Dans les glaces

12 août 2019

Ce matin nous étions au mouillage face au petit village de Qeqertaq,le groupe
électrogène en panne rendait le hameau d’une centaine d’habitants silencieux.Un gamin est venu à notre rencontre avec une musique de Rap qui sortait de son smartphone.Un jeune de moins de 10 ans un peu particulier, provocateur à souhait,chose absolument inédite pour le Groenland.Pas du tout impressionné par ceux qui avaient leur prothèse à vue,il nous regardait droit dans les yeux,sans jamais les baisser.Bastien est allé danser avec lui.Paradoxe de ce pays complexe et pourtant si attachant.Le cliché du chasseur avec sa lance et son kayak est bien révolu mais toujours à porté de pagaie.De retour à bord nous levons l’ancre pour commencer à nous approcher de la calotte polaire.De plus en plus la glace est dense,mais la Louise est conçue pour affronter ce style de situation.Tout le monde est en mode d’observateur.Peu de gens ont la chance de louvoyer sous ces latitudes.Les chocs par moments sont forts et secoue notre goélette dans tous les sens.La température chute pour s’approcher des 5°,l’ambiance devient vraiment polaire.Au bout de 5 heures de navigation,la glace s’agglutine rendant la navigation plus engagée. Il nous faut trouver le bon passage.Soudain un bout d’iceberg plat donne l’idée à Thierry de s’en approcher pour déposer Bastien.L’opération est délicate mais possible.En toute sécurité notre aventurier est sur cette plaque de glace, encore un beau moment d’émotion…
Au moment où je vous écris ces mots nous naviguons encore,le mouillage prévu est encore loin et la glace de plus en plus dense…Tout l’équipage Bout de vie vous embrasse.Demain j’essaierai d’être plus explicite.
Takuss

Baignade à Tartunaq

11 août 2019
 

 

Pas un bruit, pas une ride sur l’eau, l’océan Arctique est vraiment généreux avec nous. A une encablure de notre mouillage, une immense plage de sable gris. En toute confiance deux renardeaux polaires tentent de dépouiller une carcasse de phoque. Un simple rappel pour nous, les passagers de la Louise, qu’ici l’existence n’est que survie. Devant nos bols de céréales, nous débattons sur le programme de la journée. Le plan est conclu,nous descendrons à terre pour aller explorer ce bout du monde. Mais l’équipe est prête à bien plus qu’une simple randonnée, ils ont la volonté de tenter une nage polaire en simple maillot de bain. Les premières à avoir décidé de cette expérience , sont Lara et Elia, les autres par dépit ou provocation suivront le mouvement. Ils doivent tout prévoir, je serai juste là pour leur sécurité. Christian, que j’aime appeler le capitaine du drakkar est le mécène de cette aventure et bien sûr il fait partie de l’équipage.
Je vois souvent dans ses yeux beaucoup d’admiration pour ses jeunes prêts à en découdre avec leur nouvelle vie. Souvent les « autres » les définissent de
courageux, vous ne pouvez pas savoir comme cela les agacent, les irritent. Ils ne sentent pas courageux mais juste vivants. Avant d’embarquer sur l’annexe pour rejoindre la terre ferme,  j’emporte un seau et une écope, cela sera le petit plus pour la sortie du bain. Là-bas au bout de la plage un cours d’eau se jette dans 9l’océan, de l’eau douce pour se dessaler. Dédé le second retourne à bord, le silence nous saisi, l’immensité nous donne le frisson, nous ne sommes rien. En silence,nous suivons les striures causées par la marée. En abondance des traces de renards et de rennes pas un seul pas d’homme. Nous y voilà, le cours d’eau délimite la zone de baignade. Lara la première se déshabille, elle sourit mais nous la sentons concentrée. Sans ciller, sans trembler, elle marche au ralenti dans l’eau, soudain elle stoppe sa marche et s’immerge dans une eau à 4 petits degrés.
Pas un rictus, elle sourit, ca y est elle réalise son rêve. Elle nage, elle ne
veut plus sortir de l’eau, elle comprend des choses. La douleur, le froid ne sont que des informations à nous de ne pas leur donner trop d’importance. Le corps en fusion elle sort de l’eau, le seau est rempli d’eau douce un peu plus chaude que l’océan, elle se dessale pour laisser la place aux autres. Puis ce sera à Elia,qui toute seule découvrira la baignade en eau froide puis Bastien, Jean-Luc et Maxence. Christian et Louane ne sont pas prêts, ce sera peut-être pour une prochaine fois. Tous les nageurs sont ravis, émus de ce moment de grâce. Mais un défi en appelle un autre, un sommet semble narguer le groupe, ils partent à son assaut. De la plage je regarde le groupe, la pente est raide, compliquée d’accès,que le Diable se tienne tranquille mes vaillants chevaliers lui couperont la queue en atteignant fièrement le sommet. En attendant leur retour, Elia et Louane m’aident à bâtir un foyer de fortune et récolter des branches mortes de camarines, nous allons faire cuire des moules sur une pierre plate…
Nous reprenons la mer pour nous rapprocher de la calotte polaire, la mer se
charge de glace, la température chute, l’aventure continue.
Takuss

