Ce matin je suis d’attaque, une journée complète sans pédaler ça requinque le rebelle à cloche pied. Le ciel est déjà très chargé, la météo nationale est en vigilance orange pour des raisons de forte pluie, ça tombe bien on est rodé ! Pour corser le départ, je tente l’autoroute qui me fera traverser la ville directement sans passer par le labyrinthe urbain où je vais certainement m’égarer. Il est 5H45 et je ne pense pas trouver grand monde. Pendant 8km je serre les fesses, si la police passe, va falloir ruser. Finalement, l’épreuve est réussie mais quelques faux plats montants me donnent du fil à retordre. Deux heures pour retrouver enfin une route plate, je mouline. Là bas au Sud-ouest le peintre badigeonne le ciel de noir, comme dirait la mascotte : « Chu sur que c’est de la peinture à l’eau ! Bien vu, y z’ouvre le robinet et ce n’est plus un vélo mais un pédalo. » Les camions qui nous frôlent nous estiment surement trop sec et nous envoient quelques belles giclées. Je suis motivé pour avancer alors, yakapedaler ! La moyenne est bonne, le sud se rapproche. Au bout de 75km, ce n’est plus de la pluie mais une cascade, les automobilistes nous encouragent, mais là je crois qu’il faut arrêter. Je trouve un camping désert, l’accueil n’ouvrira qu’en début d’après-midi, il n’est que 11h. En face de moi je vois une pauvre femme en train de batailler avec sa remorque toute neuve, son mari à l’abri sous un immense parapluie est tétraplégique. Cela ne pouvait arriver qu’à moi, trempé pour trempé je lui débrouille la situation. Elle a le passe qui donne accès au service salle à manger, coin repas et m’ouvre les portes du paradis. Je m’installe bien à l’abri et regarde la pluie inonder le pays. Je suis seul, style un peu yacht club britannique il y a un vieux sofa en cuir, je lui promets une sacrée sieste. Mais voilà, des femmes arrivent, je devrais dire des matrones. La communauté Rom est prise en charge par l’état et les campings leurs sont ouverts pour des prix dérisoires, plutôt qu’ils ne squattent des terrains vagues. Ici l’hiver peut-être fatal et le peuple suédois est très stricte, si bien que les allemands me paraissent un poil excentrique en comparaison. Donc ces dames débarquent, avec leurs toutous, deux pitt bulls ! Un poil tendu le cabochard. En deux seconde le coin calme et reposant se transforme en une hall aux poissons. Elles ne parlent pas, elles hurlent. L’un de ses mollos, me regarde du coin de l’œil, j’anticipe et me cale proprement avec la prothèse, ça ne loupe pas, l’enfoiré de clebs tente l’intimidation, je réagis avant qu’il ne comprenne. Un grand kaï kaï couvre le hurlement des gitanes. Sorry, i don’t now whats happen ! Elles ne causent pas anglais, moi je ne parle pas le rom ! Une grosse motte de beurre fond dans la poêle et des grosses tranches de lard enfument la pièce. C’est bon on s’arrache ! Elles auraient pu lire dans leurs boules de cristal que le corse solitaire n’aime pas le graillon et qu’il n’a pas trop confiance aux gamins qui viennent de rejoindre les cordons bleu grassouillets ! Dans la ligne de ma main je vois une belle et longue route qui va m’amener loin de ses fadas avant que je me retrouve en slip ! Le soleil semble jouer les troubles fête, je rigole en repensant aux « ladys » du camping, quelle différence avec le peuple suédois si calme, poli, soigné. Je fonce vers la ville de Hassleholm, mais pas de coin pour monter la tente, le ciel redevient noir, tient c’est pour la deuxième couche ! Je demande à un fermier où se trouve un camping mais il ne parle pas l’anglais, j’arrive à traduire qu’à deux kilomètres il faut que je tourne à gauche. Ok, mais rien du tout. Une grange vide, je mets le vélo sur béquille et pars en repérage, une herbe rase bien plate, un robinet d’eau douce, je suis au Novotel du coin ! Personne à l’horizon, je n’aime pas monter mon bivouac sans demander l’autorisation. Le vent devient violent, l’orage va exploser. Soudain, une jeune fille en vélo passe, elle ne m’a pas vu. Je l’interpelle en lui demandant l’autorisation, mais elle me dit que ce n’est pas un bon coin, les vaches vont revenir, elle me demande de la suivre. Devant chez elle un magnifique jardin avec pelouse, elle m’invite à y planter ma tente où je veux. Je suis gêné, je serai sous ses fenêtres. Elle sent ma réticence, et nous voilà partis sur une magnifique route en terre pour arriver sur une immense prairie. C’est une ancienne mine et les touristes, quand il y en a, peuvent la visiter. Il y a même un coin douche avec de l’eau courante. Nous discutons un moment, son projet va d’être l’année prochaine de parcourir en vélo Vienne à Prague. Cela faisait un moment que le milieu urbain me chagrinait, j’avais connu dans le nord du pays de très belles rencontres et depuis mon départ de Stockholm je ne me sentais plus trop dans ce voyage découverte. Ce soir je suis fier d’afficher un petit 130km et le souvenir d’une très belle rencontre.
