Chut, silence en cours
5 août 2017Pas un iceberg qui claque, pas une houle à guetter, pas un souffle, le silence dans tous ses états. Comme dirait Sylvain Tesson, le silence c’est le bruit du temps qui passe… Une morue a sauvagement émis des splashs dans la lagune face au bivouac, malgré l’heure tardive, elle s’est retrouvée filetée en sachet en attendant notre poêle à frire !
Au petit matin, le brouillard nous enveloppe, un signe de vent de sud-ouest pour la région, cela signifie aussi une journée sans moustiquaire de tête, les suceurs de sang n’aiment pas le Libeccu polaire. Le camp va rester monté, le coin est trop beau pour être si brutalement quitté. Je profite de ce calme à moustiques, pour m’offrir une courte, mais magnifique balade, mon moignon réclame du repos, alors je dois l’écouter. Pas de portage de kayak, de mise à l’eau houleuse avec des efforts de gladiateur pour que rien ne se brise, ni le kayak ni mes vieux os. Je vais quitter mon pantalon étanche pour une paire de pantoufles boréales. Le coin est délicieux, si je devais le classer dans tous ceux visités, il figurerait sur le podium. La température a sacrement chuté mais cela me plait, je laisse aux aoûtiens du sud le soin de se déshydrater sous le soleil méditerranéen, ici le froid est tonique, il met l’esprit en veille permanente.
S’adapter sera le mot clé de ce voyage, mais la vie ne serait-elle pas une succession d’adaptations ? En naissant, on rampe, on chope tout ce qui peut passer sous notre main de bébé, puis l’on se redresse tant bien que mal. En perdant une jambe, c’est un peu pareil aussi, on est bancal, mais vous le savez bien, ce n’est pas tomber qui est important, mais se relever, alors on s’adapte. Ici, c’est exactement ça, s’adapter, se mouler au paysage, au lieu. Je commence à comprendre pourquoi l’eskimo est si peu bavard, si silencieux, depuis des millénaires il s’est adapté. Un gars qui parle fort ici, va être mis sur la touche de suite, j’en suis convaincu en quelques jours son langage deviendrait doux, bas, étonnement à l’écoute de ce qui va arriver.
Le brouillard avec des trouées de soleil rend le coin mystique, antique. Je m’attends à tout moment à voir surgir de derrière un massif minéral, un mammouth suivi d’hommes d’un autre millénaire. La dite civilisation d’hommes de Saqqaq a habité la baie de Disko et je n’arrive pas à savoir si c’est un effet naturel ou historique mais en me baladant, j’ai trouvé d’immenses dalles recouvertes de lichen avec des inscriptions ! Une sorte d’alphabet tracé dans le végétal qui met beaucoup de temps à évoluer, des lignes et des lignes, un peu comme les signes rupestres de la vallée des merveilles du Mercantour, mais ici ce n’est pas la roche qui est gravée mais le lichen. Au village Oqaatsut, j’aurai certainement ma réponse.