Village abandonné de Qulissat

10 août 2019

Pas une ride, la mer est d’une tranquillité que seul le Grand Nord sait offrir.
Le petit-déjeuner sera pris en mer, la journée va être une longue navigation. Les icebergs nous observent, savent-ils qu’à bord certains sont en sursis ? Ce qui est certain, c’est qu’ils se moquent de nos bout en moins. A travers le hublot du cockpit, bien au chaud, un bol de céréales nous réchauffe un peu. Soudain sur notre bâbord, un troupeau de phoques capuchons nous observent, espiègles, mystère de la nature leur museau possède une poche qu’ils gonflent en cas de danger ou d’excitation. Un peu plus loin un bébé phoque annelé se prélasse sur un bout d’iceberg à la dérive, aura-t-il déjà vu des hommes ! Le ciel est d’un bleu azur pur et cinglant, le pont de La Louise devient l’espace d’une matinée une aire de bronzage. Seul le ronron du diesel casse l’immensité de ce lieu. Chaque iceberg a sa forme, son histoire. Nous imaginons son destin, sa route.
Certainement c’est un de ses aïeuls qui a rencontré le Titanic. Le GPS nous
indique que la latitude 70° nord vient d’être franchi, le Pole Nord n’est pas si loin que ça.

Nous déjeunerons en mer, l’océan arctique est toujours clément. Vers
14h, l’ancre est mouillée devant le lieu dit Qillulisat. Devant nous, une centaine de maisons multicolores se dressent, comme beaucoup d’endroits au Groenland ce village est abandonné. Dédé le second nous débarque, mais il y a du monde.Quelques maisons sont en ruines, mais d’autres arborent encore une belle prestance. En haut de la piste en terre un homme s’approche de nous.En anglais nous communiquons, c’est une équipe de géologues qui prélèvent quelques pièces uniques. Ils nous invitent dans la maison communale qu’ils utilisent comme camp de base. Sur une vieille table une pile de vieilles photos tentent de nous raconter le temps jadis…
Nous continuons notre visite vers l’ancien hôpital, tous les carreaux ont été
brisés, la vision est étrange. Le plancher est en ruine, les pièces dévastées.
Dans une salle, nous trouvons une ancienne salle de radio, les jeunes joueront les apprentis médecins, les fous rires inondent le village fantomatique. A vu de nez,nous sommes d’accord pour estimer à 300 individus ce lieu qui était une mine de charbon minéral. En 1970, l’exploitation a du être fermée pour manque de rendement, le village fut abandonné. A notre retour, nous croisons une autre personne qui s’empresse de nous causer. Ce vieil homme est arrivé ici en 1947,son père était médecin du village. Il nous raconte sa vie ici, un vrai film des temps anciens… Depuis 15 ans,il vient seul chaque été,passer 3 mois dans son village, mystérieux destin!Il est temps de retourner à la plage, nous devons reprendre la mer pour trouver un mouillage sécurisé…. Devant un thé fumant et quelques biscuits, nous échangeons sur cette visite, plus qu’étrange… Entre les icebergs nous louvoyons, la vie est vraiment belle au pays des Niviarsiaq…
Takuss

Premier jour de mer vers Qeqertassuaq

9 août 2019

 Le brouillard est encore présent ce matin dans la baie face au village qui semble fantôme. La fine équipe Bout de vie est en pleine forme, le petit-déjeuner est le bienvenu pour la longue journée de mer qui nous attend.       

