Escale a Qeqertaq

3 juillet 2017

 

Incroyable l’aventurier qui squatte le bureau communal avec douche chaude à volonté, machine à laver le linge et même une brève connexion internet. Comme dirait la mascotte ce n’est plus de l’aventure « cha » !!!

Mais avant d’en arriver là encore beaucoup de chose se sont passées. Ce matin au réveil entre deux flocons de neige et un rayon de soleil je m’extirpe de mon gros sac de couchage. Le vent est quasiment nul et le fjord pas trop encombré de glace. La routine du nomade s’accélère, rangement en sac du barda, remise de la mascotte dans son sac étanche et petit déjeuner aux airs de la radio groenlandaise qui m’offre de vieux airs de country avec quelques refrains locaux. Je ne suis pas pressé, à 8h40 comme chaque lundi je serai en direct sur France Bleu RCFM. A l’heure pétante mon téléphone satellite sonne, je suis en direct. Jean-Charles, l’animateur ami de longue date, me connaît par cœur. En plus de son métier de radio c’est un homme d’images. Il a réalisé deux documentaires. Le premier est sur notre traversée à la rame de l’Atlantique « Al di la di u mare » et le deuxième sur mon parcours d’aventurier « Giramondu ». Donc il suit mon périple et trouve toujours les mots justes et les questions judicieuses. Aujourd’hui, en plus de tout cela il a un invité surprise ! Patrick est à l’antenne, nous nous sommes connus il y a 34 ans. Lui avait 12 ans et moi 18, on venait de perdre un bout de notre corps, notre avenir était plein de doutes. Je ne m’attendais pas du tout à son intervention et ma voix vacille. Etre si loin en condition extrême développe en moi une hyper sensibilité, qui me capture à chaque fois, le moment est un pur bonheur…

Mais il faut plier bagage. En face, à 6km le petit hameau de Qeqertaq (prononcé rérértak). La traversée est sans embûche. Je cherche un petit trou « safe » pour Immaqa. Entre de petites embarcations ficelées de tous côtés, une échancrure me fait entrevoir mon poste d’escale. Un couple est affairé sur un vieux bateau de pêche échoué par la marée, je les salue d’un « Aluu », ils me répondent un peu surpris. Normalement les groenlandais ne sont pas très loquaces mais là ils se lâchent : Vous êtes seul ? Vous venez d’où pour aller où ? Je suis surpris d’un tel intérêt. Sans attendre ils lâchent leur tâche pour m’aider à remorquer Immaqa sur une belle prairie, hors de la marée. A mon tour de les questionner. Ils sont de la région d’Uummanaq, là où le tsunami a ravagé les villages,depuis ils sont ici… Je n’ose pas les questionner plus que ça, peut-être ont-ils perdu un proche, une maison…

Je me rends à la supérette. Ici entre un flingue, et une boite de cartouches, on trouve des couches culottes bébé au dernier jean « made in USA » ! Je récupère quelques piles supplémentaires et d’autres bricoles à engloutir et me renseigne sur la douche municipale. Just in front of you, the green house. La porte est ouverte, une jeune secrétaire à qui il manque un bout d’oreille m’accueille : la douche est là et la salle des machines à laver là. Incroyable, je vais pouvoir me décrasser. Parole de mascotte, ça commençait à « cocotter » !

Le boss du coin, bien que distant est souriant. Il me propose sur son propre PC une connexion internet. Rapidement, sans abuser je vais voir le journal de bord et vos commentaires qui me touchent profondément et surtout je vais vérifier les futures conditions météo pour la zone qui s’ouvre à mes pagaies… Propre comme un sou neuf, je vis au fil des heures au milieu d’un va et vient incessant de ce lieu de passage du village. Pieds nus puisque mes chaussettes sèchent contre un radiateur, personne ne s’intéresse à mon « unijambité ». La cafetière est posée au milieu de la table et chacun vient se servir. A chaque prise électrique, un « gadget » charge, je suis presque transparent.  En attendant que mes affaires chargent et que d’autres sèchent, je vous envoie ce rapport journalier.