Les bolets tapissent la toundra, un beau plat de morue-champignons m’attend à midi. En entrée, j’ai réussi à transformer les œufs de truites pêchées il y a quelques jours, en poutargue, la simplicité de vie rend ingénieux. Ma balade me mène sur une ancienne maison abandonnée, moitié en planches, moitié en tourbe, ma rêverie essaie de définir le personnage qui a résidé ici et surtout à le dater ! Là aussi, peut-être plus tard j’aurai ma réponse. Tiens, la tête de morue que j’avais planquée assez loin du camp n’est plus là, un renardeau a du s’en saisir pour un festin en l’honneur de l’équipe des bancals. Oui, mon pauvre kayak, lui aussi boite bas, une latte arrière est brisée, mais rien de bien grave pour cet équipage du tonnerre de Dieu. Qu’ils se méfient, si du brouillard sortait un drakkar viking nous l’enverrions par le fond. Par Thor et par Odin, on n’est pas les flibustiers du temps présent ? Les champignons rissolent avec la morue. Jo Zef a la mission de veiller au camp si par derrière, un ours blanc avait la mauvaise idée de venir déjeuner avec nous, c’est que nous, nous sommes des solitaires…
L’expédition du record, de la première mondiale, se recompose en une exploration paisible, non plus avec les vents contraires mais avec le blizzard qui nous guidera où bon lui semblera. Un voyage de l’intérieur, une introspection dans le silence absolu. Quand je pense que 100 millions de touristes sont tout autour de la Méditerranée alors qu’au même moment, ici à des kilomètres, nous sommes seuls au monde. Notre pauvre planète, doit bien nous prendre pour des dingues, il y a assez d’espace pour tout le monde, le brouhaha est la pollution la plus nocive, elle rend dingue les «autres». Sartre disait : L’enfer c’est les autres . Si ici cela peut-être vite l’enfer, c’est parce que j’ai juste fait un mauvais choix de parcours…. Je vous envoie plein de fraîcheur et de silence.
PS : Jo Zef est aux anges, nous avons posé la tente sur un champ de myrtilles, il n’y a même pas à sortir du sac de couchage pour se goinfrer…
Camp du lac salé
4 août 2017C’est bien d’être sur une petite île seul au monde mais encore faut-il la quitter un jour ou l’autre, pourtant un immense «mais» était d’humeur matinale. Un iceberg de chaque côté du caillou et rien d’autre que de l’océan, mais ces deux monstres se sont auto-plastiqués 3 fois, des milliers de m³ de glace qui volent en éclat avec des blocs gigantesques créant une série de vagues à refroidir plus d’un aventurier téméraire. Donc, avec la plus grande des prudences, j’ai posé Immaqa les fesses à l’eau mais encore sur son chariot. Le matos à charger était à portée de prothèse, mais pas trop près non plus en cas de raz de marée. Un vrai exercice de style qui te permet de rentrer dans ta journée avec un bon taux d’adrénaline. Finalement, l’embarquement a pu se faire sans embrouille, direction le golfe de Pakistoq. Bien sûr, vent et courant sont contraires mais je suis resté bloqué sur ma mise à l’eau de ce matin, une vraie roulette russe sans plan B et ça je n’aime pas du tout. Si la vague arrive au moment de charger le kayak, à moins d’un miracle tu te retrouves en slip en perdant tout ton matos, un truc de fou.
J’avance en prenant mon mal en patience. Cette partie m’est complètement inconnue et ma seule question du jour est où vais-je bien pouvoir trouver un abri sûr pour cette nuit.Ce golfe bien plus grand que celui de Porto-Vecchio est hostile, sans la moindre trace de vie. De hautes falaises l’encerclent et à raz des cailloux, un minuscule point rouge. Au bout de 2h30, je trouve le premier coin accostable, en plus il y a de l’eau à proximité, je ne vais pas trop me charger, avec mes 2 litres j’en ai assez pour la journée, ce soir je trouverai ça ! Puis le vent et le courant se renforcent, me donnant une moyenne de 2,5 km/h, à un moment je me suis dit : mais t’as qu’à tourner tes fesses et viser ta petite maison bleue, là bas loin au sud. Mais vous me connaissez, il est têtu le garçon, alors je poursuis dans une impasse, un couloir ventilé à souhait mais à son bout, je devine une cabane. Un vrai calvaire, le vent dans la gueule. A midi pétante, on ne rigole pas avec ça, je peux enfin manger mes nouilles chinoises dans ce pertuis complètement perdu, un vrai coupe-gorge, un coup d’ouest et t’es un rat mort !