La passe est en mode marée haute, avec prudence la Louise se faufile entre courant et cailloux. Sur notre bâbord au large, un immense iceberg nous salue, lui aussi fait route doucement vers le nord. La température est fraiche, la présence de beaucoup d’icebergs accentue le froid matinal. Pas un bateau, pas un mouvement sur l’eau ; seule la brise du nord nous accompagne. En eau profonde, la grande voile de 100m2 est envoyée, cela
appuiera la route sous moteur. Le brouillard va et vient, le slalom entre les cailloux demande beaucoup d’attention au second,Dédé ,qui est à la barre. Tout le monde est sur le pont mais le froid fera rentrer toute la belle bande dans le cockpit. Et dire que dans le sud c’est la canicule avec des milliers de bateaux sur l’eau. Au bout de 4 heures , nous voilà au mouillage à quelques encablures de l’ile de Qeqertassuaq au nord ouest d’Oqaatsut. L’annexe est mise à l’eau , 4 à la fois nous débarquons. Une immense plage sert de refuge à une bande d’oies qui du coup prennent le large. Il nous semble incroyable que sur des dizaines de kilomètres aucune maison, aucun village ne puissent exister. La brise est moins présente à terre du coup les brulots en profitent pour nous harceler. La
toundra est spongieuse mais tout le monde marche joyeusement en silence. Une tombe abandonnée nous rappelle la difficulté de survivre en ces zones.
Ici tout est éphémère. Sur la plage des milliers de traces d’oies nous font comprendre que nous sommes en trop ici. Les vents du sud érodent le rivage et de ci de là des pierres rondes semblent des énigmes géologiques. Avec Bastien, nous nous amusons avec une partie de pétanque polaire en utilisant
ces cailloux absolument sphériques… Pour conclure notre rando nous allumerons un petit feu histoire de se réchauffer… Louane et Lara m’ont fait une confidence ! Elles n’avaient jamais osé pratiquer la randonnée, je crois qu’en rentrant elles vont s’y mettre…
Takuss

A bord de la Louise

9 août 2019

 

Etre en région polaire c’est s’adapter aux conditions climatiques, aux aléas du temps présent. Ce matin brouillard et crachin, le thermomètre ne dépasse pas les 8°. Au chaud devant le poêle à pétrole de la petite maison bleue l’ambiance est bon enfant. L’équipe se soude, se confie. Des ados qui te racontent la vie comme j’aimerai entendre plus souvent dans le monde des grands. Comme quoi nos souffrances peuvent être révélatrices de vies plus sereines, moins virtuelles. Chacun doit plier son package, démonter le tipi et être prêt à embarquer. Les filles, en attendant de monter à bord, vont se réfugier dans la salle communale pour écrire leur journal de bord. La compagne de Steen ; Sara-mina va à leur rencontre, elle va essayer de leur enseigner un peu de groenlandais… De mon côté j’essaie de penser à tous avant de fermer la maison. Sur le canal de sécurité VHF je rentre en contact avec la Louise. Thierry et son second Dédé son entrain d’arriver sur zone.

La magnifique goélette sort du brouillard, le cliquetis de la chaîne de mouillage qui ride l’océan arctique nous annonce le début de l’aventure. Après plusieurs courses autour du monde en solitaire, Thierry a pensé et construit la Louise pour pouvoir partager sa passion des océans. Je sens d’avance que cela sera incroyable. Avant d’embarquer sur l’annexe il nous briefe sur les gilets de sauvetage et le comportement à avoir en cas d’homme à la mer, j’aime son côté strict. Ici les têtes en l’air n’ont pas une durée de vie très longue.

Sur le pont nous sommes initiés aux premières instructions, tous sont très attentifs, puis c’est le moment de rentrer dans le ventre du voilier. Aménager à la façon d’une cabane de montagne de suite on s’y sent bien, chacun doit trouver sa place, son coin. Le diner sera composé de morue arctique. Demain dés 9h nous lèverons l’ancre vers le Nord…