 Message codé à Capitaine Popeye : Ici le port est un peu désorganisé, il y a une place à prendre, ça vaut le coup…

A pluche

Camp de la neige

2 juillet 2017
 
 
Toute la nuit les rafales ont secoué la tente, il me faut prendre une décision, rester ou reprendre la mer. Ce nid d’aigle ne m’inspire pas trop. Julien par mail m’a annoncé une baisse d’intensité du vent du sud. Je suis indécis, partir ou rester ? Au moment de couper mon système satellite, celui-ci sonne. « Mon » Dume m’appelle, ensemble nous avions traversé l’Atlantique à la rame, un truc de dingue qui nous a unis pour la vie. On discute des conditions que je rencontre, de la vie, de ses blessures puis au moment de raccrocher je lui demande : oui ou non ! Il me répond oui ! C’est décidé on part !
 
Avec précaution je fais glisser Immaqa sans le blesser puis prudemment, je descend le barda pour tout caser à bord, chaque place est bien pensée. J’active la balise spot pour que vous puissiez suivre notre progression et nous voilà partis. Les rafales bien que violentes encore sont presque dans notre cap, alors par « gourmandise » je prends droit sans longer la côte. Au beau milieu, un orage de neige avec son blizzard nous arrive dessus, comme je regrette de ne pas être plus à terre. Alors je m’attelle à la cadence gladiateur. Finalement l’orage passe et la mer devient calme. La progression est bonne mais les enfants d’Apoutsiaq (flocons de neige) virevoltent autour de nous. Et dire que ce matin les premières fleurs de Niviarsiaq (Epilobes à fleurs larges) nous sont apparues.
 
Nous longeons un immense mur de pierre de plus 650 m de haut, je me sens tellement petit ici. Pas de moyen de débarquer, une seule devise : avance et arrête de te plaindre. Au bout de 3h je vois au loin le point fixé au matin mais quelque chose me dit que ce n’est pas le bon coin et vu que la brise est passée d’est, pourquoi ne pas rejoindre la côte nord au cas où le temps se dégraderait. Bonne intuition, le vent se renforce en nous poussant, mais au fur et à mesure de notre navigation les glaçons se multiplient jusqu’au moment où les passages sont de plus en plus délicats. Je serre les fesses. Il ne faut pas que l’un d’eux chavire  à notre passage, ce serait fatal. Nos anges gardiens, vous et vos bonnes pensées, font que nous esquivons les uppercuts de ces colosses.
 
Arrivés au cap Nuâ, la neige redouble de violence, ce sont des lambeaux de coton qui nous tombent des cieux. Le brouillard nous rejoint oh le taquin. Le point rouge est emmitouflé d’une écharpe blanche. Le GPS doit être allumé, sinon on risque d’y passer la nuit, qu’il n’y a jamais en ce moment ! Finalement au 28ème km, Immaqa accoste sur une plage de rêve, assez plate et sans caillou pour qu’il puisse être hissé sur son chariot. En un temps record la tente est montée et une forte lumière malgré la neige qui continue de nous saupoudrer permet d’avoir une bonne température à l’intérieur. Myrtille sur la crêpe, la radio locale peut être captée et de beaux airs groenlandais rendent l’équipage joyeux.
 
Karin a dû retrouver son chez elle en Corse aujourd’hui après un long périple retour, il me semble encore l’entendre pagayer derrière moi.
Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à partir de 12h40 heure française.
 
A pluche

Camp Ulùssat

1 juillet 2017
 
La nuit fut agitée, mes pensées m’ont quasiment empêché de trouver le sommeil, la peur peut-être, les questions sûrement. Des centaines de canards et d’oies Eider squattent le même îlot que celui qui nous a abrités. Ils ont l’air de se moquer de nous, leur instant présent est de couver leurs œufs. Toute la nuit des bourrasques de neige ont secoué la tente. Vers le sud, toutes les montagnes sont saupoudrées de blanc et dire que nous sommes le 1er juillet ! Je reprends la mer tout en sachant que la journée va être compliquée. Le vent du sud est déjà soutenu. Pour corser la navigation, des courants turbulents et contraires me font des petites peurs, bien sur le tout en slalomant au milieu de glaçons affutés comme jamais. Mon pauvre Immaqa tremble de tous ces dangers, sa peau de néoprène, bien que très résistante, ne supporterait pas de tel rasoirs. Nous doublons deux îlots pour enfin nous mettre à l’abri de la grande île. Les rafales de vent m’arrachent  presque les pagaies, je dois travailler comme un gladiateur, l’effort est surhumain. Au bout du dixième kilomètre, une échancrure nous permet la halte qui définira la suite de notre progression.
 