Tack sa mycket.
A pluche !
PS : Jo Zef enlève moi ce foulard de sur ta tête, je n’ai pas envie que tu me lises les lignes de la main, mon destin est juste devant moi.
Dans la boule de cristal je vois…
22 août 2012Un gros coup de blues…
18 août 2012Le zip d’une tente qui s’ouvre, Valentin a du m’entendre ranger mon vélo, on discute ensemble. Je l’observe partir vers les sanitaires, privé de ses deux jambes il n’est pas appareillé. Je vois en lui un gamin serviable, toujours souriant qui malgré sa double amputation fémorale est la joie de vivre. Je suis à fleur de peau, ces 3000km de vélo me font des soucis, ai-je bien estimé l’effort ? Il revient, je me maudis d’être aussi axé sur mon égo, au loin il me sourit, je me mords les lèvres. Le cumul des deux mois passés peut-être, je me mets à pleurer comme un gosse. Je m’agenouille, il me prend dans ses bras. Promis, « neveu de vie », pour toi je donnerai le meilleur de moi-même, promis !
Aujourd’hui je vais me retrouver seul, le camion va rentrer pour la France, je ne dois rien oublier. Je vérifie une énième fois mes sacoches et nous partons. Je n’ai pas récupéré de la journée d’hier, je crois plutôt que c’est mon mental qui est en bas. Je fais mouliner mes jambes mais ça ne veut pas venir, je tente le vide. Je connais ces situations, il faut les contourner plutôt que les affronter. Jusqu’à midi, c’est difficile. A l’entrée de la ville de Norrköpping, l’autoroute me barre la route, je n’ai pas l’énergie de me perdre, je charge le vélo dans le fourgon. Une fois passée la plus grande ville de la région, nous nous arrêtons pour le déjeuner sous des pins. Nicolas et Robin sont euphoriques de savoir qu’ils vont repartir pour la France, quant à Valentin je le sens triste de cette séparation. On se serre la main et je reprends ma route en solo. Le soleil me cuit le cerveau, je pédale mais je n’y suis plus. Au 100éme km je stoppe tout. Un hangar oublié au bout d’une route fermée, me servira d’abri pour ce soir. Je n’ai pas beaucoup d’eau mais je vais m’arranger pour tenir le coup jusqu’à demain, je trouverai bien une ferme sur mon chemin. Je monte ma petite tente, la tristesse m’a bien en main, mon rendez-vous hebdomadaire du vendredi 17h40 sur France Bleu Frequenza Mora me demandera beaucoup d’effort pour rester dynamique. J’appelle ma princesse, deux mois qu’on ne s’est pas vu, elle me manque. Je crois qu’il va me falloir une bonne nuit de repos pour retrouver mon énergie habituelle. Ne vous inquiétez pas, je ne veux pas dissimuler mes ressentis, quand ça ne va pas trop fort, je ne dois pas vous le cacher. Une expédition aussi engager demande beaucoup d’énergie, plus mental que physique. Je m’autorise de temps à autre, à vider le trop plein. Ce soir je ressemble plus à un clochard des routes qu’à un bel aventurier qui ne redoute rien. J’ai mes peurs et ce soir je crois qu’elles seront dans mes doutes embrumés. Je vais serrer très fort mes deux protégés, comme le fait un gosse qui a peur du noir, demain il fera jour et le guerrier pacifique reprendra sa croisade.
Bise à tous.
Presque une journée tranquille, enfin presque !
17 août 2012A ma grande surprise la nuit fut sans bruit, en plein milieu de Stockholm un 15 août à bloc de touristes !!! Comme quoi, l’effet éponge, les latins deviennent silencieux chez les scandinaves.
