Vigilance
3 août 2017Le vent du nord a pris de la force, il fait un froid polaire, normal où je suis, non ? La journée d’hier a laissé des traces, ce que j’avais planifié aujourd’hui, je l’ai pagayé hier, alors farniente ! Qu’il est bon d’être enfoui dans son sac de couchage en sachant que dehors c’est un congélateur, je ne veux plus lutter et me laisse bercer par mon immense fainéantise et je n’ai pas honte. L’île qui nous accueille est grande comme un mouchoir de poche, 50 m sur 300 m de large maximum, mais elle a un quelque chose qui fait que je m’y sens bien.
Hier en arrivant, j’ai eu du nez en récoltant quelques bouts de glace qui étaient bloqués sur des dalles. Mis dans une bassine pliable, ce matin j’avais mes deux litres à l’œil. Ici c’est de la survie à chaque pas. Cette journée de repos, ne me met pas en relaxation totale, il faut tout contrôler pour être sûr d’être opérationnel en cas de dégradation du temps ou de vagues d’icebergs disloqués. Hier c’était calme plat, mais j’ai pris mon temps pour quand même récolter des pierres qui ont bloqué ma tente, puis malgré son poids, j’ai fait un effort surhumain pour sortir Immaqa du bord de mer, heureusement. Alors que je rêvassais dans la tente, «mon» île s’est mise à trembler mais d’une force incroyable, une déflagration énorme. Le temps de mettre ma « guibole », un pull, un blouson, le bonnet, quel choc de voir une vague arriver droit sur nous, un iceberg de la taille d’une barre d’immeubles s’est pulvérisé, en jetant dans l’océan des tonnes de glace. Bien qu’à marée basse, la berge de l’île s’est transformée en coupe gorge, un ressac d’au moins 1 mètre l’a balayée pendant 10 minutes. Encore une leçon de vie, je suis resté scotché en me disant que si c’était pendant mon débarquement il y aurait eu beaucoup de dégâts. Décidément, la prudence est à assurer à tout instant.
Une journée de repos à observer la houle, les moutons, le vent mais sans le moindre nuage de souffleuse à l’horizon, les copines ont dû changer de restaurant… Ici la vie est survie, le temps est le seul allié sur lequel on peut compter. Ne jamais baisser la garde, vigilance et anticipation sont les seules règles valables, le reste, des blablas de sudiste… En face du camp, l’immense mer intérieure de Pâkitsoq. Si les Dieux du vent et des courants le veulent, demain nous allons aller l’explorer…
Ouf !
2 août 2017Hier soir en faisant ma « vaisselle », je trouvais vraiment le camp très près de la mer, il n’aurait pas fallu de houle d’ouest ! Eh ben oui, elle est arrivée cette nuit qui est toujours et encore jour. Comment veux-tu dormir dans ces conditions ? 4h du mat et on change de coin, via le sud… 5h du mat, ça y est, nous glissons sur une mer houleuse mais avec un vent faible de nord nord-ouest, vraiment comme il faut. Mais voilà qu’il se renforce, levant une mer chaotique, mais au moins ça pousse… Mais le vent augmente, la mer aussi, les premiers moutons nous lèchent la poupe, cela ne me plait pas du tout. Je tente la vitesse en envoyant le cerf-volant qui part au premier coup, waouh 7 km, Timmiaq, c’est son nom qui veut dire oiseau en groenlandais, tient seul mais au delà des 20 nds de vent, il part dans tous les sens pour finir à l’eau. Les déferlantes m’impressionnent, mais le kayak tient bon le cap. Par les pieds, je pilote le safran qui compense sans cesse les travers dus aux rouleaux. Il faut que rien ne casse, mais ça il ne faut pas y penser. Au bout d’une heure, c’est le coup de vent et dire que c’était prévu calme avec une brise de Nord nord-ouest de 3 à 4 nds !!! Timmiaq prend mal le vent, les bourrasques le déstabilisent, pour l’aider, je force comme un malade sur les pagaies pour lui donner moins de prise, mais patatras il s’écroule. Il me faut un exercice de cirque pour le ramener le plus rapidement possible sans qu’il ne passe derrière en se transformant en ancre flottante qui risquerait de me faire chavirer. Je ne sais toujours pas comment il s’est trouvé à bord aussi rapidement.