Bien que la côte soit escarpée, je trouve une toute petite place pour qu’Immaqa soit en sécu totale avec la marée, qui frise les 3,5m. Là aussi le travail est énorme, il me faut monter tout le barda en évitant de glisser sur une dalle, et trouver les 3m² habitables pour y dresser la tente. Les 15 jours au côté de Karin m’ont beaucoup appris. Ses 30 années de chef de centre de plongée sous marine teintées d’une culture allemande lui ont appris la réflexion sans agitation. Donc j’ai parcouru tout le terrain  puis me suis assis pour prendre la bonne décision ! Les rafales de vent me demandent d’être très vigilant. Perdre ma tente serait dramatique. Je m’applique pour réaliser enfin le bivouac parfait. Le vent prend de la force, les rafales catabatiques sont impressionnantes, la tente ploie sous la pression puis reprend sa forme initiale. Wilfrid à Bonifacio m’a rajouté 50 cm de toile à pourrir tout autour de la tente, et sur ces morceaux de toile je peux y apposer de gros cailloux pour tout bloquer.
 
Au fur et à mesure que la marée monte, Immaqa prend de l’altitude, des bourrasques de neige me frigorifient, le nid douillet de la tente me permet de ne pas congeler. Là bas au bout du monde un freeman grelote, vous en bas vous transpirez. La vie est ainsi faite mais ce soir, malgré la crasse, le vent, le manque de ma petite allemande, la peur au ventre, je ne changerai pour rien au monde ma place…
 
Vivre le danger en le regardant droit dans les yeux, sans trembler tout en ayant peur…

Camp de la nostalgie

1 juillet 2017

Bout du monde

29 juin 2017
 
Cette nuit la tente a été prise d’assaut par un fort vent de sud jusqu’au pied du promontoire où notre bivouac est monté. Les growlers se sont brisés en mille glaçons, le bruit était comme venu d’un autre monde. La température a chuté ce qui a mis en veilleuse les milliards de moustiques en quête de sang frais. Le Fjord se transforme au fil des minutes, un film en 3 D nous est proposé comme fond d’écran. Rien, aucune information ne nous provient du sud, pas de gadget pour couper le lien avec les éléments.
 
Les journées s’écoulent au ralenti, nous cueillons, pêchons, contemplons. Le rythme que certains de nos anciens devait encore avoir il n’y a pas si longtemps. Ce hameau fut abandonné pour la soit disant bonne cause. Les Danois, en bons envahisseurs ont délogé des petits hameaux les eskimos, pour  des villages plus grands pour que ce soit plus pratique !!! La date m’échappe mais cela a dû se dérouler dans les années 70. Le groenlandais est un pacifiste et il a abdiqué sans opposer aucune résistance. Une petite île plus au sud aurait mis l’envahisseur à feu et à sang, mais ça c’est une autre histoire.
 
Dans le cimetière, les tombes ne sont que des amoncellements de pierres couvertes de lichen noir. Le plus chanceux a eu droit à une croix, le plus prestigieux, une sorte d’enclos en bois… Mais ce qui nous a le plus touché c’est la taille des tombes, beaucoup sont petites, certainement des enfants. Vivre ici, il y a peu, devait être un sacré défi. La ville protège des épidémies mais rend les Hommes malades de Vie.
 
Nous errons, nous vaquons et là-bas vers le sud un immense rectangle attire notre curiosité, un autre cimetière immense mais avec une seule tombe. Ici repose une Freewoman. Cette vieille dame avait refusé de s’expatrier de son
village qui venait juste de créer un autre emplacement pour le dernier voyage. Mais entre temps les danois avaient changé les plans et tout le monde avait plié bagage pour Ilulissat. Elle avait su résister. Seule, elle avait fait son choix de vivre jusqu’à son dernier souffle sur la Terre qui l’avait vu vibrer et en toute logique c’est là où elle s’en est allée rejoindre les nuits boréales. Devant sa tombe je me recueille. Hasard ou non, un oiseau se pose sur sa croix. Il m’observe, mes yeux sont dans les siens, mon cœur bat au même rythme que le sien. Est-ce l’âme de la vieille dame qui me remercie de penser à elle. Je lui parle doucement, je l’a remercie de nous accueillir dans son si beau pays, je la sens heureuse… Ici les âmes sont en paix…
 
Au retour entre la cueillette de quelques camarines et la pêche d’une poignée de sardines locales (Ammasset) nous retrouvons avec beaucoup de plénitude notre bivouac.
 