Ce matin, promis, juré je pars pour une petite journée. Il faudra encore l’aide du GPS des jeunes pour sortir de la capitale. 15km urbain que je n’apprécie pas du tout. Puis d’un coup la campagne. Le problème c’est que le réseau routier est très récent et l’autoroute est souvent la seule voie. Il va falloir jouer de malice pour trouver la bonne route. Un mélange de forêt et de champs agricole. Je revis, si cela pouvait être comme ça tout du long de mon chemin. Le ciel est bien bleu ma première journée complète de vélo s’annonce merveilleuse. Je possède deux cartes, une édition locale avec plein de petites routes et la Michelin plus grand axe. Je choisi celle des petits chemins ! C’est là où commence l’aventure. Je voudrais faire une sorte de traversée diagonale pour rejoindre une autre nationale, mais voilà la carte comporte des noms de lieux dits qui n’existent pas. Le GPS du fourgon est perdu et Frank pédale sur des chemins de terres qui tournent, retournent et tournent encore ! Un sacré raccourci qui me fera une petite rallonge de presque 20km. Entrevous et moi je ne suis ni en colère, ni dessus. La forêt est magnifique, les biches ne doivent pas souvent voir de cycliste unijambiste, les écureuils en profitent pour traverser au dernier moment mais nous sommes un poil perdu ! Finalement je retrouve un bled qui nous amène sur une route goudronnée qui reprend une nationale qui fait route au sud. Ouf ! Mais où va-t-on dormir, ce soir ? Pas de camping en vue, alors je continue de pédaler. 100km tout rond, c’est une bonne journée, 110km, bon va falloir trouver, 120km tiens il pleut, 130km, c’est quand qu’on arrive ? 131km nous sommes
devant un terrain vague grillagé de barbelé ! Pas fameux le « Camping de la plage » ! Le prochain est à 20 bornes à l’opposé de notre route !!! STOP ! Je suis cuit, vélo dans le fourgon et le pédaleur en passager clandestin. Une belle pelouse dans un camping calme et une longue douche chaude, quel délice. Demain les jeunes reprendront la route pour rentrer en France et moi je reprendrai mon bâton de pèlerin solitaire pour commencer un autre voyage de l’intérieur. Promis dés à présent quand je serai cuit je m’arrête et monterai ma tente où je suis. Seul sans véhicule, c’est beaucoup plus facile de dénicher une bordure de rivière ou de lac pour faire relâche. Une bonne petite journée pour commencer la partie 4 !
A pluche !
Aux portes de Stockholm…
9 août 2012Quelle belle soirée, Ana et Christoffer m’ont invité pour un diner que je ne pourrai oublier mais ce matin je reprends ma route. Un dernier coup d’oeil à leur maison et je file plein Sud. Arriver sans savoir si l’on reste, partir en sachant que l’on reviendra, la devise du nomade… Le vent est faible et je file sur une eau à peine ridée, je vais tenter de rejoindre le « grand » Stockholm. Je suis bien surpris du côté sauvage à quelques milles de la capitale. Je n’arrive pas à m’imaginer que derrière ces forêts se cache une mégapole. Je ne sais pas ou je planterai ma tente ce soir mais hier Christoffer m’a rassuré, ce n’est pas Paris et il me sera facile pour trouver un coin tranquille. Je dois traverser l’immense chenal où, ferry, porte container et taxi boat se croisent. Je me mets en poste d’étanchéité maximum. Le vent est toujours faible, heureusement d’ailleurs, le passage deviendrait vite dangereux avec de la brise. Javance sans penser à tout à l’heure, j’essaie de me
remplir de toutes ces images qui défilent devant moi, je ne veux rien louper. Le passage du Saxar Fjärden est franchi, je dois trouver un petit chenal. Le vent se lève, le ciel s’obscurcit, ça sent l’orage. Je fais une halte déjeuné, déjà 7h de je pagaie : C’est que ça creuse l’exercice ! Un homme m’interpelle, vu mon accoutrement et comment est équipé Immaqa cela l’intrigue. Il me félicite et avec un charmant accent suédois me dit en français : bonne chance. Je reprends ma route, devant moi lîle de Vaxholm qui était l’un des premiers remparts de Stockholm, je crois que c’est là où je vais me poser. On m’a parlé d’un camping, mais entre vous et moi je ne vois pas monter ma tente au milieu d’aoutiens. Je passe par le port charmant de l’île, quelques touristes me prennent en photo, des dames parlent entre-elles, des françaises. On discute un moment et je poursuis, le coin dégage une bonne onde, je m’y sens bien. Je me fais doubler par un couple d’allemand en kayak, on partage un bout de