Avant départ
18 août 2017C’est bien connu, à partir du 15 août ça se rafraîchit. On peut vous le confirmer, ici c’est déjà le début de l’automne. Le thermomètre décolle à peine du 0°, un vrai calvaire pour les «pôvres» moustiques qui tentent la
résistance, mais leur bataille sent la déroute ! La cabane est chauffée et tout est sec, ce qui change de ma vie de vagabond. Jusqu’à présent, le soir en tente, après une journée humide, le couchage avait le confort d’une belle pataugeoire! La pluie qui est assez rare en cette zone n’a pas cessé depuis plus de 24h, mais il en faut plus pour nous décourager. L’océan Arctique doit avoir une sorte d’aimant pour les nomades rêveurs.
Le kayak confié à Karin doit être testé. Les réglages, bien que basiques, demandent sérieux et précision. Le gilet sera obligatoire, bien moins stable que le Nautiraid, un chavirement serait fatal. Le golfe est d’huile, le plafond bas rend le silence encore plus lourd, plus puissant. Nous glissons sans bruit sur l’eau, la mer cristalline nous permet une observation détaillée des fonds. Oursins, holothuries, étoiles de mer, morues, tout est sous nos yeux à portée de pelle. Là-bas au fond de la baie, un torrent se jette avec force dans l’océan, c’est un endroit connu pour son eau limpide. Karin ouvre la marche, cela fait 2 mois qu’elle n’a plus pagayé, elle doit trouver son rythme. De mon côté Immaqa est complètement vidé de tout son matériel et il me semble aussi léger qu’une plume. Entre averses et accalmies, nous progressons mais le froid est intense, nous obligeant au port de gants étanches. Depuis une semaine, je m’étais transformé en fée de cabane, pour rendre la maison supportable mais cet appel du large me rend serein avec une folle envie de nouveau départ.
Une belle dalle plate reçoit nos embarcations, ce qui facilite le débarquement. L’eau ici, est à profusion alors qu’en bas dans le sud la sécheresse dévaste les maquis méditerranéens. Bien qu’abondante, ici c’est compliqué de l’utiliser, personne ne peut laver, rincer son matériel, tirer la chasse, faire couler un bain ou remplir une piscine. L’eau reprend sa vraie valeur. Ici, au pays d’apustiaq (flocon de neige), il faut, soit faire fondre des bouts d’icebergs, soit aller chercher son bidon d’eau au distributeur communal ou être à portée d’un torrent facile d’accès en bateau. Donc, nous remplissons nos bouteilles et un jerrican pliable, ce qui nous désaltérera pour quelques jours. Le retour est aussi polaire, mais la beauté du lieu nous kidnappe l’envie de nous plaindre, gémir ici, c’est une offense à la vie. De retour à la cabane, nous concluons que le test est positif.
Demain, nous chargerons nos kayaks pour une balade de quelques jours à la recherche de belles baleines. La balise sera activée, ce qui vous permettra de nous suivre à la trace, pas à pas.
PS : Jo Zef et Norra se sont gentiment proposés de garder la cabane. La mascotte retient que de belles casquettes (que je porte en photo), nous ont été envoyées de Corse, mais pas une à sa taille, là il boude !!!
Retrouvailles
17 août 2017Depuis une semaine, la cabane est en transformation, en grand nettoyage estival… Il n’y a pas d’histoire sans fin, sans début, sans rire, sans inquiétude. La vie est une croisière où l’on se croise et depuis plus de 2 ans, j’ai croisé la route d’une belle plongeuse professionnelle qui est devenue ma compagne de vie. Elle là-bas, moi ici dans mon rêve polaire. Il est difficile de vivre par intérim une histoire engagée, qu’est une expédition en solitaire. Sur zone, on gère tant bien que mal, mais loin derrière son écran, le quotidien est inquiétude et questions.
Depuis hier, Karin a fait le voyage pour poser son sac, ici à Oqaatsut. Il nous semble que cela fait une éternité que nous ne nous sommes pas vus, mais pourtant, c’était hier que je la voyais partir d’Ata, me laissant face à une immense montagne à gravir. Mes peurs, je les ai contrôlées plus ou moins, mais elle, là-bas dans le brasier Corse, elle a tremblé pour le dingue de liberté, pour le fou de nouvel horizon. Un Freeman ne peut être enfermé par des raisonnements et des principes. Comment expliquer mon choix de vie, comment lui raconter les silences, comment lui offrir la Grande iberté ? Une manière simple pourtant, est à mes yeux la seule solution : partir avec elle pour quelques jours de mer loin du village. Quitter le confort du poêle à
pétrole qui chauffe et assèche la cabane, loin du «facile», pour une prise de contact forte et immédiate avec la nature si immense ici.
