Saqqaq m’accueille depuis hier. Le froid, la pluie et surtout le vent fort d’est ne me donnent pas envie de retourner au « combat ». Alors, c’est le moment de prendre le temps de penser un peu à moi. Mes affaires lavées, recousues, le kayak observé sous toutes ses parties, je tente de m’imprégner du lieu où mon bivouac est dressé. Ces villages du bout du monde me fascinent, m’interrogent. Comment vivre là à l’année ? Quelle sacrée épreuve si on n’y est pas né. Aucun moyen de communiquer entre eux à part le bateau l’été, suivant l’encombrement par les glaces et sinon en hiver en chiens de traineau. Ce mode de vie est complètement inconcevable pour nous les habitants des latitudes clémentes. La supérette en été, n’est livrée que par un petit bateau qui est la navette hebdomadaire pour tout fournir. Ce matin, il n’y a déjà plus de fruits qui viennent de si loin. Pour une pomme, un abricot le voyage est long pour finir dans l’étal de Saqqaq. Des cargos livrent Ilulissat, qui ensuite redistribue ce « butin », mais faut il que la mer soit libre de glace, que les tempêtes polaires ne mettent en avarie ces marins boréaux, seul lien possible avec le Danemark.
150 âmes vivent là, dans un silence incroyable. Tout le monde parle tranquillement sans faire de bruit, la rigueur du pays a rendu les gens silencieux. En hiver, quand le blizzard assaille le chasseur, il sait très bien que même s’il hurle personne ne l’entendra, alors il faut être attentif, sans en rajouter. Nous, pauvres latins avons beaucoup à apprendre d’eux ! Les maisons sont multicolores, trace du passage des danois, des marques sociales qui n’existent plus de nos jours. Avant, de loin, on savait que les rouges étaient celles des pêcheurs, les bleues des notables etc etc. Mais ce que je remarque, c’est le nombre de maisons abandonnées. Les villes attirent les jeunes, même ici l’urbain semble un éden. Ilulissat, l’une des plus grandes villes de la côte nord-ouest, avec ses 4500 habitants fait figure de mégapole où il y a l’eau courante, pas besoin de stocker la glace dans des bidons bleus pour avoir de l’eau. Aux toilettes de la ville on tire la chasse, dans les villages, c’est dans des sacs que l’on se soulage, puis ils sont ramassés par l’employé communal qui en est chargé. Mais la ville, c’est aussi la perte d’identité, la déconnection avec ses racines, mais la mondialisation est un ver qui ronge les pommes même les plus sauvages… Ici en quelques heures, les visages me sont devenus familiers, je me sens privilégié d’y être arrivé sur la pointe de la pagaie….
Ce soir le vent est violent, la pluie se transforme souvent en neige, au fond de ma petite tente jaune qui vibre aux rafales qui nous enveloppent, je suis de manière éphémère un habitant de Saqqaq…