Maintenant, je n’ai plus que ma pagaie pour maintenir le cap, le travail est dantesque mais l’adrénaline me fait tenir le rythme sans souffrance aucune. Deux heures et le vent est stabilisé vers les 20 nds, avec un voilier c’est un pur plaisir, avec un kayak en mer polaire c’est la roulette russe. Pour tenir la cadence, des images me viennent et aujourd’hui la conversation que j’ai eu hier soir avec Karin me prend aux tripes. Son amie de formation yoga, s’est tuée dans un accident de la route il y a quelques jours, ma «petite» allemande est très affectée. Je ne connaissais pas cette femme, mais je pense fort à elle, à la vie. Nous sommes pendus à un fil de soie, à tout moment il peut céder pour nous amener vers l’autre monde… 3h, le vent est toujours là mais la mer est encore plus hachée, j’allume le GPS il me donne 4km/h, le courant est contraire au vent ! Il me faut sortir de cette route cabossée, le large me semble la seule solution. Et me voilà bouchonnant seul au monde avec une concentration extrême. Au bout de 4h, je franchis le cap pour enfin me retrouver sur une mer d’huile. Mais quelle galère, quelle énergie pour ne pas chavirer. Je ne dirai pas qui, «micca nomi», mais un drôle de spécialiste m’a dit : après le cap tu trouveras des accostages supers simples, plages, roches plates !!! Mais où bordel, où ? Que des roches abruptes et pour ce qui est des plages, une seule avec des galets gros comme des roues de tracteur !!! Alors je continue. Au dernier cap, j’entends sa voix qui me dit : « là tu verras, c’est super, un beau coin pour toi », oh l’enfoiré pour être poli !!! En face, le détroit large de 8km, j’ai compris ce sera encore une très grosse journée. Je me lance sur une mer d’huile avec un vent inexistant alors, pourquoi s’en faire. La motivation est au plus haut niveau, et quand la motivation est là, même les montagnes tu peux les déplacer… Des phoques me font oublier les baleines de ce matin qui ne nous ont même pas calculé, je les rassure : nous non plus ! Puis une légère brise de nord se lève, tout sur le travers. Là je me dis : non pas encore une rouste ! Puis non, cela reste une petite risée qui m’amène de l’autre côté de la rive pour une journée de 40 km. A notre arrivée, une belle baleine moins prétentieuse que les autres, se laisse un peu plus approcher, alors nous dansons ensemble…. L’île qui nous sert de bivouac est celle du premier camp que j’avais fait avec Karin il y a plus de 40 jours déjà, que d’eau sous la quille d’Immaqa depuis. En douceur, nous accostons pour enfin retrouver le calme et nos si bonnes nouilles chinoises.
Pour l’amie disparue de Karin, en mer, ces mots me sont venus : A toi belle inconnue, prends soin de toi et de ceux que tu aimes. Là où tu es, notre quotidien te semble bien drôle, prie pour nous pauvres tricheurs, prie pour notre salut, pour les peurs qui nous habitent. La vie ici en bas n’est qu’un combat d’une guerre que nous créons au quotidien. Si le ciel est ton paradis, je te dis à bientôt, la mort n’est qu’une porte que l’on ouvre derrière l’inconnu, alors n’ayons plus peur, ne tremblons plus de ce que nous ne connaissons pas…
Freeman plus que jamais…
Camp ouest Agdlugtodq
1 août 2017Je ne sais pas si je suis plus heureux d’arriver ou de partir, c’est la quête du nomade, se poser en sachant que proche sera le départ. Le village abandonné d’Agpat est dans mon dos, le courant nous porte vers l’inconnu. Un phoque décide de jouer les bodyguards pendant une bonne heure mais ce loustic reste toujours à distance, alors je l’engueule mais plus je parle fort plus il tente de sortir sa tête de l’eau pour savoir qui est le fada qui lui cause.