nos vies, ils filent vers leur destin moi vers le mien. Je trouve le camping, je tente une approche. En plein mois d’aout je m’attends au pire, rien de tout cela, du calme, de la paix. Je me renseigne sur les commodités, je dois impérativement laver mon duvet, deux mois que j’y dors, il commence à sentir le renard mort. Jo Zef et Norra confirment. Je fais un tour du site, je ne suis pas encore prêt à ce cantonnement. Depuis Lulea, je bivouac dans des endroits sauvages, l’équipe logistique arrivera sur zone mardi matin au plus tard, j’ai encore le temps avant de me faire numéroter, parquer, enregistrer. Je reprends la mer, là-bas à un kilomètre je perçois comme une immense prairie sans maison au alentour, des chevaux, des champs et personne à l’horizon. Je mapproche en espérant y trouver mon refuge, je me faufile au milieu des joncs et découvre une pelouse naturelle qui donne envie de s’y rouler. Je me dis que ce nest pas possible, il doit y avoir une maison de luxe dans les parages. Je pars en repérage. En haut d’une colline je vois au loin une ferme, je suis sur des terres agricoles, je suis sauvé, personne ne viendra membêter. Je cherche le bon coin pour monter ma tente, en bordure d’arbre ce serait idéal pour rajouter ma bâche qui en plus de la tente me protégerait de la pluie qui dans un moment va mettre la douche en marche. Un bateau ce dirige sur moi ! Aie, je suis cuit !!! Non, c’est un pécheur, je lui demande si c’est possible
de bivouaquer. Il me répond que oui, je suis l’homme le plus heureux. Nous discutons pêche, c’est son métier et avec beaucoup de gentillesse il me donne quelques astuces pour essayer enfin de prendre un poisson. Sous un noisetier la tente est montée, juste derrière un chêne, qui doit au moins avoir trois cent ans, semble me sourire. Je m’approche doucement et me plaque à lui les bras écartés, il commence à pleuvoir, je capte son énergie. Je viens de parcourir 1100km en kayak dans des conditions des fois difficiles et aujourd’hui comme cadeau de la vie je suis dans un Eden de paix et de verdure. Sous mon abri de toile je vais enfin me reposer, j’ai du sommeil à rattraper, j’ai des peurs à digérer, j’ai des larmes à essuyer, j’ai des rires à partager. I’m a free man.
A pluche !
Encore une bien belle journée…
8 août 2012Qu’est ce qu’on est bien emmitouflé dans son duvet quand dehors c’est le déluge, mais le nomade a besoin de rependre la route, une drogue douce, une vis sans fin : Et comment ce sera là-bas en face ? Je me remémore le rêve de cette nuit j’étais avec Sylvain Tesson et on sillonnait une montagne enneigée à peau de phoque, certainement un souvenir de notre rencontre au festival du film d’aventures de Val d’Isère. J’ai dévoré tous ces livres, si vous ne l’avez pas encore fait dépêchez vous c’est sublime. Nous discutions de notre quête qui nous mène à ne jamais rester au même endroit, à rencontrer les « Autres » pour mieux se connaître. Un thé à la menthe à l’ombre aux îles Kerkennah, un morceau de phoque bouilli dans un fjord de l’Est du Groenland, un sourire d’un enfant athapascan là-bas très au nord de l’Alaska. Le voyage en ermite nous permet la rencontre de l’autre. Arriver dans un endroit par un long et fastidieux parcours ouvre de suite les portes. Un mot dans la langue local, une connaissance des us et coutumes et l’étranger devient le frère d’un soir. Le vent est bien sur toujours et encore sudiste. Les îles vont un peu m’aider à me cacher mais je sens que la tâche va être rude. Il fraîchit, c’est son histoire moi j’ai envie d’avancer. Je suis serein, j’ai pris le coup d’avoir le pif ventilé. Le passage de Blidö m’avait refroidi, je ne m’attendais pas à une île aussi urbaine, je me serais cru sur les bords d’un grand lac d’Italie, beau, mais rempli de maisons sans âme. Enfin je retrouve le côté sauvage que j’ai aimé dans ce voyage en kayak, le vent se renforce, temps pis pour lui, moi j’avance. Je suis à ma place, pas hier, ni demain, juste maintenant. Je rejoins une longue île qui comporte une brèche, je pense que cela doit passer. Je suis à quelques mètres du bord, les fortes pluies d’hier ont rafraîchit l’atmosphère et libèrent toutes les saveurs forestières, je hume comme le fait l’ours brun. J’avance contre le vent, notre vitesse est faible ça tombe bien on n’est pas pressés. J’invente cette maxime :
« Il n’y a pas de vent contraire, c’est notre route qui est dans le mauvais sens ».