Aujourd’hui, l’hiver semble vouloir nous tester, juste derrière les berges du golfe, les premiers flocons saupoudrent les cimes, un petit 2° est à l’affiche de la fenêtre en bois. Une pluie fine, un crachin breton, emmitouflent nos pas dans une toundra qui a souffert de sécheresse. Pour la première fois dans
l’histoire du Groenland, au sud d’ici, un feu de toundra a ravagé plusieurs hectares, chose extrêmement rare à cette latitude boréale. Plutôt que de rester enfermés, nous sommes allés à la cueillette du dîner. Les bolets sont
à portée de main, de grosses myrtilles nous régalent le palais et le thé du Labrador abonde pour un quatre heures aux petits biscuits. Puis, en bordure de mer, grâce au vent du Sud, nous avons récolté assez de morceaux d’iceberg pour l’eau de table…
Le kayak de Karin, Apustiaq est resté en Corse mais gentiment Quentin, le gérant de l’agence de voyage 66° Nord, spécialisée en voyage en région polaire, lui a prêté un de ses kayaks. En retour, nous avons une lourde tâche, il faudra baptiser cette nouvelle embarcation qui va rester ici au Groenland…
La tournée du village est simple. Je sens les habitants ravis de me voir enfin accompagné. Ici l’enthousiasme latin n’est pas de mise mais les poignées de main ont été très cordiales, ce qui démontre une super intégration. Réglage fini sur le kayak, nous retournons au chaud, laissant dehors notre escorte de «motoneiges» sur pattes, qui a profité de notre balade pour se rouler dans toutes les plus belles flaques de boues qui se présentaient à elle !
Jo Zef et Norra ont décidé eux, de rester garder la cabane !!!
Vidéo kayak et neige Expédition Kiffanngisssuesq
16 août 2017Kayak, glace, neige mais bonne humeur
De passage à Ilulissat je profite d'une connexion pour vous faire partager un bon moment de franche rigolade polaire…
Publié par Frank Bruno Officiel sur mardi 15 août 2017
Entre cabane et village
16 août 2017Pilluarit Bertheline
15 août 2017Un dimanche au village
14 août 2017Dimanche à Oqaatsut, un jour comme un autre, calme et silence ? Ben non, à 9 h tapantes, la cloche de l’église sonne à tout rompre. Les chiens sont athées, ce matin la preuve m’en a été donnée, leur aboiement fut si fort que le pauvre campanile semblait enroué. Mais personne n’a gravi les escaliers de la vieille église en bois, pas une ombre autour du lieu du culte. La religion perdrait elle de sa force ? Ici les croyances anciennes sont très présentes. Les qivitoqs (mauvais esprits) rôdent sur les plus audacieux. Ces âmes en peine viennent perturber celui qui se présenterait sur leur route. Dans certaines cabanes de pêcheurs-chasseurs, une croix est souvent clouée sur la porte pour éviter aux mauvais esprits de déranger celui qui s’y réfugie. Le mélange entre animisme et christianisme fait un drôle de mélange. Arrivés en masse au XVIIIème siècle pour la chasse à la baleine, les sudistes ont imposé leur religion, le chamanisme est devenu tabou, mais pas trop oublié, juste quelques restes pour entretenir les légendes.
Je poursuis ma tâche sur la cabane tout en surveillant si l’office serait donné, une occasion de me mêler aux ouailles et de sentir le moment, mais rien ni personne… Alors, je poursuis mon travail de fourmi. Depuis plus d’un demi siècle, cette maison a subi les affres des froids polaires et sa bonne forme me ravit de jour en jour. D’ici quelques jours, je reprendrais la mer, on ne peut se lasser d’une vie de nomade, surtout que cette fois je pourrais la partager en toute sécurité avec ma petite allemande.
Une journée dominicale paisible, ensoleillée et sans vent. Pour conclure ce beau dimanche, Julien et sa famille viennent faire un crochet par le village pour partager une grillade au bord des icebergs. Un de leur amis possède une minuscule cabane à quelques milles d’Oqaatsut, un coin paisible comme partout ici, d’ailleurs. Charlotte et ses trois enfants préparent le carburant de la grillade, de la camarine et du bouleau nain en suffisance pour maintenir le feu d’une plaque métallique. En premier, la graisse est coupée en petit bouts pour faire l’huile de friture puis les fines tranches de viande de phoque sont rôties dans ce jus. Une soirée simple comme est la vie au Groenland.
