Reveil à 5h, le soleil et les moustiques sont déjà au rendez-vous, la belle équipe doit démonter le camp, le départ est fixé à 8h30. Les yeux vers le large, je vois, je sens le vent, le bateau est petit, je croise les doigts ! Au départ l’émotion est palpable, le village est endormi, seule Ingrid est au rendez-vous d’adieu. Cette jeune femme est touchée par le groupe, sa vie est sur un fil, malgré son cancer elle guide encore un groupe de kayakistes en baie de Disko. Nous lui envoyons toute notre énergie, Ange-Paul et Marion s’en sont sortis, on sait qu’elle aussi… Au mois de septembre elle repart au combat contre sa maladie… Allez visiter sa page Face Book Ingrid Ulrich, sa volonté et sa rage de vivre sont impressionnantes!
Nous voilà partis, le village d’Oqaatsut est dans le sillage du vaillant Ifaraq, le vent de terre est virulent, il me faut jouer l’indien pour être en toute sécurité. Nous frôlons la côte, la brise a chassé les icebergs, la mer est libre de glace mais les moutons annoncent une traversée musclée. Pas un mot, pas un geste, les 6 le savent, c’est leur dernière heure au pays du silence. Je me demande se qu’il se passe dans leur tête. Je croise les doigts en douce, au bout du promontoire le port est en vu, ouf nous y sommes.
Tous va très vite : un taxi est là, un autre pas loin, nous filons au bout des 3 petits kilomètres de route unique d’Ilulissat à l’aéroport. Patrick à l’aller a perdu sa carte d’identité, j’espère qu’il va tout de même embarquer avec son permis de conduire, là aussi ça passe ! Les bagages sont enregistrés, il est temps de se dire « takuss ». Chacun à sa part d’émotion, tous m’embrassent, tous me regardent droit dans les yeux, je sens de la fierté, chacun a réussi à trouver de nouvelles limites.
Mes derniers mots ont été : « Bravo les jeunes, vous avez découvert de nouvelles limites, vous avez compris que c’était possible. Quand les « autres » parlent, vous, vous agissez. Quand les « autres » vous disent attention, vous, vous avez déjà dépassé le danger. Avant que vous partiez, je veux juste vous dire que je suis fier de vous. N’oubliez pas que vous devez vous bouger les fesses, ne jamais lâcher, croyez en vos rêves ils vous appartiennent, la vie ne vous attend pas, elle se moque de vos bobos, alors foncez même si vous boitez… »
Un peu ému, l’aventurier à cloche pied ! Je saute dans un taxi pour rejoindre la ville où je dois faire mes courses, ce soir à la cabane leurs rires me manqueront. Par moment je sais que je n’ai pas été tendre, pas conciliant du tout, mais c’est ma marque de fabrique, c’est ma manière de transmettre. Il faut bosser pour y arriver, les mous ne s’en sortiront jamais et ça je crois qu’ils l’ont bien compris.
Depuis mon arrivé à Oqaatsut, un immense iceberg est scotché devant la cabane, une de ses immenses veines de glace lui donne un air souriant. Nous l’avons baptisé «smiley », promis les jeunes je vous donnerai de ses nouvelles, le jour où il commencera sa longue route je vous tiendrai au courant, je sais que tout au long de son voyage il se souviendra, qu’un jour dans un village groenlandais une bande d’abimés de la vie avait trouvé une belle excuse pour vivre coute que coute…
Mon hôte arrivé cette nuit sera mon binôme cette nuit. Furtivement ce matin il a rencontré la belle équipe, il a été très touché. Lui aussi a perdu son bagage, décidément cela devient une tradition d’Air Greenland…
Jusqu’au 30 aout je serai au pays d’Apoutsiaq mon journal de bord vous sera confié. Pensées polaires, philosophiques, rencontres, introspection, rêves de papillon, projets, écriture, encore quelques beaux jours pour être un Freeman plus que jamais…
PS : BTAPP
A pluche!!
Takuss les 6!