Takuss

Premiers pas à Oqaatsut…

8 août 2019

Le journal de bord reprend du service, les 6 équipiers bout de vie sont biens installés depuis avant-hier dans le petit village d’Oqaatsut situé à plus de 300km au nord du cercle polaire sur la côte nord-ouest du Groenland. Bien qu’en été la température est bien différente d’une saison de canicule dans la lointaine Europe. Ici pas de nuit en ce moment et un silence à couper le souffle. Le village de 23 habitants semble vivre au ralenti, seul les chiens de temps à autre donnent de l’ambiance pour réclamer leur part de morue ou de phoque. Le tipi est installé sur la zone réservée au « camping ». Pas de commodité mais une vie absolument surréaliste pour un habitant des villes. La vie de baroude peut commencer. Les baleines et les phoques sont au rendez-vous, comme cette année je n’en ai jamais vu autant, incroyable. La première journée fut ensoleillée, ce qui leur a permis de prendre pied avec un environnement très différent de leur quotidien. Rando sur les hauteurs du village et récolte de myrtilles pour la première tarte de la petite maison bleue. Les règles sont stricts, personne ne doit partir seul, personne n’a le droit d’improvisé, ici en un claquement de doigt tout peut basculer dans l’extrême. Les repas se font dans la maison mais il est hors de question de la squatter, tous doivent rester dehors à comprendre et humer ce pays fascinant. Mon pote Steen est venu me prêter main forte pour ramener tout le monde d’Ilulissat au village, son sourire nous a beaucoup touchés. Ici la rigueur du pays rend les gens silencieux et avare en sourire, un bon mot, un regard pétillant cela est un cadeau inestimable, il nous a comblés.                                                                                                   Aujourd’hui le crachin à rendu la journée comme je les aime, mystérieuse à souhait. Entre deux icebergs nous avons caboté jusqu’à une grande dalle minérale pour attaquer notre exploration du jour. Toundra, myrtilles, camarines à n’en plus finir et des espaces vide de toute âme, de toute connotation humaine nous et le vide. Là-bas au large un souffle, dame baleine nous offre une aubade, serait-elle l’ange gardien du groupe… Ce soir le poêle à pétrole est allumé, les têtes en l’air font sécher leurs chaussettes, mon rôle de grand frère me demande de les rassurés mais aussi de leur exprimer ma manière de voire les choses. Ici, dans le grand nord des affaires mouillées peuvent vite engendrer des situations compliquées. Les jeunes ont compris la première leçon. Devant leur visage rougit par le froid et l’océan arctique je suis ému en douce, de les voir sous mon toit. Et dire que pour un cheveu on aurait pu ne pas être là… Demain le voilier polaire la Louise devrait arriver au mouillage, là commencera encore une autre aventure. Vive la vie…

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Bivouacs et baroude…

1 août 2019

 