Lundi à 12h40, on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec cette fois Vanina Buresi, je vous raconterai tout ça en détail…
A pluche…
Blues polaire
13 août 2017Au petit matin, le soleil est bien entendu déjà là et la température est douce. La nostalgie s’empare de moi, je ne sais pas comment, pourquoi, mais elle est au coin d’un iceberg, juste en face de la cabane bleue et me remue des «choses». Comme tout au long de notre si courte vie, nous sommes en initiation, en formation. Depuis 2 mois que j’ai posé la prothèse au pays de glace et du silence, il me semble avoir vieilli de 20 ans ! Les doutes, les peurs, les remises en question m’ont touché au plus profond de mes certitudes. Etre nomade ici en kayak-solo, c’est un peu un chemin de Compostelle à l’époque des barbares et des mauresques, à chaque instant l’épée de Damoclès est sur ta tête. Le genou à terre, la nuque bien en vue, tu ne sais jamais quel sera ton sort. Contre-coups, fatigue psychique, j’accuse le coup. Physiquement je suis en pleine forme, je ne dors que 6 h et suis en pleine forme, même le moignon commence à me laisser en paix. Une sensation bizarre, étrange pourtant me colle aux bottes, le blues ne veut pas me lâcher.
Ici, je suis l’homme le plus heureux, ma petite Allemande arrive bientôt, mes amis même loin, ne m’ont pas lâché, Dumé de Suisse m’a beaucoup ému là haut aux Diablerets, je connais beaucoup de monde, du pays basque j’ai eu droit à une demande de rapport détaillé, les Pianottoli-boys en mode fournaise m’ont fait beaucoup rire, Audrey fidèle aux rendez vous du soir et mon bodyguard Patrick, sont ma force… Aussi vos messages de soutien, je les relis en boucle, mais voilà la machine a un couac, un fil qui coince dans le tableau électrique. Ce matin, je me suis occupé de mon beau et bon kayak, il avait quelques blessures que j’ai su réparer, je l’ai serré fort dans mes bras, il n’y a que lui qui sait, il n’y a que lui qui a entendu mes prières, il n’y a que lui qui a étanché mes larmes. Les déferlantes nous ont fait trembler, lui sans moi, moi sans lui, morts, broyés, noyés, oubliés, disparus… Mais il me faut relativiser, j’en ai pris des plus lourdes de roustes, des plus angoissantes, il faut que je digère…
La maison est de moins en moins un chantier, j’arrive avec les moyens du bord à faire que ce soit plus facile à vivre. Cet après-midi, sous un soleil de plomb et avec une brise suffisante pour cacher les moustiques, j’ai recloué la façade exposée au Sud qui est le vent dominant. En plus de 60 ans, cette cabane a du en voir des coups de chien, la peinture a quasiment disparu. De haut en bas, avec une immense échelle double, j’ai ajouté des clous aux points branlants et revissé sérieusement les huisseries des deux fenêtres en calfatant le tout avec de la bonne laine de verre piquante. A ma grande joie, ce soir la façade est prête à recevoir la peinture bleue claire. S’il y a quelqu’un qui a envie de jouer les funambules avec un pinceau et qui passe par là, il sera le bienvenu. En fouillant dans le vide sanitaire, j’ai trouvé des balles de gros calibre, le karma de phoque ici n’est pas des meilleurs, et au milieu de restes de peaux de bestioles, d’arbre de Noël en plastique, de belles planches propres se sont transformées en une solide étagère dans la pièce couchage.
Pour donner un peu plus de légèreté à cette journée, de temps à autre, je m’attendris sur des boules de poils sentant le poisson rance. En effet, ici les jeunes chiens sont en liberté jusqu’à 6 mois, après ils seront attachés, donc j’ai toujours une équipe de futures « motoneiges» autour des pattes, en attente d’un lâcher de tranches de salami de ma part. Au loin, je vois 4 enfants être émerveillés devant un plant de rhubarbe qui pousse de manière miraculeuse devant une cabane abandonnée, ici tout est merveille et les gens le savent encore. L’été est à son plus haut niveau, il arrive à faire 17°C à l’abri du vent, une vraie température caniculaire, l’autre hiver le thermomètre est descendu à -50°C !