5 août 2018Camp des baleines
28 juillet 2017Encore une fois, toute la nuit, ça a soufflé et le sommeil devient plus compliqué dans une tente sous les rafales. Au petit matin tout est calme, je me dis que c’est le bon moment pour reprendre la mer. Au moment de partir, à quelques encablures plus à l’ouest, entre deux blocs, une silhouette blanche attire mon attention. En deux coups de pagaie, je découvre une partie du squelette d’une baleine, encore à deux pas, un camp est gisant, tente détruite, objets personnels parsemés de ci de là, avec même un poêle à pétrole qui semble en bon état. La découverte me remet les pieds sur terre, ici nous ne sommes que des passants très peu tolérés. Ce matin, le portage a été douloureux, je n’ai pu trouver de bivouac adéquat, alors je me suis contenté d’un plan incliné. Mais mon cher moignon, lui, préfère le plat et cette position pied en bas l’a fait enfler, une bonne partie de «rigolade» pendant deux heures…
La mer est d’huile, je serre les fesses, qu’est ce qui nous attend ? Rien, que du bonheur, une mer plate, douce et sans courant, je crois être dans un rêve. En frôlant d’immenses falaises, des guillemots m’offrent leur chant qui est un doux sifflement, les bernaches se poussent toujours un peu à notre passage et les colosses de glace se font de plus en plus rares. Oui, c’est ça que j’étais venu chercher, du calme teinté de poésie boréale, de la paix inspiratrice de poèmes pour dame Nature, mais hélas, jusqu’à présent, elle ne m’a permis que des combats truqués où le kayakiste perd chaque partie. Heureusement, l’échec et mat a été évité, de justesse, mais évité quand même…
Je poursuis, je chante, la mascotte se bouche les oreilles ! C’est bon la vie ici. Une belle plage nous permet l’arrêt café, barre de céréale puis le cap Tulugaq nous offre sa brise et courant contraire, mais cela fut bref, la mer d’huile était au coin, juste après la pointe. 3 phoques nous épient, un point rouge sur l’eau qui se traîne en chantant, ça va rester dans les annales. Nous sommes venus pour les baleines, mais rien de rien, que du calme, ce n’est pas grave, la vie est belle quand tout est calme. Je longe une côte austère, impossible de trouver un coin bivouac, alors nous traversons, cap sur une petite île. Nüa, c’est son nom, nous permet de poser le camp du jour. Là bas, très au Nord, le détroit de Disko, nous fait entrevoir le coin où tout a failli basculer. Un frisson me prend les tripes, là bas j’ai rebroussé chemin, là bas un tsunami a enlevé des vies, des vents violents ont mis le kayakiste en rouge en zone noire et en regardant ce grand Nord, je ne regrette aucunement mon choix de retour en arrière. Plus de 500 km effectués en 39 jours, 39 jours d’apprentissage, 39 jours pour comprendre les règles des côtes du Groenland. Ma route n’est pas finie, il me faut rester très attentif, très prudent, ne rien laisser passer, mais aujourd’hui, là à l’instant présent, sur une petite île de la côte ouest de la grande île d’Agdlugtoq, un homme libre savoure le silence et le bonheur d’être tout simplement là où il est …
Yes i’m a Freeman, Kuffaanngissuesq…
Camp de la liberté
11 juillet 2017Ce matin vers 4h, un miaulement me fait sursauter, ni une ni deux je suis hors de la tente, un chat ici impossible ! En fait je me trouve nez à museau face à un renardeau perdu, son cri est plus qu’étrange, il me glace les os. Je ne sais quoi faire, serait-il orphelin ? La vie ici est survie. Hier, avant de me coucher, une butte de lave m’a inspiré une grimpette et ma découverte fut funeste. Des tombes éventrées avec des os humains éparpillés un peu partout. D’énormes pierres plates ont été déplacées, peut-être un ours en quête de pitance ? Ces sépultures semblent très anciennes, mais qui y repose ? Eskimos qui ont péri par une terrible tempête, explorateurs en quête de nouvelle terre ou aventurier assez fou pour y venir en kayak !
