Camp de la chance

25 juillet 2017
 
Depuis hier matin, il me semble avoir vécu plusieurs vies. Donc, hier je pars de la micro baie qui me protège, le vent d’est est déjà en place, mais je sais que derrière, la montagne de glace va faire un beau rempart contre le vent. Me voilà dans la forêt d’icebergs. Trouver le passage est un métier de devin, mais pas à pas je sais que ça va passer. En longeant la côte, les milliers de glaçons lâchés par les icebergs qui pètent font une barrière dense, prendre trop au large me mettra dans un tapis roulant de vent et courant contraire. L’unique solution à mes yeux et mon expérience en glace de nouveau né, c’est de slalomer !  Oh mon Dieu, comme je suis petit au milieu de ces titans. Quand je suis trop près j’accélère, de 3,5km/h, je passe à 5km/h en puisant une énergie pas possible. Deux heures de grosse concentration pour enfin me libérer.
 
Le petit village de Qeqertaq est enfin devant moi. Je dois réparer l’une des roues de mon chariot qui me permet de sortir Immaqa de la zone de submersion en cas de rupture de gros glaçons. Une petite baie sert de mise à l’eau pour les pêcheurs du village, mais c’est aussi là où on jette ce qui est cassé, je reste très prudent. Le kayak en sécurité, un esquimau me trouve le jeune punk du village qui détient le local magique. Mais à mon grand désespoir, cela semble plutôt une poubelle ! Au milieu de vieux pneus de quad, pas le moindre outil pour déchausser mon pneu, il va falloir y aller tout en force… Beaucoup de système D et une bonne heure, me voilà en place, mais quelle énergie ! L’un des copains des jeunes est venu nous soutenir, mais je sens que quelque chose ne tourne pas rond, j’ai des sueurs froides.
 
Il me faut trouver les nouilles chinoises que je n’ai pas  trouvées à Saqqaq et deux litres d’essences pour mon réchaud. A la douche, je me détends mais je commence à avoir des vertiges. Il me faut reprendre la mer au plus vite, juste en face à 5km, une belle plage sera mon havre de paix. J’ai chaud, alors j’enlève des couches. Je n’ai pas mangé depuis ce matin et chose étrange je n’en ressens aucune envie. Les derniers mètres n’en finissent plus, il y a quelque chose qui ne gaze pas. A peine Immaqa beaché, je pars pour uriner et là d’un coup, comme un coup de fusil, je m’écroule, je tombe dans les pommes, l’amarre de mon pauvre kayak simplement posé entre les moules d’une marée exceptionnellement basse. Une dalle plate m’a amorti, mais rien à  faire, je suis KO. Combien de temps, je ne sais pas mais ces secondes m’ont parues interminables. Titubant, je récupère mon amarre pour la doubler et la fixer sur un gros caillou, l’effort est surhumain, mais notre vie est en jeu. Une fois cet effort énorme pour le cadavre que je suis devenu, une dalle plate me permet de m’allonger de tout mon long, à ce moment là, burn out, je m’évanouis. Quand je reviens à moi, la marée est montée d’un cran, il me faut décharger mon barda et tout mettre en place. Des sueurs froides me saisissent, des millions de moustiques s’acharnent sur moi, j’ai vraiment l’impression d’être rentré en enfer. Une heure et demie pour tout monter, tout sécuriser, je m’écroule sur une dalle pour une troisième couche, je repars dans le cirage. Cette fois, cela a duré plus longtemps. Les moustiques n’ont pu attaquer ma tête couverte d’une moustiquaire, mais ils se sont acharnés sur mes mains, elles ont doublé de volume…
 
Je bois, je sens qu’il faut que je boive. Puis vers le nord, je vois un bivouac, il y a du monde je suis sauvé. Je hurle comme je peux, ils m’ont entendu, je suis sauvé… Xavier et Birte sont à mon chevet, il est médecin, une chance sur un million et il est là, à mes côtés. Son diagnostic est sans appel, malaise vagal. Depuis un moment, je me suis restreint en me mettant en sous alimentation, puis à Saqqaq j’ai remangé à ma faim, un bon chasseur m’a offert 2 kilos de phoque que j’ai englouti, mais toute la nuit j’ai été malade comme un chien. Puis j’ai repris ma route et là, à ma dernière escale j’ai fait une razzia sur les moules et de nouveau mes intestins m’ont expliqué la vie. Bien sûr, il y a aussi une énorme tension que j’ai accumulée, une pression de mon invention qui m’a mis à genou.
 