Je m’extirpe de ce piège mais je sais qu’à mon tribord si je grimpe la colline, je pourrai voir la mer intérieure de Pakistup Ilordlia. Donc, je trouve une brèche protégée de l’est mais il faut absolument que je sécurise Immaqa, là je n’ai vraiment pas envie de le voir partir au large. Je noue, je frappe, tout ce qui est corde est fixé à terre. Mais cette ascension rapide pour voir de l’autre côté ne me rassure pas du tout. Je n’aime absolument pas savoir mon beau kayak seul, entouré de cailloux acérés. Malgré tout, je vois enfin cette mer émeraude, un écrin encerclé de falaises, là je crois que les carottes sont cuites pour que j’y trouve un abri. Reprenant ma route, je vais devoir couper la passe qui pénètre cette petite mer intérieure, nous sommes à marée descendante ! Oula oula, ce n’est plus du courant, ce sont les rapides du Yukon, à vue de nez il doit y avoir 6 nds de courant sortant. Malgré le vent, je prends large pour éviter les remous mais me voilà de nouveau dans la tourmente, j’ai le sang qui se glace, les remous sont monstrueux, je prie pour qu’il n y ai pas un tourbillon m’entrainant au fond !!! Encore un gros moment d’adrénaline !
Puis le cap est pris vers une minuscule baie qui devrait me faire trouver l’abri juste du soir. En bifurquant, là sous mes yeux, la merveille des merveilles, en plus de deux renardeaux qui m’observent, une baie super protégée avec un déversoir d’un lac juste à 20 m derrière. Les dalles sont pentues à la perfection pour pouvoir hisser mon bon kayak sans problème, et si c’était ça le paradis ? Je sécurise mon embarcation pour aller me rafraichir au torrent. Mais là, je me dis que je dois être sacrément salé, car l’eau que je bois à le goût du sel, je me lave le visage, les mains et regoûte l’eau du torrent, mais non de bleu mais c’est de l’eau de mer !!! Un lac juste plus haut de 2mts avec son déversoir de 20 m cela me semblait extraordinaire, et ben à marée haute ils doivent être au même niveau… Un peu écœuré de ce malentendu, pour ce soir je vais devoir me contenter de mes 2 litres d’eau. Pour le diner spectacle, une jolie cascade se trouve à environ ½ de marche d’ici mais pour ce soir c’est clair, je suis cuit, extra cuit. Pour finir ce billet, la température est en train de chuter, ce matin à l’abri dans la tente, il faisait un petit 4°, vivement l’été…
A pluche
Vigilance
3 août 2017Le vent du nord a pris de la force, il fait un froid polaire, normal où je suis, non ? La journée d’hier a laissé des traces, ce que j’avais planifié aujourd’hui, je l’ai pagayé hier, alors farniente ! Qu’il est bon d’être enfoui dans son sac de couchage en sachant que dehors c’est un congélateur, je ne veux plus lutter et me laisse bercer par mon immense fainéantise et je n’ai pas honte. L’île qui nous accueille est grande comme un mouchoir de poche, 50 m sur 300 m de large maximum, mais elle a un quelque chose qui fait que je m’y sens bien.
Hier en arrivant, j’ai eu du nez en récoltant quelques bouts de glace qui étaient bloqués sur des dalles. Mis dans une bassine pliable, ce matin j’avais mes deux litres à l’œil. Ici c’est de la survie à chaque pas. Cette journée de repos, ne me met pas en relaxation totale, il faut tout contrôler pour être sûr d’être opérationnel en cas de dégradation du temps ou de vagues d’icebergs disloqués. Hier c’était calme plat, mais j’ai pris mon temps pour quand même récolter des pierres qui ont bloqué ma tente, puis malgré son poids, j’ai fait un effort surhumain pour sortir Immaqa du bord de mer, heureusement. Alors que je rêvassais dans la tente, «mon» île s’est mise à trembler mais d’une force incroyable, une déflagration énorme. Le temps de mettre ma « guibole », un pull, un blouson, le bonnet, quel choc de voir une vague arriver droit sur nous, un iceberg de la taille d’une barre d’immeubles s’est pulvérisé, en jetant dans l’océan des tonnes de glace. Bien qu’à marée basse, la berge de l’île s’est transformée en coupe gorge, un ressac d’au moins 1 mètre l’a balayée pendant 10 minutes. Encore une leçon de vie, je suis resté scotché en me disant que si c’était pendant mon débarquement il y aurait eu beaucoup de dégâts. Décidément, la prudence est à assurer à tout instant.