C’est bizarre, le chenal, il me semble que je m’en approche mais je ne le vois toujours pas. Le vent se renforce sévèrement, à la limite du tenable. Ca devrait être derrière la pointe. Encore rien, j’allume mon GPS, je n’arrive plus à me positionner sur la carte. Je tombe des nus, je l’ai dépassé de 800mts ! Demi tour, j’avance avec le vent dans les fesses, mais on va trop vite, 6,5km/h, cela faisait un bail. Effectivement, le passage est bien là, ma rêverie et mon bien-être mon fait passer sans le voir. Un poil rêveur le kayakiste des vents contraires !!! De l’autre côté le ventilateur est toujours en marche, je suis toujours bien mais la moyenne est l’une des plus basse depuis le départ. Ce n’est pas grave, ce qui est pris n’est plus à prendre. Au bout de 6h je vois enfin le cap où je vais pouvoir bifurquer, une clairière s’offre à nous, le vent lui par solidarité nous suit aussi. On tourne, il vire ! La place me plait, elle est plate et bien abritée, une cabane rouge à 200mts, je vais demander si je peux bivouaquer. « Hej ! Vous êtes français ? » « Oui mais comment le savez-vous ? » « Votre accent ! » me répond la personne en excellent français. Je suis surpris et heureux. En échangeant quelques mots je lui demande d’où lui vient cette facilité à maitriser la langue de Molière. « J’ai de la famille dans le sud de la France, à Menton et j’y ai passé toute ma jeunesse « me répond-t-elle d’un air pensif !!! « Menton, mais j’y suis né, j’y ai vécu jusqu’à 30ans. » « Ma tante était mariée avec le docteur Grasset !» je manque de m’évanouir. « Vous êtes donc la cousine germaine de Patrick et Kristina Grasset !!! » 24 000 îles dans l’archipel de Stockholm et je tombe sur la seule personne qui connait des copains d’enfance. Incroyable, mais vrai ! On parle de boite de nuit où l’on allait quand j’avais 15-16 ans, je bossais déjà dur mais pour rien au monde on ne loupait avec les copains la fièvre du vendredi et samedi soir. Mon père et ses potes avaient un club de plongée qui avait un deal avec l’organisme EF (école française) qui faisait venir pendant tout l’été des scandinaves qui allaient à l’école le matin et l’après-midi avaient des activités à bas coût comme la plongée sous-marine. Patrick, le cousin germain d’Anna que je viens de rencontrer, connaissait les bases du suédois par sa mère et je peux vous dire qu’il était souvent d’un grand secours pour arriver à sortir avec l’une d’entre elle. Ce n’était que des flirts mais nous nous faisions vraiment plaisir. Je crois que beaucoup de copains qui viennent régulièrement sur mon blog doivent eux aussi se souvenir. Encore un clin d’oeil improbable de la vie. Vous m’auriez dit cela ce matin jamais je ne vous aurais cru !
I’m a free man !
A pluche !
L’archipel de Stockholm en kayak.
7 août 2012Cette fois elles sont devant moi, en vrai ! Les 24 000 iles de l’archipel de Stockholm. Le vent est inexistant ce matin, il y bien longtemps que ce n’était pas arrivé. Je me suis réveillé un peu plus tôt et en ai profité pour partir en avance, je me méfie toujours des entourloupes du Sud ! Calme plat, pas une ride, aucun air sur le bout des oreilles. En file indienne trois monstres de ferry embouquent le chenal, trois montagnes de ferraille. Il y a quelques années, l’un d’eux avait subi l’une des plus terribles tempête de la mer Baltique. L’Estonia restera pour toujours un funeste souvenir. Au bout de trois heures j’atteins enfin l’île de Blidö, alors que je m’arrête quelques secondes pour croquer une barre de céréale, un souffle me fait sursauter. A quelques centimètres du safran d’Immaqa une grosse bouille avec des moustaches, nous espionne. Je suis tellement surpris de cette visite que j’en reste bouche bé. Grosses narines dilatées, il nous regarde un dernier coup et sonde pour nous quitter. Le cinquième en 1000km, j’aurai pensé beaucoup plus. A peine arrivé à quelques encablures de la grande île, un vent de Sud-Est se réveille, ouf nous sommes passés. Je cabote et constate ce que je pressentais depuis longtemps, des maisons qui se touchent à l’infini. Sur 10 km de côtes, pas un endroit pour accéder. J’avais prévu le coup et si je suis passé par là, d’une, c’est pour le voir de mes propres yeux, deux, pour arriver sur un chapelet d’îlots où je trouverai bien par trouver un espace convenable pour bivouaquer. J’ai constaté que devant chaque maison des kayaks étaient entreposés, connaissant un peu plus le peuple suédois, je suis convaincu que des