Le fameux cap où on m’avait prévu dangers et courant est d’un calme incroyable. La route occidentale de l’ile d’Agdlugtoq, n’est pas des plus faciles pour trouver des coins bivouacs, alors je cherche. Un premier arrêt me présente de gros galets, où il m’est absolument impossible de sortir Immaqa. Plus au sud, une plage de galets plus petits semble mieux mais les 3m² habitables sont difficiles à trouver. Depuis Qeqertaq, je possède la table des marées ce qui me permet de m’organiser, et là aujourd’hui le coefficient est faible et les hautes eaux vont se situer vers 17h30. Je décide donc de placer ma tente sur la plage face à l’île de Disko. Les très gros icebergs sont vraiment loin, donc en se désagrégeant ils ne feront pas de vagues ravageuses au bivouac des nomades polaires. Si les moustiques ont un peu diminué, ce sont les brûlots (entre la mouche et le moustique mais minuscule) qui pullulent, il y en a des milliards, impossible de rester sans moustiquaire de tête, un vrai calvaire. Vers 12h, je monte la tente pour manger ma truite saumonée déjà cuite, à l’abri et oui je me soigne !
Le ciel est gris et la température est douce sans rendre la tente comme un four. Je me repose, mais il y a un petit mais, mon moignon me fait souffrir le martyre. Les galets et la toundra rendent la marche casse patte, ma perte de poids aussi me rend plus ample dans l’emboiture de la prothèse, alors je serre les dents. Mais ce n’est pas ce détail qui va m’empêcher de vivre, il m’en faut plus pour me plaindre. Une fois le bivouac en place et la sieste organisée, je pars en clopinant à la recherche du grand lac à quelques boiteries de là. Immense, sublime et isolé comme jamais. Je n’arrive pas à croire que nous sommes le 1er août. Des glaciers, à perte de vue et des lacs plus beaux les uns que les autres… Demain, je vais tenter de faire un beau bout de route pour retrouver un coin plus abordable, le coin de ce soir ne me plait qu’à moitié, je n’aime pas être aussi proche de l’eau…
La mascotte a de plus en plus la langue bleue, c’est grave docteur, ou ce sont les myrtilles ?
Camp des baleines
28 juillet 2017Encore une fois, toute la nuit, ça a soufflé et le sommeil devient plus compliqué dans une tente sous les rafales. Au petit matin tout est calme, je me dis que c’est le bon moment pour reprendre la mer. Au moment de partir, à quelques encablures plus à l’ouest, entre deux blocs, une silhouette blanche attire mon attention. En deux coups de pagaie, je découvre une partie du squelette d’une baleine, encore à deux pas, un camp est gisant, tente détruite, objets personnels parsemés de ci de là, avec même un poêle à pétrole qui semble en bon état. La découverte me remet les pieds sur terre, ici nous ne sommes que des passants très peu tolérés. Ce matin, le portage a été douloureux, je n’ai pu trouver de bivouac adéquat, alors je me suis contenté d’un plan incliné. Mais mon cher moignon, lui, préfère le plat et cette position pied en bas l’a fait enfler, une bonne partie de «rigolade» pendant deux heures…
