Liberta
14 juillet 201714 juillet, fête nationale là bas au pays du bruit, donc ici par solidarité, aujourd’hui c’est repos. Jo Zef se demande bien si, en ce jour de souvenir, je n’ai pas oublié le truc rouge à mettre au costume pour le défilé. Pôvre mascotte, le manque de dessert lui tape sur la tête, le défilé on l’a devant les yeux et sans personne pour nous bousculer. Commandant Glaçon accompagné des adjudants Givré, Congelé… Des grands, des petits et des boums qui pètent tout comme un feu d’artifice, un vrai défilé de 14 juillet. La mascotte, tu ne crois pas que le seul « truc » rouge intéressant que nous connaissons, c’est notre beau kayak Immaqa…
Le temps, ici n’a pas sa place. Ici c’est l’instant présent, seulement et encore seulement. Le reste, des inventions d’hommes et de femmes qui courent derrière l’horloge. A une trentaine de kilomètres de la frontière avec l’océan Arctique, je peux légèrement me décontracter tout en restant vigilant. Ces derniers jours ont été durs, mais n’est ce pas avec la rudesse que l’on apprend ? La vie sur un fil pour se sentir libre, la vie sur un fil pour ne jamais laisser accepter l’irréparable, une erreur, un oubli et c’est le carton rouge. Puis le souvenir d’un homme libre, disparu là haut au pays des glaces et des tombes qui n’ont jamais eu de fleur. En ce jour de souvenir de la Révolution française, beaucoup en profitent pour remplir leur compte en banque, d’autres pour peaufiner leur bronzage. En ces temps de barrières et de contre pouvoirs, Danton et Robespierre ont soulevé les foules pour le grand changement, jusqu’au moment où à leur tour ils furent pris par leur folie de pouvoir pour se retrouver à leur tour guillotinés. Belle Marianne, ne te retourne pas, les hommes n’ont vraiment pas changé, ils créent leur empire pour s’enfermer dans leur contrainte.
En ce jour de révolution, pas de grand changement dans notre quotidien. Depuis presque un mois, nous naviguons dans l’un des endroits les plus émerveillants de notre belle planète. Le danger au bout de la pagaie. Il n’y a pas un jour sans rencontre, sans surprise. Hier, après cette longue journée de mer à contre courant, notre premier arrêt ne fût pas convaincant. Trop bas sur l’eau, trop d’eau croupie aux alentours où vivent des milliards de moustiques, continuons la route. Puis la petite voix qui me dit : là bas regarde la belle pente verte, c’est là votre camp. Crevé, mais libre, le bivouac est rapidement monté, un ruisseau à portée de prothèse et du bois flotté pour le coin cuisine. Cette nuit, le vent d’est nous a bercés, ses rafales me faisaient encore plus m’enfouir dans mon bon duvet.
Mais en ce jour de «rien-faire », j’avais envie d’un cérémonial, d’un truc qu’on n’oublie pas. J’avais envie que le personnage du romancier Alexandre Jardin, Le petit sauvage, fasse son œuvre. Depuis 1 mois, je pose ma tente au gré du vent, du courant et de mes envies, un sacré privilège à notre époque. La nourriture est basique, le confort rustique, mais que la vie est belle sous le soleil de minuit. En ce jour de liberté, un calvaire a été planté sur ce camp où un poète nomade un peu dingue a passé deux nuits. Deux planches de bois en bon état m’ont donné l’envie d’assembler une croix de bois pour la sainte Liberté. Un long morceau de ligne de pêche pour l’assemblage et un lieu comme il se doit pour la planter au sol. Sans faire exprès, promis juré, je me suis un peu écorché la main, juste sur une veine. Le sang sortait à grosses gouttes, c’est là que l’idée m’est venue. Une encre rouge pour noter la date du 14/07/2017 avec le nom de : LIBERTA. Mon sang pour écrire sur un calvaire érigé au nom de la Liberté, je trouve l’idée magnifique, profonde, très « enfant » mais tellement porteuse d’espoir. La vie sur un fil pour retrouver la liberté, pour faire sa propre révolution. Avant de vouloir que les autres changent, faisons notre propre révolution, laissons le confort derrière pour nous mettre à nu et vivre les yeux grands ouverts. Calé avec de belle pierre de lave, le « passant » se souviendra qu’un Freeman a vécu les deux plus belles nuits ensoleillées de sa vie de nomade. Demain peut-être, nous reprendrons la mer…
A pluche
Rencontres
14 juillet 2017Ce matin, le vent a tourné sud-est, c’est-à-dire juste où nous nous rendons. Karin m’envoie le dernier bulletin météo, cela devrait tourner ouest vers midi. Je prends mon mal en patience et organise le départ. Une fois de plus, je grimpe le promontoire pour un panorama somptueux, mais le vent se renforce, il atteint les 20 nds ! Vers 10h, il mollit pour tourner ouest. Comme Speedy Gonzales, je plie la tente et installe tout à bord, il ne faut pas moisir ici. En moins d’une demi-heure, je suis en mer mais de nouveau le vent bascule au sud-est, je n’arrive pas en croire mes yeux. Non seulement il me revient dans dans le nez mais avec la même force que tout à l’heure. Quelle poisse ! Têtu comme un âne Corse, je m’applique à avancer, mais les déferlantes sont lourdes à passer. Je vise la pointe du cap où je devine une plage de sable noir… Au bout de 1h15, j’atteins mon objectif, au pire, je plante la tente là ! Je sécurise Immaqa avec un long bout et traverse la péninsule pour avoir confirmation de ce que je pressens. De l’autre côté, c’est le calme plat. Un café, une barre de céréales et nous traversons enfin la frontière géographique entre la mer de Baffin et le détroit de Disko.