Le petit bateau est chargé bien en ordre, le protocole de sécurité lui est toujours le même, nous devons être au maximum autonomes. Pas loin de 200 litres d’essence nous permettront d’être assez libre de manœuvre en cas de mauvais temps, notre cap sera vers le nord. Le vent d’Est quasi constant depuis quelques jours a poussé au large les immenses icebergs déversés depuis le fjord de Kangia, la mer est libre de glace, cela nous favorisera la navigation. Le golfe de Pakistoq est souvent ventilé, là, aujourd’hui, c’est le calme plat. Pour Marie-Noëlle c’est son premier voyage au pays de Nanoq, je me dois de trouver des bivouacs absolument nouveaux et loin de ce que je connais, ici il y a le choix. Au fond d’une petite baie, un nuage d’oiseaux de mer attire notre attention, phoques et baleines sont dans un festin de rois polaires. Tellement accaparés par l’orgie, nous arrivons à nous en approcher à une encablure, le spectacle est féérique. Le moteur est coupé, les baleines à bosse nous gratifient de sauts hors de l’eau, il en est de même pour les phoques groenlandais. Juste en face une dalle plate semble idéale pour le débarquement, derrière, une prairie de toundra nous semble parfaite. Ni une ni deux ma chérie saute à terre, nous déchargeons notre barda. Le silence est surréaliste, seul le bruit du casse-croûte de nos hôtes trouble la paix du lieu. Cette année les myrtilles pullulent, ce sera le dessert. Des branches mortes de camarines alimenteront un petit feu pour chauffer nos gamelles, ce sera un diner spectacle. Nous décidons de nous aventurer sur les hauteurs de notre camp. Pas de traces suspectes d’ours blanc, nous sommes rassurés. Les lacs sont tous plus beaux les uns que les autres, quel pays. Soudain, sur un promontoire nous devinons tout en bas un petit point orange, c’est notre tente ! Mon Dieu, comme c’est immense ici. Pas une maison, pas une route, pas un bateau, nous sommes seuls au monde. Même si en ce moment il fait tout le temps jour, il est quand même sage d’aller dormir un peu. Emmitouflés dans nos doux sacs de couchage, une baleine encore plus téméraire que les autres nous offre un spectacle merveilleux. A dix mètres du bateau elle arrive à sortir mi-corps de l’eau pour des « splashs » incroyables !                    La nuit fut douce et sereine, comment pourrait-il en être autrement ? Au matin nous démontons en silence notre camp, les phoques sont déjà là. Une bonne vingtaine de bouilles moustachues nous observent, à notre tour de leur dire un Takuss (au revoir). Le petit bateau nous amène sur une mer à peine ridée vers le nord. Un immense fjord est sur notre tribord, ce sera l’exploration du jour. Là aussi je n’y ai jamais posé prothèse. Au fond de cette échancrure longue d’une bonne dizaine de kilomètres, une baie parfaitement ronde nous attire, le seul hic est son débarquement ! La plage qui borde ce havre de paix est une berge à pente douce composée de vase, le bateau devra être mouillé loin du bord pour ne pas être pris par la marée basse. Nous trouvons un endroit convenable sans sable mouvant. Tout doucement nous débarquons le barda du bivouac. Un beau promontoire à 200 mètres de la plage sera le coin idéal pour monter la tente. Le vent d’ouest se lève, cela chassera les moustiques et brûlots et le petit bateau sera bien protégé des rafales. Après avoir dégusté une belle darne de morue polaire, nous nous offrons une sieste bien méritée. La tente une fois montée, je remarque un monticule de pierres à 20 mètres de nous, c’est une vieille tombe qui a une ouverture nous faisant comprendre qu’elle est vide. Les esprits très présents dans la culture groenlandaise m’ont certainement influencés, je n’aime pas cette proximité ! Donc je m’extirpe de la tente quand je réalise que l’amarre qui était frappée à terre, a lâché et notre Poka est au mouillage par l’ancre de poupe en plein milieu de la baie. Je me demande si un « qivitoq » ne nous aurait pas fait un tour de force pour nous tester ! Nous sommes sur la berge, la marée est haute, ici aucune chance que quelqu’un passe, nous devons trouver par nous même la solution. La température de l’océan Arctique en été doit être aux alentours des 4°, dans cette baie peu profonde je pense qu’on peut rajouter 2 à 3 ° ! La solution est là, je n’en vois pas d’autres, il faut que j’y aille à la nage. Je suis concentré, Marie-Noëlle a été briefé au cas il m’arriverait quelques choses. Téléphone satellite, position en longitude et latitude et tout un protocole que je lui ai rédigé calmement sur mon calepin. En slip, t-shirt et bonnet je pars en douceur vers notre embarcation. Le froid m’assaille, mais je ne dois pas flancher, je me ressaisi, je sais que ce n’est qu’une information, alors je nage tout en douceur. Ici il ne devrait pas y avoir d’orque, je me rassure comme je peux. Le bateau n’est qu’à une soixantaine de mètres, le froid me lâche, je me sens bien. Finalement j’atteins le bateau qui a le moteur en l’air. Sans m’affoler, je trouve la commande sur l’embase pour le faire descendre. Le genou sur les ailettes du moteur je me hisse enfin à bord. Ma chérie est rassurée, il me faut maintenant faire la manœuvre sur une seule jambe, puisque ma prothèse est restée à terre. Je récupère mes amarres et démarre le moteur qui part au quart de tour, ouf. Mais là mon sang ne fait plus qu’un tour, la direction ne donne plus. Je suis sans voix !!! En slip, t-shirt et sur une guibole je suis face au vent d’ouest qui se renforce, le froid commence à me jouer des tours. Je me concentre et laisse ce détail de coté, je dois trouver rapidement la solution. J’analyse, je diagnostique, je crois avoir compris, il manque de l’huile hydraulique dans mon système de direction. Mon bidon est plein, je n’ai pas d’entonnoir, ce n’est pas grave. Je dévisse rien qu’avec mes doigts sans encore savoir comment j’ai pu faire ça sans outil la vis de remplissage et finalement tout rentre dans l’ordre… Au bout d’une heure de bataille en plein vent, Marie- Noëlle prend les amarres et me remet mes affaires. Sans vous mentir je n’ai jamais eu froid !