coins pour bivouaquer seront accessibles. Je scrute, les îlots quand une anse se dévoile, j’espère qu’elle n’abrite pas de maison. Rien que du gré et des roseaux. Un caillou un peu plus plat que les autres va me servir de quai. En m’extirpant du kayak je dois remboiter ma prothèse puisque je navigue sans, un exercice de cirque car en plus de la gymnastique, les cailloux sont recouverts d’algues vertes bien glissantes. Je sens que c’est le bon coin, de l’herbe tassée me fait comprendre que quelques pèlerins sont déjà passés par là. Trente mètres pour trouver une petite prairie bien plate avec des restes d’un ancien foyer, c’est bon les enfants, terminus, tout le monde descend ! Le même train-train et me voilà sur l’une des milliers d’îles du fameux archipel de Stockholm. L’ambiance n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu jusqu’à présent. Entre hier et aujourd’hui j’ai croisé des centaines de bateaux, nous sommes à la fin des vacances, la reprise est prévue en fin de semaine pour tous les suédois, alors ils en profitent. Jusqu’à Oregrund j’ai du croisé une cinquantaine de bateaux, peu pour une distance de 850km en été. La population au nord est de 9 habitants au Km2, la plus faible d’Europe, ici elle est de 233 ! De mon nid d’aigle je peux écouter encore en paix les histoires que le vent veut bien me conter : Il était une fois, il y a bien longtemps, un corsaire qui naviguait sur un petit bateau rouge et noir. Il ne parlait pas la même langue que les vikings mais savait causer au vent et aux oiseaux. Son ami et second dont le nom a été caché par la légende a sauvé une princesse du Nord de la noyade, ils la prirent avec eux à bord et poursuivaient leur route vers le sud.
PS : Norra et Jo Zef sont tout émus de cette histoire, elle leur rappelle quelque chose.
A pluche !
Le millième kilomètre…
6 août 2012Le processus de récupération est en marche, malgré encore de bonnes heures de kayak je sens que je me refais une santé. Le vent contraire ralenti hélas ma remise en forme mais le stress en moins de la haute mer me permet de mieux dormir et surtout de ne plus avoir à gérer autant de pression. J’ai augmenté en grosse quantité la prise de protéine en me forçant à manger plus et mieux. Hier soir j’ai englouti 500gr de viande de renne, deux œufs, et quelques filets de harengs. Je vous pris de croire que ça cale, mais mes muscles en ont un grand besoin. Ce matin j’ai de suite senti la différence, ma cadence était plus élevée sans me fatiguer pour autant. Une grande ligne droite de 20km me fera atteindre mon dernier cap avant de pénétrer dans l’archipel de Stockholm. C’est étrange, je suis impatient et en même temps je réalise que ce seront mes dernières heures de kayak sauvage. Le vent annoncé ne me laissera pas passer au promontoire, j’en suis sur. Je suis en pleine forme, mes douleurs aux cervicales et lombaires me laissent tranquille, je peux vaquer à mes rêveries. Je traverse encore un fjord mais le vent traversier ne nous met absolument pas en danger, les quelques vaguelettes qui lèchent Immaqa nous rappellent de sacrés souvenirs. Je croise un kayakiste qui doit faire de la compétition vu sa cadence de pagaie et sa carrure, il me demande d’où je viens. Lulea ! « Waouh, is a very long trip ! » Il réfléchit et me lance : « You are the french man with one leg ? » « Yes I am ! » Doucement je réalise que ce que je viens de faire. La traversée du golfe de Botnie dans le sens nord-sud est une première mondiale, les kayakistes suédois en causent ! Je suis perplexe sur le côté exploit, je le prends plutôt comme une longue séance de coaching de vie, d’humilité. Les vikings qui sans carte ont exploré cette région il y a quelques siècles de cela ne le faisaient pas avec l’état d’esprit d’exploit, c’était la découverte de nouvelles terres qui les intéressaient. Je me sens plus proches de ses valeureux marins que d’un nom dans un livre des records. J’ai fait un long voyage intime avec une mer inconnue qui m’a souvent botté les fesses et remis les pendules à l’heure. Au bout du cap je vais consommer mon millième kilomètre !!! Un tout petit morceau de navigation sans vent et quand je prends route au Sud-ouest, le ventilateur est à la vitesse maximum. Je n’ai plus envie de me bagarrer contre ; deux personnes sur les rochers me regardent lutter face au vent, je leur fait signe de la tête, je ne peux plus lâcher ma pagaie. En face de moi une petite île, 1600 petits mètres et je sais que mes anges gardiens vont me dénicher un vrai abri pour kayakiste heureux d’être tout simplement vivant. Le caillou n’a aucune habitation et semble avoir quelques accès. Je beach Immaqa et part à la recherche du coin idéal. A travers un tumulte d’arbres morts, je me retrouve de son autre côté. Sous une belle forêt une prairie me tend ses bras. Je contourne avec mon embarcation l’île et monte doucement le camp. L’habitude est en place. Je fouille de la main le sol qui va recevoir mon dos et m’applique à virer tout corps étranger. Je dresse la tente et va de suite chercher mon sac à dos étanche où sommeillent nos amis Norra et Jo Zef, je mets la radio pour égayer le coin et m’affaire à établir un coin repas. Encore ce soir je suis ce nomade errant qui vit sans toit mais avec beaucoup d’émoi. Ce millième kilomètre je le dédie à ma compagne Véronique, sans elle tout cela ne serait pas possible. Seul le présent est un cadeau ! A pluche !
