus lourd, plus puissant. Nous glissons sans bruit sur l’eau, la mer cristalline nous permet une observation détaillée des fonds. Oursins, holothuries, étoiles de mer, morues, tout est sous nos yeux à portée de pelle. Là-bas au fond de la baie, un torrent se jette avec force dans l’océan, c’est un endroit connu pour son eau limpide. Karin ouvre la marche, cela fait 2 mois qu’elle n’a plus pagayé, elle doit trouver son rythme. De mon côté Immaqa est complètement vidé de tout son matériel et il me semble aussi léger qu’une plume. Entre averses et accalmies, nous progressons mais le froid est intense, nous obligeant au port de gants étanches. Depuis une semaine, je m’étais transformé en fée de cabane, pour rendre la maison supportable mais cet appel du large me rend serein avec une folle envie de nouveau départ.
 
Une belle dalle plate reçoit nos embarcations, ce qui facilite le débarquement. L’eau ici, est à profusion alors qu’en bas dans le sud la sécheresse dévaste les maquis méditerranéens. Bien qu’abondante, ici c’est compliqué de l’utiliser, personne ne peut laver, rincer son matériel, tirer la chasse, faire couler un bain ou remplir une piscine. L’eau reprend sa vraie valeur. Ici, au pays d’apustiaq (flocon de neige), il faut, soit faire fondre des bouts d’icebergs, soit aller chercher son bidon d’eau au distributeur communal ou être à portée d’un torrent facile d’accès en bateau. Donc, nous remplissons nos bouteilles et un jerrican pliable, ce qui nous désaltérera pour quelques jours. Le retour est aussi polaire, mais la beauté du lieu nous kidnappe l’envie de nous plaindre, gémir ici, c’est une offense à la vie. De retour à la cabane, nous concluons que le test est positif.
 
Demain, nous chargerons nos kayaks pour une balade de quelques jours à la recherche de belles baleines. La balise sera activée, ce qui vous permettra de nous suivre à la trace, pas à pas.
 
PS : Jo Zef et Norra se sont gentiment proposés de garder la cabane. La mascotte retient que de belles casquettes (que je porte en photo), nous ont été envoyées de Corse, mais pas une à sa taille, là il boude !!!