On vous embrasse.

Rencontre

28 juin 2017

Ata au calme

26 juin 2017

Camp d’Ata

26 juin 2017
 
 
Le vent du nord n’a pas molli mais nous avons décidé de partir. La mise à l’eau est sportive mais les esprits qui nous surveillent sont bienveillants. J’ai une crainte pour Karin, elle débute en kayak et la traversée des fjords avec les vents catabatiques risque d’être violente. Pas à pas, nous avançons, en face un mur de 600m, les doutes sont au pied de ce colosse minéral. Mais la chance ne sourit qu’aux audacieux et après 2h30 de dur combat pacifique face aux éléments, une mini plage nous permet un bref break.
 
La partie est loin d’être gagnée, il nous faut caboter le long de cette falaise infinie, nous nous sentons si vulnérables qu’aucun mot ne peut sortir, il nous faut progresser sans chercher à comprendre. Un autre miracle au moment de devoir tirer nord en traversant les 8km du fjord d’Ata, une faille nous permet une nouvelle pause. Les rafales de vent irisent l’océan, décidément nous ne sommes vraiment pas grand-chose.
 
Dernier combat, la traversée avec ce drôle de noroît qui ne lâche rien. Un phoque puis un deuxième nous nargue. Karin ne dit rien, elle serre les dents, je suis inquiet pour elle. Des icebergs se désintègrent autour de nous. A chaque détonation nous sursautons, puis comme par miracle le vent tombe, plus un souffle la mer semble figée, nous glissons enfin dans ce décor majestueux…
 
Cuits, extra cuits et surtout très émus nous touchons le village abandonné  d’Ata. Personne, mais absolument personne… Nous sommes seuls au monde…
 
Ce lundi comme tous les lundis de cet été sur les ondes de France Bleu RCFM je serai en direct avec Jean-Charles Marsily à 12h40…
 
On vous embrasse bien fort…

Camp Uiartagaq

23 juin 2017

Camp Qitermiuguit

22 juin 2017
 
 
Pas de nuit, pas de bruit, le cliché a été pris a 1h30 du matin. Si voyager ce n’est pas changer de pays mais de monde alors nous effectuons un sacré voyage.
La quantité d’icebergs qui explosent est phénoménale, on se croirait pendant une nuit bleue corse ! Ces mastodontes de glace sous l’effet de l’été qui s’installe accumulent de l’eau de ruissellement qui les font exploser dans un bruit indescriptible, puis un grand silence s’en suit…
 
Notre premier bivouac sous tente est une pure merveille, c’est un petit îlot en plein milieu du détroit d’Ata, qui sert de repaire aux oies Eider. La marée est importante et il faut être vigilant pour que nos embarcations ne se retrouvent pas en mauvaise posture sur des roches saillantes. Nous avons joué avec le constant courant de sud et des morceaux de bout assez long qui ont permis à Apoutsiaq et Immaqa de flotter pendant notre escale.
 
Ce matin nous rangeons, plions, anticipons, la journée va être longue. La température avoisine les 4°, Karin qui ne dit rien, semble souffrir du froid, mais elle a compris qu’ici le verbe se plaindre n’avait pas sa place. Vers 8h45 nous glissons entre les « glaçons », un phoque peu farouche se laisse approcher puis ce sera au tour des oies et d’autres plumeux aux noms inconnus. Finalement vers 16h nous trouvons une belle plage qui sera notre refuge d’une nuit qui ne viendra pas. Rapidement montée, pour éviter d’être la proie d’une quantité indescriptible de moustiques, notre tente devient la forteresse des aventuriers du temps qui « est ». Un morceau d’iceberg millénaire fondu infuse du thé du Labrador et devant un spectacle d’une beauté exceptionnelle nous savourons ce beau voyage.
 
Prenez soin de vous, boiter n’est qu’une manière de voir la vie, le plus important est de savoir conjuguer le verbe vivre.
 
Bises des 3 Freeman…