Ce matin vers 6h, le ciel s’éclaircit un tout petit peu. Je « dois »repartir vers ma quête du nord ! En moins d’une heure, nous sommes sur l’eau, les gestes deviennent simples et précis. Mais le brouillard revient de plus belle, une vraie « cotonnade ». Le courant nous porte, ça c’est bon pour le moral mais ce qui est incroyable c’est ce manque de visibilité, une trentaine de mètres maximum. Par précaution, hier soir les piles du GPS ont été changées, la carte ne nous suffira pas, le passage du delta va être costaud. A pas de loup nous avançons, l’atmosphère est «hitchcockienne », l’air irrespirable, j’ai l’impression de naviguer sur le dos d’un monstre visqueux. L’eau devient marron et pour éviter les hauts fonds de vase, je dois passer loin au large. Mes repaires de côte disparaissent, mes yeux sont fixés sur mon compas qui me donne le cap. Je n’arrive ni à boire et encore moins à m’alimenter, la tension est à son plus haut niveau à bord de l’équipage d’Immaqa. Par moment, je stoppe mes coups de pagaie pour sentir la mer, des bruits de déferlantes me viennent du large. Je ne comprends pas, je suis loin mais très loin au large. Mon GPS me donne à 600m du bord, mais je vire pour m’avancer encore plus en eau profonde. Soudain, une veine de courant me prend et m’amène d’un bord sur l’autre. Mes mains sont cramponnées aux pagaies, je donne toute ma puissance possible, une vague plus traitre que l’autre me balaie le pont, une deuxième encore plus forte manque de me faire chavirer, puis tout redevient calme et tranquille. Mes mains en tremblent encore bien après cet assaut. Le GPS me fixe à presque 1000m du bord mais sera-t-il juste ? Depuis le premier cap, il me donne des positions aléatoires, le doute s’installe. Je reprends ma navigation quand j’entends encore des « choses » étranges. Une autre veine encore plus vicieuse me happe, je n’arrive plus à gérer. Avec moi, le kayak frise les 250kg, quand il gîte même avec toutes mes forces il m’est impossible de le redresser. Je visualise ce moment en me disant que ce n’est pas le moment et qu’il n’y aura pas une tombe supplémentaire ici. Je ne sais pas d’où m’est venue cette force mais en un coup de rein, Immaqa se redresse pour se retrouver à plat en haut d’une lame boueuse, je dois trouver la sortie. Finalement le calme revient, comme sur un lac. Et si j’étais devenu fou ? Mes mains tremblent, mon cœur bat la chamade. En un clin d’œil je viens de comprendre que je suis un miraculé. Mon GPS me donne encore 5,75 km plus au nord pour sortir de ce piège ou alors faire un 180° et revenir en arrière. Ma décision est rapide, simple, sans aucune excuse, nous retournons en arrière. Cette fois c’est de face que nous forçons les passages et au bout de 2h nous voilà sortis d’affaire…
Naviguant vers le camp précédent, la petite voix enfin revient, elle me sermonne, me corrige : Alors tu ne veux plus m’écouter ? Tu vas où sale gosse ? Tu as vu l’arche blanche devant toi ? Tu y allais directement. Effectivement un truc assez démentiel, s’est présenté à moi. Dans ma route choisie, une sorte d’arc en ciel neigeux semblait m’attendre, une sorte de tunnel blanc. D’un seul coup, superstition ou pas je réalise que la mort était au rendez-vous. J’ai même réussi à le prendre en photo… Au cap, je crie tout fort comme un dingue que je suis un homme libre et personne et encore moins un rêve ne me mettront en prison ou dans un trou de lave perdu au grand nord du Groenland. Je prends la décision de revenir en arrière jusqu’à ma petite maison d’Oqaatsut 300km plus au sud. Oui vous avez bien lu, je ne vais plus au nord. Mon choix de vie est la liberté et une succession de signes m’ont fait comprendre le précieux cadeau qu’est la vie.
Comme par miracle, passé le cap qui me mène au camp que j’ai lâché ce matin, une baleine vient à ma rencontre puis une deuxième, une équipe de phoques en profite pour m’offrir encore de belles « delphineries » et là bas, au bout de cette baie de lave, je vais monter mon camp pour vous envoyer tout l’amour de la vie. Je rassure par téléphone Karin qui est enfin soulagée par rapport aux tsunamis qui ravagent tout en tuant et rasant des villages ; aux courants contraires et surtout à la période très douteuse sur les conditions météo qui annonce encore de très gros coups de vent pour l’avenir.
Tout doucement, je vais longer la côte que je connais maintenant tout en prenant soin de bien observer le ciel, le baro et la fameuse petite voix… Ici au pays d’Apoustiaq, un homme est heureux d’être simplement là où il est, à la place qu’il a. Vive la vie… J’ai encore lu tous vos messages de soutien, vous ne savez comme ils me touchent, merci beaucoup, vous êtes ma force.