PS : Pour information vous pourrez lire un très bel article dans le mensuel Lonely Planet magazine où Sophie Jovillard, la présentatrice de l’émission « Échappées belles »sur France 5 présente Frank suite à sa rencontre lors de son passage en corse.
Il suffit de demander à ses anges gardiens…
4 août 2012
Jaime ces coins paumés pour y poser ma tente. Un îlot où l’homme n’a pas encore tronçonné, bétonné, désinfecté, un endroit où je suis juste l’invité d’une nuit. Le vent ne semble pas avoir molli, il me faut encore 5km pour rejoindre le continent sous le vent. Je n’ai pas le choix je dois aller contre le Sud une fois de plus. A la sortie de l’anse, les bourrasques me font le baiser du matin sur le front. Je me courbe et j’avance, mon dos me fait souffrir mais j’avance. Je zigzag entre des îlots qui me protègent, je souhaite de tout cœur que les roseaux n’aient pas fermé les passages. Ouf, tout est libre ! J’arrive sous le vent du petit port de Herreng et finalement il s’en est allé chatouiller d’autres nomades. Oui, je vous assure il doit y en avoir d’autres ! Quoi, on est le seul dans le secteur !!! Je reprends une cadence humaine, l’immense canal de Väddö est à 8km, enfin je peux regarder le paysage, savourer le ballet des oies toujours méfiante du « truc » rouge et noir qui glisse en silence sur l’eau. Une question me harcèle : Dois-je m’engager ce matin dans le canal ? Il est long de 20km et je ne suis pas du tout sur d’y trouver d’endroit accessible au milieu. Si je me lance il faut que je le passe d’un coup. Sur la carte dans l’angle à 3km je vois le hameau de Grisslehamn. D’après la photo du quotidien suédois où je suis en photo, Véro et Dumé ont remarqué que j’avais perdu pas mal de poids et si je m’y arrêtais pour un séjour chez l’épicier du coin. Protéine à gogo ! Norra et Jo Zef leur donnent raison. Je suis à une encablure du canal et ne sais toujours que faire. Je demande à mes anges gardiens de m’envoyer un signe ! Du Nord une vedette sort de nul part, elle se dirige sur moi, où elle ira, ce sera ma route. En plein milieu de l’entrée du canal elle vire de 45° pour filer droit sur Grisselehamn. Ok, on va au port les copains. L’orage commence à gronder et la pluie reprend du service. A l’entrée du port je sens un doux regard, une biche nous observe. Je passe la digue et trouve une petite tache d’herbe me permettant de débarquer à l’abri des regards, je n’aime pas laisser Immaqa tout seul au milieu des hommes. La marina est minuscule et l’ambiance me fait penser à un port Corse un dimanche pluvieux de mars. Je pars à la recherche de mon épicier. J’ai fait une liste et je me régale déjà d’avance des repas qui vont s’en suivre. De retour j’en profite pour faire mon plein d’eau et reprends la mer. Mais où vais-je planter mon bivouac. En sortie de port un gros camping avec une centaine de camping-cars. J’ai repéré une tache d’herbe plate à son extrémité. Je tente une approche. Hum, hum ! Certes le coin est plat mais de me savoir cerné ne me réjouis pas trop. Puis j’essaie de me convaincre, une douche chaude, un point wifi, un coin pour cuisiner à l’abri du vent. Ma vraie petite voix lui coupe la parole : Toi le « free man », entassé, englué, au milieu du bruit et des « moi j’ai fait la Suède » ! Ok, on se casse ! Je reprends la pagaie, puis pour la deuxième fois de la journée demande à mes anges gardiens un signe. Quelques secondes plus tard je vois deux kayakistes sur la rive opposée qui me saluent. Je traverse et repère un caillou qui semble avoir un replat à sa cime. Le gré est glissant et non sans mal je me hisse à son sommet, je dois trouver un système pour hisser mon matos sans peine, cela va être folklorique. Je traverse les dalles pour arriver sur une cabane de pêcheur qui semble abandonner et remarque un peu plus loin à
terre mes deux kayakistes. Je vais à leur rencontre et leur demande l’autorisation de monter mon camp ici. Ils me répondent en français, ils ont de la famille qui vit à Paris. Non seulement ils m’y autorisent mais en plus de ça me permettent de mettre mon bivouac sur une magnifique prairie pas très loin de chez eux avec vue le port. Je suis toujours ému de l’accueil qui m’est réservé, les personnes doivent sentir en moi une paix qui leur fait de suite ouvrir leurs portes. Comme d’habitude je remercie mes anges gardiens qui suivent avec tact et sagesse mon beau voyage de l’intérieur. Stockholm centre ville n’est plus qu’à 120km.