Ce matin, j’ai retrouvé la forme, je peux tenir debout. A midi, un bouillon de légumes m’a fait du bien. Mes nouveaux amis Suisses ont été à mon chevet, je ne sais comment les remercier. Aujourd’hui, en papotant, nous nous sommes aperçus qu’il y a 4 ans, nous avions communiqué par mail. Il avait fait le tour de la baie de Disko en kayak et j’étais rentré en contact avec lui pour glaner quelques infos, le monde est vraiment petit. Une fois de plus, ma bonne étoile ne m’a pas lâché… Demain je vais rester sur zone pour récupérer à 100%. Tout rentre dans l’ordre doucement. Mes anges gardiens c’est vous aussi. Merci de vos pensées, cela m’aide, me touche…
Vive la vie

Interview Radio France Bleu lundi 24 juillet 2017

24 juillet 2017

Comme chaque lundi, nous retrouvons Frank Bruno Officiel, en direct du Groenland…

Publié par France Bleu RCFM sur lundi 24 juillet 2017

Libre, enfin libre

23 juillet 2017
 

Camp des victoires

21 juillet 2017

Nuit blanche

20 juillet 2017

 

 

Encore une nuit blanche, sous toutes ses formes ! Le vent fut glacial, la tente m’a paru si fragile mais pourtant elle a tenu le coup. Les rafales, une fois de plus, ont permis au nomade de refaire sa vie, de penser le monde. L’insomnie a la faculté de nous permettre d’entrevoir les rêves et de revisiter le passé. Régulièrement, je vérifiais les ancrages de mon abri, toutes les pierres de la plage ont muré mon refuge de toile. De belles bourrasques de neige rendait la nuit moins sinistre.

Au petit matin, Eole semblait fatigué de secouer le pauvre unijambiste emmitouflé dans son épais sac de couchage. Le côté positif des choses était que le monticule de glace qui pointe dans notre prochaine destination a diminué sans pour autant avoir disparu, et surtout la cambuse n’est plus en mode ration de guerre, la mascotte a repris des couleurs ! Qu’il est difficile de s’extirper d’un bon coin chaud pour enfiler ses habits froids et humides. Vous allez croire que je me plains si ça continue, mais je ne changerai pour rien au monde ma place. Le village semble complètement endormi, seules les explosions de gros icebergs brisent la quiétude de ce village du bout du monde.

Ce matin, je dois trouver un coin pour faire regonfler les deux pneus de mon chariot qui me permet de sortir Immaqa des zones de marnage. La mission s’annonce comique. Ici quasiment personne ne parle anglais et mon niveau de groenlandais est au même niveau qu’est le dialogue entre un chien d’aveugle et un sourd et muet ! A la maison communale, il y a un compresseur, mais voilà, il est là, fait du bruit quand on le branche mais aucun air n’en sort ! Je ne me dégonfle pas pour autant, il doit bien y avoir un coin pour prendre un peu d’air. Là bas au bout de la piste en terre, je vois un engin qui déplace des caisses de flétans, la Royal Greenland qui possède ce comptoir doit bien pouvoir me dépanner. Une porte bien calfeutrée me dit que derrière il doit y avoir du monde. Les mains congelées, je lâche mes deux pneus pour toquer, on me répond ! Devinez en quoi, mais en Groenlandais !!! Pas de souci, mes deux roues à la main avec du « pshittt quajanaq » leur font comprendre mes besoins. Tranquillement, mes deux eskimos, sans blouson s’il vous plait, me mènent jusqu’à un énorme container où finalement nous trouvons la pression juste. Une histoire qui ne manque pas d’air.