La mer est d’huile, je serre les fesses, qu’est ce qui nous attend ? Rien, que du bonheur, une mer plate, douce et sans courant, je crois être dans un rêve. En frôlant d’immenses falaises, des guillemots m’offrent leur chant qui est un doux sifflement, les bernaches se poussent toujours un peu à notre passage et les colosses de glace se font de plus en plus rares. Oui, c’est ça que j’étais venu chercher, du calme teinté de poésie boréale, de la paix inspiratrice de poèmes pour dame Nature, mais hélas, jusqu’à présent, elle ne m’a permis que des combats truqués où le kayakiste perd chaque partie. Heureusement, l’échec et mat a été évité, de justesse, mais évité quand même…
Je poursuis, je chante, la mascotte se bouche les oreilles ! C’est bon la vie ici. Une belle plage nous permet l’arrêt café, barre de céréale puis le cap Tulugaq nous offre sa brise et courant contraire, mais cela fut bref, la mer d’huile était au coin, juste après la pointe. 3 phoques nous épient, un point rouge sur l’eau qui se traîne en chantant, ça va rester dans les annales. Nous sommes venus pour les baleines, mais rien de rien, que du calme, ce n’est pas grave, la vie est belle quand tout est calme. Je longe une côte austère, impossible de trouver un coin bivouac, alors nous traversons, cap sur une petite île. Nüa, c’est son nom, nous permet de poser le camp du jour. Là bas, très au Nord, le détroit de Disko, nous fait entrevoir le coin où tout a failli basculer. Un frisson me prend les tripes, là bas j’ai rebroussé chemin, là bas un tsunami a enlevé des vies, des vents violents ont mis le kayakiste en rouge en zone noire et en regardant ce grand Nord, je ne regrette aucunement mon choix de retour en arrière. Plus de 500 km effectués en 39 jours, 39 jours d’apprentissage, 39 jours pour comprendre les règles des côtes du Groenland. Ma route n’est pas finie, il me faut rester très attentif, très prudent, ne rien laisser passer, mais aujourd’hui, là à l’instant présent, sur une petite île de la côte ouest de la grande île d’Agdlugtoq, un homme libre savoure le silence et le bonheur d’être tout simplement là où il est …
Yes i’m a Freeman, Kuffaanngissuesq…
Silence et sérénité
26 juillet 2017Pas une ride, le calme plat, juste le vacarme des icebergs qui explosent et quelque part sur une plage, un nomade qui ne fait rien. A moins que ce soit le contraire, un homme qui vagabonde le monde car il est tout simplement vivant. Le silence mène à la méditation, à la confrontation avec soi même, à écouter ce qui nous entoure et ici c’est le silence absolu. Des nuages de morues déambulent à tir de lancer, alors la cuillère vole pour toucher l’eau, affolement de la troupe, une proie vient troubler leur procession. Une plus vivace, plus audacieuse, plus folle, gobe le leurre. En douceur, je la ramène à terre, j’ai l’impression de me voir avec Dame Nature, un claquement de doigt et c’est fini, alors sagement, je lui retire l’hameçon, l’embrasse entre ses deux gros yeux globuleux et la remets à l’eau. Il faut être bon joueur, elle aussi a droit à son joker. Mais au loin, un bruit de fond m’interpelle, oui c’est ça le petit point au large, au milieu des icebergs, c’est bien une baleine. Le silence dévoile ses trésors et j’en suis le seul témoin. Le soleil est au rendez-vous, la chaleur prend du grade un bon 12° à l’ombre, 30° dans la tente, la canicule !