Une journée de repos à observer la houle, les moutons, le vent mais sans le moindre nuage de souffleuse à l’horizon, les copines ont dû changer de restaurant… Ici la vie est survie, le temps est le seul allié sur lequel on peut compter. Ne jamais baisser la garde, vigilance et anticipation sont les seules règles valables, le reste, des blablas de sudiste… En face du camp, l’immense mer intérieure de Pâkitsoq. Si les Dieux du vent et des courants le veulent, demain nous allons aller l’explorer…
Ouf !
2 août 2017Hier soir en faisant ma « vaisselle », je trouvais vraiment le camp très près de la mer, il n’aurait pas fallu de houle d’ouest ! Eh ben oui, elle est arrivée cette nuit qui est toujours et encore jour. Comment veux-tu dormir dans ces conditions ? 4h du mat et on change de coin, via le sud… 5h du mat, ça y est, nous glissons sur une mer houleuse mais avec un vent faible de nord nord-ouest, vraiment comme il faut. Mais voilà qu’il se renforce, levant une mer chaotique, mais au moins ça pousse… Mais le vent augmente, la mer aussi, les premiers moutons nous lèchent la poupe, cela ne me plait pas du tout. Je tente la vitesse en envoyant le cerf-volant qui part au premier coup, waouh 7 km, Timmiaq, c’est son nom qui veut dire oiseau en groenlandais, tient seul mais au delà des 20 nds de vent, il part dans tous les sens pour finir à l’eau. Les déferlantes m’impressionnent, mais le kayak tient bon le cap. Par les pieds, je pilote le safran qui compense sans cesse les travers dus aux rouleaux. Il faut que rien ne casse, mais ça il ne faut pas y penser. Au bout d’une heure, c’est le coup de vent et dire que c’était prévu calme avec une brise de Nord nord-ouest de 3 à 4 nds !!! Timmiaq prend mal le vent, les bourrasques le déstabilisent, pour l’aider, je force comme un malade sur les pagaies pour lui donner moins de prise, mais patatras il s’écroule. Il me faut un exercice de cirque pour le ramener le plus rapidement possible sans qu’il ne passe derrière en se transformant en ancre flottante qui risquerait de me faire chavirer. Je ne sais toujours pas comment il s’est trouvé à bord aussi rapidement.
