Il y a des moments qui restent gravés dans la vie de tout un chacun et hier soir en fait partie. La toute petite église protestante d’Oqaatsut s’est transformée hier en salle initiatique où le chamanisme nous a transporté dans un autre monde. Un groupe d’hommes et de femmes sont venus présenter leurs rites, leurs croyances, leurs origines. Nous étions les témoins d’un moment de grâce. Chant guttural, où le vent de la toundra se fait entendre, où les pas du grand nanoq nous ont fait frissonner, où les aurores boréales nous ont enveloppé de tendresse, où les qivitoqs (esprits malfaisants) sont venus nous conter légende. Nous en sommes sortis bluffés et conquis, les anciens du village nous regardaient en coin, je crois qu’ils nous apprécient…
Ce matin le vent a encore pris de la force, la bise est vraiment forte, autour du poêle à pétrole un petit déjeuner copieux réchauffe ma belle équipe. La pluie omniprésente nous prend en otage alors nous décidons d’orner le grand mur blanc de quelques étoiles. Nous, les mutilés de la vie nous sommes des lumières filantes rescapées du big bang. Alors chacun a dessiné son étoile avec son verbatim. Encore un bon moment d’émotion et de tendresse.
Puis je dois mer remettre à chercher la solution pour ma cabane qui n’est pas encore électrifiée. Mais ici tout est compliqué… Le responsable de la « technique » parait motivé pour m’aider; il appelle Ilulissat qui bascule à Nuuk la capitale pour revenir à Ilulissat où d’après une dame, ma maison n’existe pas… Mdr ! Ma maison étant à deux pas de la salle communale qui est toujours fermée, je me dis qu’en tirant des rallonges ( ramenées de Corse) je pourrai être sauvé… On me promet que lundi se sera arranger!
Immaqa! (peut-être!)
Pendant mes démarches, les filles se lancent dans la cuisson d’une belle pile de crêpes, avec le froid de canard qu’il fait dehors tout le monde est d’accord pour les engloutir. Nous sommes vendredi et ce les douches communales seront fermées tout le week end, alors nous en profitons pour un décrassage bien mérité.
En plein milieu du golfe, La Louise, belle goélette du fameux marin Thierry Dubois, est solidement ancrée face au vent qui ne faibli toujours pas. Nous sommes très chanceux; il nous invite à bord pour une visite guidée. Le voilier est tout simplement somptueux, du long de ses 19 mètres il est taillé pour les mers polaires et peut accueillir à son bord 8 invités. Thierry nous parle de son parcours hors norme de régatier. Il a participé à 2 Vendée Globe Challenge et a subi un naufrage à 3000kms au sud de l’Australie tout prês des côtes d’Antarctique. Sa vie est aventures et découverte de nouvelles limites, je sens mes stagiaires très très attentifs, ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre des légendes de la mer. Alors que nous parlons de la navigation au Groenland, un grand boum nous interpelle. Mon pote Steen nous appelle, il est sur une embarcation, je n’en crois pas mes yeux! C’est mon petit bateau Ifaraq qu’il vient de récuper sur la berge, mon aussière, par les coups de boutoirs dus au clapot, à cédé ! Il monte à bord avec un grand sourire, les qujanaqsuaq (merci beaucoup) sortent en boucle, le sauveur a été sauvé ! Il est temps de rejoindre la terre ferme, nous échangeons nos contacts, je crois qu’une belle histoire entre La Louise et Bout de vie est en train de voir le jour…
C’est la dernière soirée de l’équipe, demain matin de très bonne heure ils vont devoir démonter leur camp, à 11h « local time » ils s’envoleront pour rejoindre leur famille. En attendant ce soir ils vont avoir la chance de gouter au mataq (peau et graisse) de narval, foie de phoque cru, ammassat séchés, suivis de la soirée chants chamaniques.
A minuit je reprends la mer pour aller chercher un de mes invités qui va continuer à m’épauler pour la restauration de la maison bleue… Encore une sacrée journée…
Un immense Takuss du bout du monde, on vous envoie de la fraîcheur, du silence et beaucoup de sérénité…
PS : BAPP