PS : Jo Zef sort moi de ces sacs de victuailles, va falloir que tu te comportes comme un gentleman avec Norra. Tu n’es pas un sauvage quand même !!!
A pluch’ !
Un marin sans horizon…
3 août 2012Ce matin 4h25 le soleil pointe le bout de son nez, moi je m’extirpe de mon duvet. Je suis dans un « nid » d’îles donc je ne devrais pas trop souffrir aujourd’hui ! Oh, quel insouciant ce Frank ! Effectivement le départ est comme un rêve mais une brise légère me caresse le visage. Déjà là, elle ! Le sud ! Je me méfie des petits passages, ils sont plus abrités mais bouchés par les joncs, j’en fais encore la rageante expérience. Pendant trois heures je papillonne, je rêvasse, les rafales de vent me passent par-dessus la casquette. Mais voilà il y a une traversée de plusieurs kilomètres et dans l’axe du vent. La première est de 2,5km, je me lance, c’est douloureux mais ça passe, la deuxième, cela devient du travail de forçat mais à la troisième je me retrouve avec une mer blanche et 30 nœuds dans la gueule. Je suis vert de rage. Non pas ici, pas encore !!! J’ai la colère qui monte, pourtant le vent lui n’y est pour rien, les douleurs ressurgissent, elles voulaient du calme je leur offre du labeur de titan. 1600 petits mètres à gagner coûte que coûte. où je suis, aucune possibilité de débarquer, que du caillou ou de la vase. Cela se transforme en séance de torture, mes cervicales me font souffrir le martyr, je n’ai plus envie de ça. Il faut que je trouve le calme, la raison qui doit me faire avancer sans contrainte. Un combat de boxe, je prends des coups de tous les côtés, droite, puis gauche, un crochet dans le foie ! « Eh, l’arbitre c’est illégale ». L’homme en noir sourit, mon adversaire a tous les droits. Je me recroqueville et encaisse les chocs. Finalement le gong sonne, je touche la rive, pas KO mais presque. Tout aussi inaccessible, absolument aucune possibilité de mettre prothèse à terre !!! Caché du vent je longe la côte, peut être à la pointe je trouverai un minuscule plat pour débarquer. Une anse de dalle de grés, de joncs et plein de petits passages, il faut que je m’arrête je n’en peux plus. Un chenal me fait débarquer sur un replat où les herbes atteignent le mètre. Je m’ouvre un passage et tâte le sol, il n’est pas spongieux et semble plat. Je vais d’abord manger après j’aviserai. Le vent se renforce, je n’ai plus la force de continuer, j’en ai les larmes aux yeux, je suis cuit. Je piétine à contre cœur les herbes pour faire une petite prairie, je pose ma tente et m’écroule comme une masse. A mon réveil je me sens mieux, les rafales de vents sont impressionnantes, aux calmes plats succèdent les bourrasques d’une violence extrême. Je me force mais je sais que cela me fera du bien, le cul sur une dalle à l’abri du vent je glisse dans la mer encore fraîche pour me laver et me régénérer. Je m’endors au soleil, doucement je me remets de cette traversée usante. Je m’accorde une très longue séance d’étirement et de respiration face au soleil. Cet endroit m’inspire, caché des hommes il émet une onde positive que je ne me gêne pas de capter. 24km gagné dans la douleur, dans 120km la capitale. A l’intérieur de cette mer fermée je suis un marin sans horizon…
A pluche !