Maintenant, je n’ai plus que ma pagaie pour maintenir le cap, le travail est dantesque mais l’adrénaline me fait tenir le rythme sans souffrance aucune. Deux heures et le vent est stabilisé vers les 20 nds, avec un voilier c’est un pur plaisir, avec un kayak en mer polaire c’est la roulette russe. Pour tenir la cadence, des images me viennent et aujourd’hui la conversation que j’ai eu hier soir avec Karin me prend aux tripes. Son amie de formation yoga, s’est tuée dans un accident de la route il y a quelques jours, ma «petite» allemande est très affectée. Je ne connaissais pas cette femme, mais je pense fort à elle, à la vie. Nous sommes pendus à un fil de soie, à tout moment il peut céder pour nous amener vers l’autre monde… 3h, le vent est toujours là mais la mer est encore plus hachée, j’allume le GPS il me donne 4km/h, le courant est contraire au vent ! Il me faut sortir de cette route cabossée, le large me semble la seule solution. Et me voilà bouchonnant seul au monde avec une concentration extrême. Au bout de 4h, je franchis le cap pour enfin me retrouver sur une mer d’huile. Mais quelle galère, quelle énergie pour ne pas chavirer. Je ne dirai pas qui, «micca nomi», mais un drôle de spécialiste m’a dit : après le cap tu trouveras des accostages supers simples, plages, roches plates !!! Mais où bordel, où ? Que des roches abruptes et pour ce qui est des plages, une seule avec des galets gros comme des roues de tracteur !!! Alors je continue. Au dernier cap, j’entends sa voix qui me dit : « là tu verras, c’est super, un beau coin pour toi », oh l’enfoiré pour être poli !!! En face, le détroit large de 8km, j’ai compris ce sera encore une très grosse journée. Je me lance sur une mer d’huile avec un vent inexistant alors, pourquoi s’en faire. La motivation est au plus haut niveau, et quand la motivation est là, même les montagnes tu peux les déplacer… Des phoques me font oublier les baleines de ce matin qui ne nous ont même pas calculé, je les rassure : nous non plus ! Puis une légère brise de nord se lève, tout sur le travers. Là je me dis : non pas encore une rouste ! Puis non, cela reste une petite risée qui m’amène de l’autre côté de la rive pour une journée de 40 km. A notre arrivée, une belle baleine moins prétentieuse que les autres, se laisse un peu plus approcher, alors nous dansons ensemble…. L’île qui nous sert de bivouac est celle du premier camp que j’avais fait avec Karin il y a plus de 40 jours déjà, que d’eau sous la quille d’Immaqa depuis. En douceur, nous accostons pour enfin retrouver le calme et nos si bonnes nouilles chinoises.
Pour l’amie disparue de Karin, en mer, ces mots me sont venus : A toi belle inconnue, prends soin de toi et de ceux que tu aimes. Là où tu es, notre quotidien te semble bien drôle, prie pour nous pauvres tricheurs, prie pour notre salut, pour les peurs qui nous habitent. La vie ici en bas n’est qu’un combat d’une guerre que nous créons au quotidien. Si le ciel est ton paradis, je te dis à bientôt, la mort n’est qu’une porte que l’on ouvre derrière l’inconnu, alors n’ayons plus peur, ne tremblons plus de ce que nous ne connaissons pas…
Freeman plus que jamais…
Camp ouest Agdlugtodq
1 août 2017Je ne sais pas si je suis plus heureux d’arriver ou de partir, c’est la quête du nomade, se poser en sachant que proche sera le départ. Le village abandonné d’Agpat est dans mon dos, le courant nous porte vers l’inconnu. Un phoque décide de jouer les bodyguards pendant une bonne heure mais ce loustic reste toujours à distance, alors je l’engueule mais plus je parle fort plus il tente de sortir sa tête de l’eau pour savoir qui est le fada qui lui cause.
Le fameux cap où on m’avait prévu dangers et courant est d’un calme incroyable. La route occidentale de l’ile d’Agdlugtoq, n’est pas des plus faciles pour trouver des coins bivouacs, alors je cherche. Un premier arrêt me présente de gros galets, où il m’est absolument impossible de sortir Immaqa. Plus au sud, une plage de galets plus petits semble mieux mais les 3m² habitables sont difficiles à trouver. Depuis Qeqertaq, je possède la table des marées ce qui me permet de m’organiser, et là aujourd’hui le coefficient est faible et les hautes eaux vont se situer vers 17h30. Je décide donc de placer ma tente sur la plage face à l’île de Disko. Les très gros icebergs sont vraiment loin, donc en se désagrégeant ils ne feront pas de vagues ravageuses au bivouac des nomades polaires. Si les moustiques ont un peu diminué, ce sont les brûlots (entre la mouche et le moustique mais minuscule) qui pullulent, il y en a des milliards, impossible de rester sans moustiquaire de tête, un vrai calvaire. Vers 12h, je monte la tente pour manger ma truite saumonée déjà cuite, à l’abri et oui je me soigne !