En face Qeqertaq, mes habits sentent le rat mort, mon coup de mou des jours passés m’a fait transpirer d’une manière malsaine. Le kayak complètement vide, je vais traverser le golfe. Je confie le camp à Jo Zef et lui donne les consignes : si un ours s’approche, tu siffles ! Filant comme une balle, je cherche la baleine mais le champ de glaçons m’empêche de la voir. La maison commune est vide mais ouverte, alors je décrasse, j’en avais le plus grand besoin… Le bureau pour une connexion internet est fermé, dommage. Vers 13h, je suis de retour à la maison, ouf pas de passage, la mascotte a fait un bon boulot. Sur la route, j’ai rencontré Ben et ses clients, ils avaient leur camp à 1km plus au nord. Il m’avait vu et était venu à ma rencontre pendant mon coup de mou. Un sacré bon gars qui amène les touristes aventuriers au bout de leur rêve. Si le voyage vous tente, il bosse pour l’agence 66°Nord qui a organisé les vols entre le sud et le Groenland pour Bout de vie. On se reverra j’en suis sûr. Malgré le vent nul, les moustiques sont tranquilles, ce ne sont plus des millions mais quelques audacieux, qui tentent l’appontage mais sans succès. Je monte le tarp pour donner un coup de frais à la tente, une petite radio m’accompagne et, à quelques encablures d’un village, je peux écouter des musiques groenlandaises.
Le voyage est en mutation, d’une course contre la montre, toujours plus nord, il devient réflexion, pause, découverte. Le temps s’offre à nous, les nomades du grand nord. Mon corps m’a donné une leçon, la glace et le vent aussi. Décidément, ici c’est l’école de la vie sans livre, du mystique sans livre sacré, du pèlerinage sans monastère. Demain, tout neuf et frais comme une morue remise à la mer, nous allons lever le camp pour la rencontre d’un autre coin, d’une autre plage, d’autres rencontres, d’autres émerveillements…
A pluche
Interview Radio France Bleu lundi 24 juillet 2017
24 juillet 2017Comme chaque lundi, nous retrouvons Frank Bruno Officiel, en direct du Groenland…
Publié par France Bleu RCFM sur lundi 24 juillet 2017
Groenland 2017 : Expédition Kiffanngisssuesq
19 juillet 2017Article du 12 juillet 2017 dans Corse Matin
12 juillet 2017Camp de la neige
2 juillet 2017Toute la nuit les rafales ont secoué la tente, il me faut prendre une décision, rester ou reprendre la mer. Ce nid d’aigle ne m’inspire pas trop. Julien par mail m’a annoncé une baisse d’intensité du vent du sud. Je suis indécis, partir ou rester ? Au moment de couper mon système satellite, celui-ci sonne. « Mon » Dume m’appelle, ensemble nous avions traversé l’Atlantique à la rame, un truc de dingue qui nous a unis pour la vie. On discute des conditions que je rencontre, de la vie, de ses blessures puis au moment de raccrocher je lui demande : oui ou non ! Il me répond oui ! C’est décidé on part !
Avec précaution je fais glisser Immaqa sans le blesser puis prudemment, je descend le barda pour tout caser à bord, chaque place est bien pensée. J’active la balise spot pour que vous puissiez suivre notre progression et nous voilà partis. Les rafales bien que violentes encore sont presque dans notre cap, alors par « gourmandise » je prends droit sans longer la côte. Au beau milieu, un orage de neige avec son blizzard nous arrive dessus, comme je regrette de ne pas être plus à terre. Alors je m’attelle à la cadence gladiateur. Finalement l’orage passe et la mer devient calme. La progression est bonne mais les enfants d’Apoutsiaq (flocons de neige) virevoltent autour de nous. Et dire que ce matin les premières fleurs de Niviarsiaq (Epilobes à fleurs larges) nous sont apparues.
Nous longeons un immense mur de pierre de plus 650 m de haut, je me sens tellement petit ici. Pas de moyen de débarquer, une seule devise : avance et arrête de te plaindre. Au bout de 3h je vois au loin le point fixé au matin mais quelque chose me dit que ce n’est pas le bon coin et vu que la brise est passée d’est, pourquoi ne pas rejoindre la côte nord au cas où le temps se dégraderait. Bonne intuition, le vent se renforce en nous poussant, mais au fur et à mesure de notre navigation les glaçons se multiplient jusqu’au moment où les passages sont de plus en plus délicats. Je serre les fesses. Il ne faut pas que l’un d’eux chavire à notre passage, ce serait fatal. Nos anges gardiens, vous et vos bonnes pensées, font que nous esquivons les uppercuts de ces colosses.