De retour à la tente je vais me recueillir vers cette sépulture abandonnée, je suis athée mais j’avoue que j’ai fait une prière de pardon. Je me demande si quelques « qivitoqs » n’ont pas voulu nous jouer un tour.  Le soir sur notre petit promontoire nous nous sentons seuls au monde mais heureux d’être là dans ce bout de terre si mystérieux…

Le lendemain nous avons repris le large vers d’autres coins, d’autres lieux… Après plusieurs jours de mer le retour à la petite maison bleue nous a ravi mais avec un petit gout de regret. C’est vrai qu’on était bien si loin des autres…

Takuss

Le bonheur plutôt que la souffrance…

23 juillet 2019

Les jours s’égrainent paisiblement là haut dans ma petite maison bleue. Ici le temps semble s’être arrêté, ici le silence est le seul point de repère d’un été qui n’a pas de nuit à cette saison. Tout est différent mais si ressemblant. Différent du paysage, de la température, de la nourriture, du comportement des Groenlandais. Mais si ressemblant sur la vie avec la naissance, la douleur et la mort. Cet hiver le doyen du village Joan est parti rejoindre les étoiles. 82 hivers à s’adapter, à écouter le gémissement des icebergs qui se désintègrent. Pas du tout pratiquant, je me suis rendu au cimetière juste derrière la maison pour me recueillir. Juste à côté Anne-Marie qui est partie encore jeune le 25 décembre 2017. Je me souviendrais d’eux, comment les oublier. La naissance, la douleur, la mort. Le seul lien qui relie les hommes, le seul pont où la Fraternité prend encore un peu de place. Ma part de douleur cette année je l’ai embarqué un peu aussi avec moi. Ma bonne prothèse qui se brise en deux à quelques jours du départ mettra la pression à ma « guibologue » qui devra réaliser une nouvelle jambe en carbone en moins d’un week-end. On a testé, on a réfléchi mais mon moignon est greffé et sa sensibilité est astreignante. Pendant la semaine avant mon départ, je me sentais très bien dans mon emboiture mais la canicule a dû me jouer des tours, en me faisant enfler le moignon plus que d’habitude. Mon arrivée à Kangerlussuaq m’a donné certaines inquiétudes sur des brûlures, qui se sont transformées en plaies. Mais pourquoi devrais-je me plaindre, n’est-ce pas un privilège hors-norme d’être là, n’est-ce pas magique de pouvoir partager la vie d’un village inuit pendant tout un été. Alors j’ai bricolé, découpé, râpé, mon emboiture en carbone et doucement mes blessures s’estompent, se volatilisent. La souffrance physique trouve toujours des solutions, la souffrance du cœur est bien plus pénible, bien plus destructrice. Cette année la maison bleue a un air de fête, puisque ma chérie m’a fait le bonheur de me rejoindre pour découvrir cette Terre incroyable qu’est le Groenland. Quelle joie de partager avec elle, mes maigres connaissances sur cette région du monde encore si peu fréquentée.  Quel bonheur de vivre ensemble des simples moments de pêches, de récoltes, de croiser ensemble, les regards enjoués bien que silencieux, des habitants d’Oqaatsut. La vie à la cabane n’est pas des plus simples, pas d’eau courante, pas de sanitaire, ni d’électricité. Mais quelle importance, la vie ici détient l’huile essentielle d’une existence à fleur de nature, en intimité avec les éléments qui en un claquement de doigt peuvent vous transformer en « qivitoq ».

Marie-Noëlle s’extasie de chaque moment, de chaque sortie, l’émotion la tient à fleur de peau. Certaines remises en question surgissent sur notre société frénétique, sur le toujours plus, sur la surconsommation. La magie du Grand Nord est un enseignant de grande qualité, il suffit de se poser et d’écouter.

On vous embrasse bien fort depuis la Terre des Niviarsiaq.