Le ciel est gris et la température est douce sans rendre la tente comme un four. Je me repose, mais il y a un petit mais, mon moignon me fait souffrir le martyre. Les galets et la toundra rendent la marche casse patte, ma perte de poids aussi me rend plus ample dans l’emboiture de la prothèse, alors je serre les dents. Mais ce n’est pas ce détail qui va m’empêcher de vivre, il m’en faut plus pour me plaindre. Une fois le bivouac en place et la sieste organisée, je pars en clopinant à la recherche du grand lac à quelques boiteries de là. Immense, sublime et isolé comme jamais. Je n’arrive pas à croire que nous sommes le 1er août. Des glaciers, à perte de vue et des lacs plus beaux les uns que les autres… Demain, je vais tenter de faire un beau bout de route pour retrouver un coin plus abordable, le coin de ce soir ne me plait qu’à moitié, je n’aime pas être aussi proche de l’eau…
La mascotte a de plus en plus la langue bleue, c’est grave docteur, ou ce sont les myrtilles ?
Camp des baleines
28 juillet 2017Encore une fois, toute la nuit, ça a soufflé et le sommeil devient plus compliqué dans une tente sous les rafales. Au petit matin tout est calme, je me dis que c’est le bon moment pour reprendre la mer. Au moment de partir, à quelques encablures plus à l’ouest, entre deux blocs, une silhouette blanche attire mon attention. En deux coups de pagaie, je découvre une partie du squelette d’une baleine, encore à deux pas, un camp est gisant, tente détruite, objets personnels parsemés de ci de là, avec même un poêle à pétrole qui semble en bon état. La découverte me remet les pieds sur terre, ici nous ne sommes que des passants très peu tolérés. Ce matin, le portage a été douloureux, je n’ai pu trouver de bivouac adéquat, alors je me suis contenté d’un plan incliné. Mais mon cher moignon, lui, préfère le plat et cette position pied en bas l’a fait enfler, une bonne partie de «rigolade» pendant deux heures…
La mer est d’huile, je serre les fesses, qu’est ce qui nous attend ? Rien, que du bonheur, une mer plate, douce et sans courant, je crois être dans un rêve. En frôlant d’immenses falaises, des guillemots m’offrent leur chant qui est un doux sifflement, les bernaches se poussent toujours un peu à notre passage et les colosses de glace se font de plus en plus rares. Oui, c’est ça que j’étais venu chercher, du calme teinté de poésie boréale, de la paix inspiratrice de poèmes pour dame Nature, mais hélas, jusqu’à présent, elle ne m’a permis que des combats truqués où le kayakiste perd chaque partie. Heureusement, l’échec et mat a été évité, de justesse, mais évité quand même…
Je poursuis, je chante, la mascotte se bouche les oreilles ! C’est bon la vie ici. Une belle plage nous permet l’arrêt café, barre de céréale puis le cap Tulugaq nous offre sa brise et courant contraire, mais cela fut bref, la mer d’huile était au coin, juste après la pointe. 3 phoques nous épient, un point rouge sur l’eau qui se traîne en chantant, ça va rester dans les annales. Nous sommes venus pour les baleines, mais rien de rien, que du calme, ce n’est pas grave, la vie est belle quand tout est calme. Je longe une côte austère, impossible de trouver un coin bivouac, alors nous traversons, cap sur une petite île. Nüa, c’est son nom, nous permet de poser le camp du jour. Là bas, très au Nord, le détroit de Disko, nous fait entrevoir le coin où tout a failli basculer. Un frisson me prend les tripes, là bas j’ai rebroussé chemin, là bas un tsunami a enlevé des vies, des vents violents ont mis le kayakiste en rouge en zone noire et en regardant ce grand Nord, je ne regrette aucunement mon choix de retour en arrière. Plus de 500 km effectués en 39 jours, 39 jours d’apprentissage, 39 jours pour comprendre les règles des côtes du Groenland. Ma route n’est pas finie, il me faut rester très attentif, très prudent, ne rien laisser passer, mais aujourd’hui, là à l’instant présent, sur une petite île de la côte ouest de la grande île d’Agdlugtoq, un homme libre savoure le silence et le bonheur d’être tout simplement là où il est …