Arrivés au cap Nuâ, la neige redouble de violence, ce sont des lambeaux de coton qui nous tombent des cieux. Le brouillard nous rejoint oh le taquin. Le point rouge est emmitouflé d’une écharpe blanche. Le GPS doit être allumé, sinon on risque d’y passer la nuit, qu’il n’y a jamais en ce moment ! Finalement au 28ème km, Immaqa accoste sur une plage de rêve, assez plate et sans caillou pour qu’il puisse être hissé sur son chariot. En un temps record la tente est montée et une forte lumière malgré la neige qui continue de nous saupoudrer permet d’avoir une bonne température à l’intérieur. Myrtille sur la crêpe, la radio locale peut être captée et de beaux airs groenlandais rendent l’équipage joyeux.
Karin a dû retrouver son chez elle en Corse aujourd’hui après un long périple retour, il me semble encore l’entendre pagayer derrière moi.
Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à partir de 12h40 heure française.
A pluche
Camp Ulùssat
1 juillet 2017La nuit fut agitée, mes pensées m’ont quasiment empêché de trouver le sommeil, la peur peut-être, les questions sûrement. Des centaines de canards et d’oies Eider squattent le même îlot que celui qui nous a abrités. Ils ont l’air de se moquer de nous, leur instant présent est de couver leurs œufs. Toute la nuit des bourrasques de neige ont secoué la tente. Vers le sud, toutes les montagnes sont saupoudrées de blanc et dire que nous sommes le 1er juillet ! Je reprends la mer tout en sachant que la journée va être compliquée. Le vent du sud est déjà soutenu. Pour corser la navigation, des courants turbulents et contraires me font des petites peurs, bien sur le tout en slalomant au milieu de glaçons affutés comme jamais. Mon pauvre Immaqa tremble de tous ces dangers, sa peau de néoprène, bien que très résistante, ne supporterait pas de tel rasoirs. Nous doublons deux îlots pour enfin nous mettre à l’abri de la grande île. Les rafales de vent m’arrachent presque les pagaies, je dois travailler comme un gladiateur, l’effort est surhumain. Au bout du dixième kilomètre, une échancrure nous permet la halte qui définira la suite de notre progression.
Bien que la côte soit escarpée, je trouve une toute petite place pour qu’Immaqa soit en sécu totale avec la marée, qui frise les 3,5m. Là aussi le travail est énorme, il me faut monter tout le barda en évitant de glisser sur une dalle, et trouver les 3m² habitables pour y dresser la tente. Les 15 jours au côté de Karin m’ont beaucoup appris. Ses 30 années de chef de centre de plongée sous marine teintées d’une culture allemande lui ont appris la réflexion sans agitation. Donc j’ai parcouru tout le terrain puis me suis assis pour prendre la bonne décision ! Les rafales de vent me demandent d’être très vigilant. Perdre ma tente serait dramatique. Je m’applique pour réaliser enfin le bivouac parfait. Le vent prend de la force, les rafales catabatiques sont impressionnantes, la tente ploie sous la pression puis reprend sa forme initiale. Wilfrid à Bonifacio m’a rajouté 50 cm de toile à pourrir tout autour de la tente, et sur ces morceaux de toile je peux y apposer de gros cailloux pour tout bloquer.
Au fur et à mesure que la marée monte, Immaqa prend de l’altitude, des bourrasques de neige me frigorifient, le nid douillet de la tente me permet de ne pas congeler. Là bas au bout du monde un freeman grelote, vous en bas vous transpirez. La vie est ainsi faite mais ce soir, malgré la crasse, le vent, le manque de ma petite allemande, la peur au ventre, je ne changerai pour rien au monde ma place…
Vivre le danger en le regardant droit dans les yeux, sans trembler tout en ayant peur…