Voilà mes amis, un bout de vie nostalgique depuis un petit village tout là haut dans le Grand Nord…
A pluche
Groenland 2017 : Expédition Kiffanngisssuesq
9 août 2017Oqaatsut la paisible
9 août 2017En reprenant les mots de ma belle allemande, c’est comme quand tu reviens d’une plongée extrême, la remontée est lente, puis les paliers n’en finissent plus pour te permettre de rejoindre la surface. Mon retour de toutes ces semaines de mer ne pouvait, en claquant des doigts, me replonger dans le soi disant confort qui à chaque fois me met à genoux, là c’est simple, très simple puisque encore rustique. Me voilà à Oqaatsut depuis 24 heures, petit village eskimo de 45 habitants, à vue de nez la population de chiens doit être au moins du quadruple ! Les moustiques sont toujours là mais pour les narguer, je ne porte plus de moustiquaire de tête et je leur offre mes bras nus. La cabane est des plus rustiques, pas d’eau courante comme de partout dans les villages du Groenland, pas de toilettes et c’est peut-être la seule du hameau qui n’a pas d’électricité. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, à 4h30 j’étais déjà debout à nettoyer cette cabane bleue.
La transition, bien que rude, est encore dans la logique de mon voyage, ici rien n’est simple, il faut penser différemment, s’adapter, une fois de plus. Dès l’ouverture, je vais chercher 20 litres de pétrole, le chauffage est toujours de mise même si c’est l’été, puis avec une brouette communale, je dois, au distributeur bleu, comme partout sur cette terre de glace, remplir mes 30 litres d’eau douce pour les ramener sur un chemin scabreux. Julien arrive en bateau, il fait les présentations, explique pourquoi je suis là et des sourires m’enchantent. La patronne de la superette, où tu trouves tout, en passant des couches pour bébés aux cartouches de gros calibre, est la nièce de l’ancien patron de la cabane. Elle est ravie, en apprenant que ce sera un camp de base pour amener des jeunes et moins jeunes raccourcis. Les ados locaux rêvent de ville et le village perd de sa jeunesse, les anciens savent que leur commune coûte cher au Danemark. Un groupe électrogène tourne en permanence pour alimenter le dessalinisateur qui fournit l’eau du puits central, où tout le monde va remplir ses jerricans. Si les jeunes s’en vont, les politiques danois fermeront le village au désespoir de ses habitants. Je visite les maisons communales, il y a celle où tu peux aller bricoler et emprunter gratuitement des machines, il y a aussi un hangar pour caréner ton bateau, puis il y a un dispensaire des plus modernes, en sachant qu’en cas de gros problème, un hélico sera sur zone très rapidement. Puis la salle des douches, bien plus clean que certaines que j’ai utilisé pendant mon tour de Méditerranée, il y a aussi une petite salle de muscu et un coin avec des tables pour jouer aux jeux de société. J’ai d’ailleurs squatté toutes les prises électriques pour recharger tous mes gadgets.
Le tour du village est rapide mais qu’est ce que je m’y trouve à l’aise, bien qu’étranger, je me sens le bienvenu. Alors cette journée est consacrée au décrassage de la maison. Construite en 1955, elle a été longtemps abandonnée bien qu’en état parfait et il y a un monticule de «trucs» à récurer et remplir une belle poubelle pour y sentir une autre odeur que celle d’un phoque en décomposition… Immaqa, lui se repose sur une belle prairie, le GPS, le trackeur qui donne ma position satellite pendant que je navigue et plein d’autres choses sont à son bord et personne n’y touchera. A notre époque cela n’a pas de prix.