Yes i’m a Freeman, Kuffaanngissuesq…
Silence et sérénité
26 juillet 2017Pas une ride, le calme plat, juste le vacarme des icebergs qui explosent et quelque part sur une plage, un nomade qui ne fait rien. A moins que ce soit le contraire, un homme qui vagabonde le monde car il est tout simplement vivant. Le silence mène à la méditation, à la confrontation avec soi même, à écouter ce qui nous entoure et ici c’est le silence absolu. Des nuages de morues déambulent à tir de lancer, alors la cuillère vole pour toucher l’eau, affolement de la troupe, une proie vient troubler leur procession. Une plus vivace, plus audacieuse, plus folle, gobe le leurre. En douceur, je la ramène à terre, j’ai l’impression de me voir avec Dame Nature, un claquement de doigt et c’est fini, alors sagement, je lui retire l’hameçon, l’embrasse entre ses deux gros yeux globuleux et la remets à l’eau. Il faut être bon joueur, elle aussi a droit à son joker. Mais au loin, un bruit de fond m’interpelle, oui c’est ça le petit point au large, au milieu des icebergs, c’est bien une baleine. Le silence dévoile ses trésors et j’en suis le seul témoin. Le soleil est au rendez-vous, la chaleur prend du grade un bon 12° à l’ombre, 30° dans la tente, la canicule !
En face Qeqertaq, mes habits sentent le rat mort, mon coup de mou des jours passés m’a fait transpirer d’une manière malsaine. Le kayak complètement vide, je vais traverser le golfe. Je confie le camp à Jo Zef et lui donne les consignes : si un ours s’approche, tu siffles ! Filant comme une balle, je cherche la baleine mais le champ de glaçons m’empêche de la voir. La maison commune est vide mais ouverte, alors je décrasse, j’en avais le plus grand besoin… Le bureau pour une connexion internet est fermé, dommage. Vers 13h, je suis de retour à la maison, ouf pas de passage, la mascotte a fait un bon boulot. Sur la route, j’ai rencontré Ben et ses clients, ils avaient leur camp à 1km plus au nord. Il m’avait vu et était venu à ma rencontre pendant mon coup de mou. Un sacré bon gars qui amène les touristes aventuriers au bout de leur rêve. Si le voyage vous tente, il bosse pour l’agence 66°Nord qui a organisé les vols entre le sud et le Groenland pour Bout de vie. On se reverra j’en suis sûr. Malgré le vent nul, les moustiques sont tranquilles, ce ne sont plus des millions mais quelques audacieux, qui tentent l’appontage mais sans succès. Je monte le tarp pour donner un coup de frais à la tente, une petite radio m’accompagne et, à quelques encablures d’un village, je peux écouter des musiques groenlandaises.
Le voyage est en mutation, d’une course contre la montre, toujours plus nord, il devient réflexion, pause, découverte. Le temps s’offre à nous, les nomades du grand nord. Mon corps m’a donné une leçon, la glace et le vent aussi. Décidément, ici c’est l’école de la vie sans livre, du mystique sans livre sacré, du pèlerinage sans monastère. Demain, tout neuf et frais comme une morue remise à la mer, nous allons lever le camp pour la rencontre d’un autre coin, d’une autre plage, d’autres rencontres, d’autres émerveillements…
A pluche
Interview Radio France Bleu lundi 24 juillet 2017
24 juillet 2017Comme chaque lundi, nous retrouvons Frank Bruno Officiel, en direct du Groenland…
Publié par France Bleu RCFM sur lundi 24 juillet 2017