Takuss…

Rencontres du bout du Monde…

18 juillet 2019

Collé, le nez au carreau, je suis contemplatif. Ma journée de restauration s’est déroulée à merveille, Je cumule quand même 12h de travaux consécutifs ! La prothèse qui me faisait souffrir a été retouchée, mes petites plaies sont sur les voies de la guérison, la vie à la petite maison bleue du Grand Nord est douce. Dehors le ciel est gris cendré, depuis ce matin le crachin et une bonne brise d’Est rendent le coin exactement comme je les aime, puissant, mystérieux et silencieux. Dans toutes mes expéditions polaires j’ai eu le bonheur de squatter des cabanes surgissant de nulle part. Sur les rives du fleuve Yukon, la cabane d’un certain Mr Brown (son nom était écrit sur son journal de bord posé sur la table) devait m’accueillir pour une douce nuit chauffée par un bon poêle à bois. Dehors les grizzlis voulaient jouer, mais j’étais trop fatigué, et un peu apeuré pour partager leurs joutes. En quittant les lieux je laissais un œil de St Lucie sur la table, la famille, qui sans le savoir m’avait accueilli, allait découvrir un jour ou l’autre qu’un solitaire au long cours avait trouvé refuge chez eux. En Finlande, il en est de même, au Canada, en Suède… Ces cabanes m’ont toujours reçues au bon moment et avec beaucoup de bonheur. Mon beau kayak, « Immaqa » bien calé sur la berge, je savourais la paix et le silence que m’offraient ces havres de sérénité. A chaque fois, je devais reprendre la route pour aller jusqu’au bout de mes rêves, de mes folies, de ma quête de liberté débordante et à chaque départ j’en avais le cœur déchiré. J’ai toujours rêvé de posséder ma bicoque dans le Grand Nord. Dans les parages de Whitehorse, capital de l’état du Yukon, mon pote Robert qui vivait dans cette forêt depuis plus de 20 ans avec sa famille, essayait de me convaincre d’y construire une cabane. Pendant 10 jours j’arpentais les sommets, je découvrais ses lacs, ses torrents poissonneux, même les ours me semblaient plus dociles ! Mais je devais rentrer en Corse. Puis ce fût là haut en Norvège, à quelques kilomètres de la frontière Russe face à l’océan Arctique. Ruan, un pote installé là haut,  me proposait une vieille cabane parfaite pour le poète-nomade que je suis. J’évaluais  le pour et le contre pour finalement renoncer. Mais l’envie d’un pied à terre polaire, n’y voyez pas un mauvais jeu de mot d’unijambiste, a été assouvie. Un jour de ma vie de baroude j’ai finalement trouvé « ma » cabane, ma tanière, mon refuge. Né à 300mts à vol d’oiseau de la Méditerranée, je vous aurais pris pour un hérétique si vous me disiez qu’un jour je serai assis dans ma maison au Groenland à écrire mon journal de bord tout en scrutant les Icebergs glissants vers leur fin lointaine. La vie réserve des situations incroyables, improbables. Mais pour cela, il suffit de les provoquer, de les désirer plus que tout au monde. En voyageant dans ces régions isolées, chaque rencontre avec un autre étranger, est le début de récits incroyables. Pendant cette première semaine, j’ai rencontré les armateurs du voilier canadien Lifesong. Lui, Christophe, français d’origine naviguait dans les mers australes comme charter. Elle, Emmanuelle, québécoise, une baroudeuse défiant les océans en kayak et escaladait les montagnes les plus dangereuses au monde. En Antarctique la vie les a unis et depuis ils naviguent autour du globe. L’hiver dernier ils ont vendu leur bateau pour en racheter un plus grand. L’ouragan Irma avait mis au tapis pas mal de voiliers aux Antilles. Un plan Garcia de 22mts avait été ravagé par la tempête. Mais la vie, quand on s’en donne les moyens, vous aide. En 8 mois de travaux forcés, ils réussissaient à prendre la mer pour un tour du monde. A bord, un moussaillon avait vu le jour. Comme quoi tout est possible. Puis toujours dans cette première semaine, ce fut la rencontre d’Hervé. Il est guide de kayak et de temps à autre l’été, il fait relâche à Oqaatsut. Ayant passé sa jeunesse en Union Soviétique, son père était ingénieur pour une société française implantée en URSS, il causait couramment le russe. De retour chez lui dans le var un matin de juin pour ses 35 ans il se lançait pour un tour du monde. Partie en kayak vers l’est il traversait le monde comme il pouvait. Dans la Caucase,  il optait pour une charrette tirée par un cheval mais au premier frimât de l’hiver le canasson se faisait la malle ! A Vladivostok face à l’océan pacifique, un cargo l’amenait au Japon puis au nord des USA qu’il traversait en vélo. A Terre Neuve, il embarquait sur un voilier français. Le voila en route pour Ilulissat avec son vélo qu’il n’a pas abandonné ! Puis en avion un transfert vers Copenhague et un retour à Hyères chez lui…