Puis c’est le moment de penser aux jours à venir, il me faut certes composer mes repas mais aussi le carburant pour cuisiner tout ça. Au niveau gaz, je pense être bon pour encore 3 semaines, en faisant très attention. Mais par précaution, j’ai aussi au fond du kayak un réchaud à essence, et plutôt que de jouer avec le feu, 4 litres de carburant vont nous alourdir tout en sachant qu’au niveau combustible on est prêt à être bloqué. Sur les rives de la mer de Baffin, il est facile de trouver du bois flotté alors qu’au milieu des fjords, cela reste très aléatoire. Le feu de camp est le summum du bivouac, on y cuisine sans restriction et on peut bruler ses déchets…

Vers midi, le soleil refait une apparition, l’intérieur de la tente se réchauffe, les affaires vont enfin sécher. Demain nous reprenons la route, l’équipe est prête…

PS : La mascotte hésite entre gâteau au chocolat et biscuit au citron, et entre chocolat noir et chocolat aux amandes ! Je me demande de qui elle peut tenir ça, sacré Jo Zef !

Village du bout du monde

19 juillet 2017

Saqqaq m’accueille depuis hier. Le froid, la pluie et surtout le vent fort d’est ne me donnent pas envie de retourner au « combat ». Alors, c’est le moment de prendre le temps de penser un peu à moi. Mes affaires lavées, recousues, le kayak observé sous toutes ses parties, je tente de m’imprégner du lieu où mon bivouac est dressé. Ces villages du bout du monde me fascinent, m’interrogent. Comment vivre là à l’année ? Quelle sacrée épreuve  si on n’y est pas né. Aucun moyen de communiquer entre eux à part le bateau l’été, suivant l’encombrement par les glaces et sinon en hiver en chiens de traineau. Ce mode de vie est complètement inconcevable pour nous les habitants des latitudes clémentes. La supérette en été, n’est livrée que par un petit bateau qui est la navette hebdomadaire pour tout fournir. Ce matin, il n’y a déjà plus de fruits qui viennent de si loin. Pour une pomme, un abricot le voyage est long pour finir dans l’étal de Saqqaq. Des cargos livrent Ilulissat, qui ensuite redistribue ce « butin », mais faut il que la mer soit libre de glace, que les tempêtes polaires ne mettent en avarie ces marins boréaux, seul lien possible avec le Danemark.

150 âmes vivent là, dans un silence incroyable. Tout le monde parle tranquillement sans faire de bruit, la rigueur du pays a rendu les gens silencieux. En hiver, quand le blizzard assaille le chasseur, il sait très bien que même s’il hurle personne ne l’entendra, alors il faut être attentif, sans en rajouter. Nous, pauvres latins avons beaucoup à apprendre d’eux ! Les maisons sont multicolores, trace du passage des danois, des marques sociales qui n’existent plus de nos jours. Avant, de loin, on savait que les rouges étaient celles  des pêcheurs, les bleues des notables etc etc. Mais ce que je remarque, c’est le nombre de maisons abandonnées. Les villes attirent les jeunes, même ici l’urbain semble un éden.  Ilulissat, l’une des plus grandes villes de la côte nord-ouest, avec ses 4500 habitants fait figure de mégapole où il y a l’eau courante, pas besoin de stocker la glace dans des bidons bleus pour avoir de l’eau. Aux toilettes de la ville on tire la chasse, dans les villages, c’est dans des sacs que l’on se soulage, puis ils sont ramassés par l’employé communal qui en est chargé. Mais la ville, c’est aussi la perte d’identité, la déconnection avec ses racines, mais la mondialisation est un ver qui ronge les pommes même les plus sauvages… Ici en quelques heures, les visages me sont devenus familiers, je me sens privilégié d’y être arrivé sur la pointe de la pagaie….

Ce soir le vent est violent, la pluie se transforme souvent en neige, au fond de ma petite tente jaune qui vibre aux rafales qui nous enveloppent, je suis de manière éphémère un habitant de Saqqaq…

Groenland 2017 : Expédition Kiffanngisssuesq

19 juillet 2017

A contre courant

17 juillet 2017
 

Tempête

16 juillet 2017
 

Camp Niviarsiaq

15 juillet 2017