Je prends mon pied sur une ligne d'arrivée bien longue à atteindre...
4h30 la rivière gazouille mais je ne suis pas en bivouac juste dans un hôtel en fond de vallée de Maurienne. Mon compagnon de chambre Dume, cela faisait bien longtemps que je ne n’avais pas partagé une épopée avec lui…
Nos poudres Energie Diet, substituts de repas à digestion rapide mélangées au lait d’amandes, seront notre combustible pour la longue journée qui nous attend. Pierre Chami avocat de l’association qui en deux ans a perdu 25 kilos s’est lancé le pari fou de nous rejoindre sur cette étape, les blagues et la bonne humeur fusent. Le minibus nous attend avant la fermeture de la route pour récupérer nos affaires et surtout la prothèse fémorale de Dume qui ne pédale que sur une jambe puisque le genou en plus de la cheville lui manquent. L’équipe aux tenues de la Française des jeux est au complet, 5h45 le bus part. L’hôtelier nous chouchoute et son sourire et sa gentillesse m’ont énormément touché. Chacun va rejoindre son sas, 10000 cyclistes au départ. Par le professionnalisme de Béné organisatrice d’ASO nous avons eu à notre grande surprise un changement de dossard. Dume sera dans le sas 1 et moi le 3. Quelques gouttes de pluie viennent nous rendre visite comme si les filles d’Apoutiaq venaient nous souhaiter bonne chance. 7h le décompte est donné, les coureurs s’élancent. L’émotion me prend en douce, un appel bref à ma « Vrai » qui cette fois sera à l’arrivée. C’est au tour de mon sas, j’essuie mes yeux humides et pars pour une sacré journée. La nationale est en faux plat descendant sur 17 km, je me mets dans la roue d’un groupe pour une moyenne de 57km/h. St Michel de Maurienne, le pont engendre la rivière et le col du Télégraphe me tend ses bras ! 56’ pour le gravir, la fraîcheur matinale développe les fragrances alpines, je ne veux pas forcer, je roule tranquillement en essayant de maintenir ma fréquence cardiaque à 70%. A un kilomètre du col je vois un concurrent en habit de la FDJ. Tient mais c’est un unijambiste ! Dume est bien, il pousse et tire sur une jambe, je lui mets la main sur la selle et le pousse un petit peu, les autres coureurs nous encouragent et une avalanche de mots gentils nous motivent, comme deux sales gosses, à envoyer un sprint pour franchir le premier col du jour. Le faux plat montant de Valloire nous permet de mouliner pour récupérer. Le village passé, le géant des Alpes, le Galibier dévoile ses 2665mts d’altitude. Dume me demande de continuer à mon rythme, on se tape la main, j’augmente ma fréquence cardiaque à 75, 80%. Le ciel est bleu et le bonheur s’installe. Je suis bien, un peu euphorique, je double, je double et je double… Le dialogue interne est intense : « Molo, cabochard un autre monstre t’attend ! » A 3 kilomètres du col, j’arrive à la hauteur de Fred un jeune brésilien qui est dans le rouge, son pédalage est saccadé, sa respiration aussi. Il réalise ma « différence », je lui donne quelques conseils de respiration, j’attaque un mini « coaching » d’altitude ! Il reprend un bon mouvement et se met dans ma roue… Grosse émotion pour lui, c’est la première fois de sa vie qu’il est si haut. Il immortalise par une photo notre ascension, il prend le numéro de mon dossard pour me retrouver via le net, mais je le laisse je veux avancer sans tarder. La descente est vertigineuse, au premier virage un inconscient jette sa gourde sur la route et la personne devant moi, glisse dessus pour gouter le goudron, sans gravité ! Ouf ! La nationale est suspendue dans un vide impressionnant, pas de parapet et le plongeon vers le sommeil infini pour l’imprudent. Je suis sur les freins, je ne dépasse pas les 45km/h, le col du Lautaret est noir de monde et seulement là je peux pédaler, 65, 70km/h !
Les tunnels se succèdent, un est sans lumière, quitte à perdre quelques secondes, je ralentis pour tenter de détecter les pièges. Enfin je rejoins le ravitaillement tenu par les bénévoles d’AXA atout cœur, ma ration de poudre d’Energie Diet me donnera le carburant pour le lutter contre le diable qui me tend les bras. Une longue ligne droite noire de monde et me voilà dans la légende du Tour de France. Les 3 premiers kilomètres sont à 14 % !!! Ce n’est pas dur, c’est plus que ça ! Mon moignon ne se montre pas trop coopérant, les décharges électriques se succèdent, mais je fais abstraction, je pédale sans rechigner. C’est long, c’est douloureux, c’est épuisant, ce n’est plus humain. Le public est formidable, les collègues d’ascension me couvrent d’éloges, mais les 21 virages ne se laissent pas bluffer par tous ces mots, je dois pédaler ! Il fait chaud, des filles en bikini ont des dizaines de bouteilles d’eau fraîches et arrosent la nuque de qui veut, un regain d’énergie me revient. Mais le dénivelé reprend son travail de sape, je sais que le seul moyen est de quitter pour quelques instant ce corps qui est en souffrance. Je rejoins, Valentin, Élodie, Nicolas et les autres. Les petits jeunes de mon association qui malgré leur amputations sont prêt pour une vie différente… J’ai mal, les crampes rôdent mais je ne leur donne pas la possibilité de me contrarier. 1 heure que ça dure, la côte est toujours aussi folle mais la brise donne un coup de fraîcheur au cycliste à la peine… Finalement la pancarte annonce l’entrée en station, c’est noir de monde, je bois, je tente de mouliner pour le dernier kilomètre qui sera un sprint… Dernier virage, je vois l’arche gonflable, je sais que Véro est là, je lève le cul de la selle et part en sprint, l’adrénaline va m’aider sur les quelques mètres qu’il me reste, je monte dans les tours, le compteur reprend du rythme 28 km/ en cote, je pars, le goudron semble s’arracher sous mes roues, je double une cinquantaine de « copains » à la peine mais un teigneux me tient, nous sommes épaules contre épaule , je monte d’un cran la force, lui aussi, je ferme les yeux il tient encore, je cherche je ne sais où ma dernière cartouche et passe la ligne juste une roue devant lui !!! Je hurle tel une bête sauvage, le public explose, je lève ma prothèse au ciel, mon sprinteur vient me prendre dans les bras, on se sert comme si on se connaissait depuis toujours, les gars que j’ai doublé dans les derniers mètres viennent m’embrasser, me féliciter… Aujourd’hui j’ai donné le meilleur de moi-même, 6h 17 d’effort pour laisser derrière moi 6675 concurrents. Je n’aime pas le mot de revanche sur la vie, en tout les cas , une fois de plus, si au lendemain de mon amputation on m’aurait décris cette journée c’est sur que je ne vous aurai jamais crut !
Dans mon prochain billet plus calmement je vous raconterez tout les sourires des « copains » d’AXA atout cœur et de la Française des jeux…
Merci à vous tous, merci Laurent t’es un sacré bonhomme pour avoir organisé tous ça…
Dumé est arrivé en 8h15 laissant derrière lui 2944 valides, montée de l’Alpe-d’Huez 2h36 RESPECT!!!
Prochain billet des photos et des remerciements en détail…
A pluche