Comme il est bon de trouver d’autres rêveurs, d’autres poètes des temps modernes. Au bout du monde, les nomades se rencontrent enfin, ils échangent, connaissent les mêmes personnes, vivent les mêmes galères, les mêmes joies. Dans les fourmilières des villes, le confort a anesthésié beaucoup de monde, les mêmes craintes bloquent ceux qui auraient encore le courage de tout plaquer pour vivre leur rêve. Alors vous qui êtes derrière votre écran, pensez que ce n’est pas impossible. Sachez que la Liberté est le plus beau cadeau que la vie nous offre et ça, tout les jours. La chance n’existe pas, elle se provoque, osez et vous aussi un jour on se rencontrera au bout du monde.

Voyager ce n’est pas changer de pays, voyager c’est changer de monde…

Gogogo !

Paix et zenitude…

16 juillet 2019

Décalage horaire de 4 heures, changement de température et surtout vie du village au ralenti. Pour un gars hyper actif comme moi, il me faut m’adapter. Ici c’est la haute saison touristique, il peut y avoir un passage éclair de 20 touristes, qui en 2 heures de temps dégainent leur reflexe et smartphone pour cocher la case Groenland. Mais je vous rassure ce n’est pas tous les jours et d’un certain côté cela m’amuse beaucoup de les voir s’embourber dans les marécages où poussent les magnifiques fleurs de linaigrette. Elles ressemblent à des bouts de cotons perchés sur une tige verte et haute. Dans certaine partie du monde boréal, cette fleur aurait des pouvoirs chamaniques …

Dès mon arrivée à Ilulissat, j’ai croisé des copains pêcheurs et cela m’a fait chaud au cœur de les voir descendre de leur embarcation pour me saluer. Le Groenlandais n’est pas un grand expressif et cela démontre leur affection à me voir chez eux. Au village quel calme, 23 habitants et du silence à n’en plus finir. Les dénotations se succèdent, mais n’y voyez aucun acte terroriste, ce sont les icebergs qui sous l’effet du soleil, explosent en mille morceaux. J’ai retrouvé la cabane avec une joie immense, seule une fenêtre a souffert des coups de vent hivernaux. Mais j’ai de la réserve de carreaux et en deux coups de cuillère à pot je les ai changé. Je me suis installé, cela fera le troisième été que je la restaure et tout doucement elle prend de la gueule. Mon bon copain Steen, passe me voir. Il est chaleureux, souriant et avec lui je me sens vraiment bien. Il insiste pour un « kaffimiq », alors avec joie je me rends chez lui et sa femme Sara-Mina. Le café est servi brûlant, il est 18h je sens déjà une nuit blanche. Pas grave ! Nous papotons de nos hivers respectifs, quand je pense aux allers-retours que j’ai parcouru cet hiver avec mes conférences, eux sont restés gentiment chez eux à écouter le temps qui passe. Je leur annonce la venue toute proche de ma fiancée, ni une ni deux nous sommes invités pour un diner. A base de viande de phoque, bien entendu !!!

Mais si je suis là, c’est aussi pour continuer la restauration de ma maison, ponçage, masticage, peinture, la tache est ingrate mais nécessaire, je me réjouis d’être ce bricoleur polaire. Cette année je suis un peu mieux organisé, du coup je me sens encore plus à l’aise. Ici pas d’eau courante, ni d’électricité. Au centre du village il y a un distributeur d’eau de mer qui est désalinisée, alors avec ma brouette et mes jerricans , je fais ma balade quotidienne. A la maison communale où je prends mes douches, il y a des prises de courant, c’est là où je recharge mes « gadgets ». La douche est ouverte qu’en semaine de 9h à 16h, il ne faut pas arriver en retard, surtout après être saupoudré de plâtre poncé…

La paix de ce village est rafraichissante, c’est un havre de paix où il fait bon vivre. Bientôt mes jeunes stagiaires vont arriver, j’espère qu’ils apprécieront ce moment de partage…

Je vous envoie plein de fraicheur et de zénitude polaire.

A pluche…