Je ne garderai pas un grand souvenir de ce bivouac mais en tous les cas il m’a bien abrité et ça c’est déjà formidable. La tendance va être un vent de Sud-Est encore et toujours dans la direction dans laquelle je me rends ! Je vais tenter de rejoindre le continent 12 km en face. Je ne suis pas en forme, j’ai le moral dans les chaussettes mais je dois trouver l’énergie pour avancer. Le décor n’est pas terrible, un grand golfe avec des usines qui crachent leurs fumées. Le teint est feutré, une sorte de brume envahie la baie. Depuis mon départ de Luléa régulièrement aux abords des grandes villes d’immenses usines fabricant de papier semble me regarder passer hautainement. Leurs immenses éoliennes me rappellent l’histoire de Don Quichotte. Pour essayer de m’évader j’imagine le cycle de ces troncs d’arbres qui vont devenir papier. Le moins chanceux deviendra rouleau hygiénique dans une gare sordide, le plus chanceux sera un papier à lettre qu’un amoureux griffonnera. Je m’invente une histoire d’un autre siècle, un corsaire écrivant à une gente dame croisée aux abords du quai d’un port juste avant de reprendre la mer. Le rouleau de papier est déroulé, la plume trempée dans l’encrier il lui déclare : « Madame, si les mers m’ont fait trembler, si les guerres m’ont fait tuer, si les blessures m’ont fait mettre genou à terre, votre regard à tout jamais sera le soleil de mes ténèbres. Vous m’avez croisé sur le port, je suis, ce que certains appellent, corsaire du roi. Vous ne m’avez qu’à peine regardez mais je ne pourrais jamais l’oublier. Madame, je ne sais où le vent me poussera mais par tous les Dieux des mers et des océans, je reviendrai déposer à vos pieds la plus belle rose que je connaisse, celle de mon cœur… » Un énorme coup de sirène, je sursaute, un cargo ? La police maritime ? Non, c’est Jo Zef qui du sac étanche m’a sorti de ma rêverie. « Alors on roupille, faudrait penser à avancer ! » Sacrée mascotte, sur ce coup là elle n’a pas tort. Je reprends mon sérieux mais cette évasion mentale m’a libéré, je me sens mieux. J’atteints enfin la côte, le vent n’a pas été trop méchant, ouf ! Je cabote pour passer devant l’estuaire d’un gros fleuve, je suis rassuré qu’il n’y a pas de vent du Nord cela aurait été un sacré piège. L’eau est redevenue douce, je remplis ma bouteille ce sera
toujours ça en plus pour ce soir. Je double le cap Billskaten, derrière il y a une péninsule qui semble avoir son canal. J’espère que ça passe, l’endroit est une fois de plus somptueux. Je m’engage dans ce minuscule canal et je suis rassuré en voyant enfin l’autre côté. Il me reste 4km avant de bifurquer au cap du golfe Lövstabukten. Le vent contourne ce promontoire mais j’ai repris du poil de la bête et augmente la cadence. Je veux passer coûte que coûte. Finalement je glisse au milieu d’un regroupement d’îlot. Je cherche des passages mais ceux indiqués sur ma carte sont envasés, même en kayak il m’est impossible de passer. Pour couronner le tout, les îlots sont des amas de grès où il est absolument impossible de trouver le moindre replat. Un bateau passe, ici ils sont rares ! Je l’interpelle et lui demande s’il ne connaît pas un coin plat. Il m’indique la seule cabane du coin, il parait qu’il n y a personne. Je découvre une sorte de pelouse naturelle absolument plate, je beach Immaqa, effectivement aucune âme qui vive. J’en profite pour faire un peu de film, je monte le camp et enfin me prend un bain dans une eau pas trop froide. Alors que je fais ma toilette, je vois arriver une barque. Aïe, je sens les embrouilles. Un couple un peu surpris de me voir là me trouve en train de barboter nu devant leur cottage. La serviette à portée de main, je joue mon joker. Je sors de l’eau en m’enroulant la serviette comme un pagne et pars avec ma prothèse à la main à cloche pied jusqu’au banc à 5mts derrière. J’essaie de me mettre à leur place, ils ne pourront pas me virer comme ça. Je m’excuse de ma tenue et leur serre la main. L’endroit appartient à l’usine à papier et elle est prêtée gratuitement à ses employés. Ils n’y viennent que pour
quelques heures et m’autorisent à y rester. Ouf ! Pour finir cette journée alors que je me relaxe dans la tente, un papillon vient se coller à la paroi de ma toile. Délicatement je le fais se poser sur ma main qu’il ne veut plus lâcher. Je suis sûr que mes anges gardiens qui me protègent depuis le départ de ce voyage l’ont envoyé pour me rassurer sur le reste du périple. Encore un petit 26km.
A pluche !
Quel joli billet pour un dimanche matin !
De mon jardin d’île de France, entourée de roses et de papillons, Monsieur, je vous écris toute ma gratitude pour ces bouts de vie que vous partagez avec vos lecteurs !
Quelle belle Terre Happy vous nous offrez !
Avec une si belle plume, l’aile d’un papillon peut devenir parchemin
5mts a cloche pied…. Quelle imprudence n’est ce pas ! Bonne continuation sacré cabochard et prend bien soin de toi. PS. As-tu précisé a Norra que Jo Zef avait pleins de petits rejetons 😉 Ahahahah. T’inquiètes Libecciu accepte cette nouvelle belle maman avec plaisir…. Bagsi
Comme j’aimerais être la Dame destinatrice de ce message…..Belle tournure de phrase, vocabulaire choisi, beauté d’un autre temps ! Hélas, je n’en suis que la lectrice !
Gros bisou et surtout MEFI ! Veille sur toi, ménage la monture, le sang froid et l’humilité permettent d’atteindre des limites inespérées! c’est toi qui me l’as appris. Zia
oh Monsieur que votre âme de corsaire aventureux vous porte loin loin loin très loin.Que vos écrits laissés au gré de votre périple m’enchantent encore.Que votre ange gardien vous soutienne et vous protège jusqu’au terme de ce voyage,de ces rencontres, de ces rendez vous donnés par « le hasard ».Merci toujours de ces moments épistolaires que vous voulez bien partager avec nous. à bientôt et courage