Le 16 aout, «ma» Karin arrivera et ensemble nous reprendrons la mer, le chant des baleines, les espiègleries des phoques, la pêche à la morue et aux truites, ce sera le partage pour nos retrouvailles. En attendant, ce soir devant ma soupe chaude, un immense iceberg s’est désintégré juste sous nos yeux éberlués. La cabane est située un peu à l’écart des autres avec une vue imprenable sur l’océan arctique où un petit point rouge a bien risqué sa peau. Au mois d’avril, avec des jeunes de Bout de vie, nous étions arrivé à Oqaatsut en chiens de traineau par la baie qui était gelée. J’avais dis à Rémi : tu vois, un jour je reviendrais ici, dans cette cabane, pour y passer un bout de ma vie… Une fois de plus, ma pensée s’est réalisée…
Mercredi 9 aout à 15h, je serai en direct avec le Festival du film d’aventure des Diablerets dans les Alpes Vaudoises en Suisse. Dume Benassi a pris ma place de membre du jury et à l’occasion de la projection de son dernier film sur ses 15 titres de champion du monde de triathlon (sur une patte), je répondrai en direct aux questions de l’extraordinaire Jean- Philippe Rapp… Pour conclure ma bafouille, je reprendrai une belle maxime de Sylvain Tesson: Arriver sans savoir si tu vas rester, partir en sachant que tu vas revenir…
PS : Jo Zef vient de s’évanouir, je lui ai annoncé que Norra viendra le rejoindre avec Karin ! Il est quand même fragile je trouve !!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Complainte des Baleines
7 août 2017Elles ont du sentir ma nostalgie et pour ne pas me laisser seul, elles m’ont offert leur chant toute la nuit. Je le définirai comme la «complainte des Baleines», elles sont tristes de nous les hommes, tristes de notre vision, triste de notre présent… Je ne peux que les écouter, elles m’ont dit d’autres choses mais ça c’est mon secret. Le brouillard est dense, le son est feutré, la sensation d’être seul au monde est amplifiée. Il me faut partir, le sud m’attend, avant je visais le nord mais après les leçons du Cap de mes peurs, l’expédition s’est muée en voyage de l’intérieur, en parcours initiatique. A l’aller, je n’ai vu que des kilomètres à manger, des notes à prendre, des vents à venir. Le retour fut archaïque, contraire à mes attentes, mais en y pensant bien, c’était les cours du soir que l’on m’offrait. Des contrôles notés sévèrement, je ne sais même pas si j’ai eu la moyenne, ce qui est sûr, c’est que je suis passé, sans redoubler, ici redoubler c’est changer de monde !
Immaqa est mis à l’eau une fois de plus, son chariot semble tenir le coup, tant mieux. Entre des îlots, je glisse sans bruit, le courant me pousse, je crois que les leçons commencent à payer. Je visite, je stoppe mes pagaies, pour voir si ce satané phoque veut bien se laisser filmer, ici le 7 ème art n’est pas dans leurs mœurs. Les dalles sont toutes accessibles, au contraire de tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent, les lieux de bivouacs sont multiples et variés, un vrai confort pour le plan B. Une cabane est en rive, pourquoi ne pas la visiter, ici tous les abris n’ont pas de serrure. La maison est parfaitement rangée, trop à mon goût, serait-ce un danois qui utiliserait ces lieux ? Je le saurai peut-être un jour. Des fjords magnifiques et encore quelques icebergs coincés, certains d’entre eux sont de taille phénoménale.
Là-bas, je devine l’île qui défend Oqaatsut des terribles vents du nord, derrière «ma» cabane, et dire qu’il y a encore deux ans, je vivais sur mon petit bateau, sans jamais penser un jour résider à terre. Mais la route n’est pas encore finie, à chaque instant un piège peut-être fatal, ici, seul en kayak, la concentration doit être au plus haut niveau. Je me tourne une dernière fois pour deviner les caps du nord, d’où nous revenons. Je stoppe tout, la brise est de nord, le silence une fois de plus me prend aux tripes. Je marmonne une sorte de prière, la dame d’Ata m’a protégé, combien de fois m’a-t-elle envoyé un de ses anges en forme d’oiseau pour me guider sur le bon chemin ? J’ai des larmes dans les yeux, j’essaie de me confier à la caméra, ma voix est nouée, les mots sont trop durs à sortir, je suis un miraculé et ça je l’ai bien compris. Je suis parti sans savoir ce qui m’attendait, heureusement sinon je ne serai pas parti.
Je me projette sur les jours prochains, la vie au village, la visite de ma douce allemande… Mais je reste prudent, Oqaatsut est encore loin… 15 h, je touche enfin terre, le village est silencieux comme à son habitude, la marée est tellement basse que je suis obligé de laisser Immaqa loin du point de débarquement prévu. Je monte voir Steen, il me sourit, m’offre un café et lit dans mes yeux ce que j’ai vécu, lui c’est pour survivre qu’il subit ces caprices météo, moi c’est juste pour me sentir «homme libre». Il me dit que j’ai grandi, je ne sais pas, mais ce qui est sûr c’est que ce soir, je sais que l’aventure est loin d’être finie…
A pluche