Ne croyez pas que j’ai abandonné, c’est juste le chemin qui change. Le nord m’a refusé peu importe, le sud sera ma destination. Une cabane d’un ami volatilisé était cet objectif, il ne l’est plus. Désormais, c’est une cabane qui nous appartient, à ma compagne et moi-même. Vous voyez je n’ai pas abandonné. Ce matin j’ai repris la mer, mais pas pour longtemps, un coup de vent de sud-est m’a décoiffé, remis une deuxième ration d’adrénaline. Décidément le buffet des émotions est à volonté ici ma bonne dame ! Planqué dans une échancrure à l’abri des rafales qui atteignent les 30 nds, ma vie repasse en boucle, les bons les mauvais moments, tout s’entremêle. Les anciennes expéditions ressurgissent, elles me font sourire, elles m’émeuvent, la vie n’est qu’une longue expédition. Il n’y a pas de naissance et de mort il n’y a qu’une longue éternité sous plusieurs formes.
Hier soir, dans ma balade d’avant coucher, je suis allé me recueillir sur la tombe d’un enfant. Au milieu de la lave , un tout petit tombeau à moitié ouvert semble supplier le ciel. Les os du gamin sont répandus ici et là. Je pense à lui, à sa famille. A quelques kilomètres d’ici, ils ont retrouvé des momies d’enfants des années 1400. Serait-il un moins chanceux, un plus pauvre pour qu’il n’ait pas eu sa peau de momie, je ne le saurai jamais. Je regroupe les ossements et lui offre un bouquet de plumes et 3 yeux de Ste Lucie que j’ai toujours avec moi, ici les fleurs sont trop rares. Une sorte de prière sort de mes lèvres et je m’en retourne vers ma tente, vue sur l’océan, toujours aussi polaire.
Des chants corses me rendent nostalgique, mais mon île n’est elle pas dans mon cœur ? Alors je me laisse bercer par quelques belles histoires. Soudain, une déflagration monstrueuse m’en fait perdre les oreillettes de mon MP3, un iceberg de 30 m de haut, 300 m de long et peut être 100 m de large, explose en mille morceaux. Des pans entiers « splashent » sur la mer, du fond des abysses, des montagnes de glace surgissent. Une série de vagues monstrueuses prend le cap de la petite tente orange. Aucun souci, nous sommes plantés à au moins 6 m au
dessus du niveau de la mer et Immaqa bien haut sur la plage. Mais une série de vagues me fait comprendre l’importance de la hauteur du bon bivouac, ouf !
Ce matin, alors que j’étais calé sur une plage de galets en me demandant si le vent allait se calmer ou pas, j’ai ouvert mon calepin et griffonné ceci : J’ai choisi le chemin de l’inconnu, de la route noire, celle qui donne des raisons d’aimer la vie, ce sillage si tortueux mais qui mène vers la paix intérieure. Par hasard, ici tout est noir, terre volcanique où rien ne pousse, rien ne vit, ici on ne peut que passer. Un lieu où je grandis, où je découvre d’autres limites. Le sillage noir nous permet d’apercevoir ces petites lumières, de les apprécier encore plus. Le Cap des Défunts, c’est certainement le nom que l’on aurait donné à ce promontoire. Aussi sinistre, que mystique, la rudesse en est sa couleur pastel. Ici pas de chasseur, pas de pêcheur, pas d’explorateur, que des âmes en passage qui prient pour leur salut. Si l’enfer existe, ici c’est sa plus belle fenêtre. Seul au milieu de rien, mon âme se purifie, se nettoie de tout le superflu. Le Cap des Défunts est un monastère austère, le passant doit s’y incliner. Quand les tempêtes le retiennent en otage, il ne rêve que de s’enfuir, et quand il est libéré, ce lieu reste à jamais gravé au fin fond de ses souvenirs…
Ecrit sur mon vieux calepin au cap des défunts, 12 juillet année 2017…