Enfin libéré, je peux me relâcher, l’est n’est plus qu’une simple brise sur 500 m, puis le calme plat revient… Mes rêveries me rattrapent, quand soudain, dans ma direction des battements d’ailes assez bizarres m’interpellent ! Un duo de cormorans n’arrive pas à décoller ? Mais non, c’est une embarcation ! Là, devant moi, un kayak avec deux gars croise ma route. En anglais :
– « Mais tu es seul ?
– Oui
– C’est super dangereux ici.
– Oui je sais !!!
– Tu es d’où ?
– Corsica !!! »
Eux, des allemands, en balade jusqu’au fameux cap pour retourner ensuite. Ils m’expliquent que de l’autre côté, la montagne tombe dans la mer et que c’est très risqué en kayak. Je leur explique que c’est l’une des raisons de mon retour en arrière… On papote un peu et après le selfie obligatoire, Andreas et Mathias reprennent leur route…
La brise d’ouest arrive enfin, si bien que j’arrive à sortir mon cerf volant pour enfin alléger la cadence, mais ma moyenne augmente péniblement, il me faut trouver la bonne veine de courant et cette fois je devine qu’elle est à terre… La journée est calme, le vent tombe juste assez pour que je range mon beau cerf-volant mais avant de le rembobiner, un phoque loin à notre proue semble subjugué par le « truc » orange qui flotte dans le ciel. Tout doucement, nous nous en approchons et chose incroyable au lieu de sonder et disparaître, elle se met sur le dos en faisant la planche pour nous voir passer à moins de 5m. Tellement surpris de sa réaction, je n’ai pu la shooter en photo, quel dommage. Si près d’elle que nous avons vu ses mamelles, c’était une maman phoque…
Au bout de 8h de mer et le moignon tétanisé, je pose prothèse à terre, mais le coin ne plait pas, pas assez haut, alors nous filons plus à l’est pour enfin trouver le coin idéal au bout de 32km…
Ce soir, un peu cuit mais sans courbature majeure, une fondue savoyarde lyophilisée me régale les papilles, un bon bouillon Thai et pour le sucré une compote lyophilisée.
La mascotte a mis les lunettes pour la compta : TUC : fini ; Cookies : fini ; tablette de chocolat :fini ; jambon:fini ; fromage :fini ; pain:fini… Je sens un gros coup de déprime chez le pôvre Jo Zef.
A pluche
Cap des défunts
12 juillet 2017Ne croyez pas que j’ai abandonné, c’est juste le chemin qui change. Le nord m’a refusé peu importe, le sud sera ma destination. Une cabane d’un ami volatilisé était cet objectif, il ne l’est plus. Désormais, c’est une cabane qui nous appartient, à ma compagne et moi-même. Vous voyez je n’ai pas abandonné. Ce matin j’ai repris la mer, mais pas pour longtemps, un coup de vent de sud-est m’a décoiffé, remis une deuxième ration d’adrénaline. Décidément le buffet des émotions est à volonté ici ma bonne dame ! Planqué dans une échancrure à l’abri des rafales qui atteignent les 30 nds, ma vie repasse en boucle, les bons les mauvais moments, tout s’entremêle. Les anciennes expéditions ressurgissent, elles me font sourire, elles m’émeuvent, la vie n’est qu’une longue expédition. Il n’y a pas de naissance et de mort il n’y a qu’une longue éternité sous plusieurs formes.
Hier soir, dans ma balade d’avant coucher, je suis allé me recueillir sur la tombe d’un enfant. Au milieu de la lave , un tout petit tombeau à moitié ouvert semble supplier le ciel. Les os du gamin sont répandus ici et là. Je pense à lui, à sa famille. A quelques kilomètres d’ici, ils ont retrouvé des momies d’enfants des années 1400. Serait-il un moins chanceux, un plus pauvre pour qu’il n’ait pas eu sa peau de momie, je ne le saurai jamais. Je regroupe les ossements et lui offre un bouquet de plumes et 3 yeux de Ste Lucie que j’ai toujours avec moi, ici les fleurs sont trop rares. Une sorte de prière sort de mes lèvres et je m’en retourne vers ma tente, vue sur l’océan, toujours aussi polaire.
Des chants corses me rendent nostalgique, mais mon île n’est elle pas dans mon cœur ? Alors je me laisse bercer par quelques belles histoires. Soudain, une déflagration monstrueuse m’en fait perdre les oreillettes de mon MP3, un iceberg de 30 m de haut, 300 m de long et peut être 100 m de large, explose en mille morceaux. Des pans entiers « splashent » sur la mer, du fond des abysses, des montagnes de glace surgissent. Une série de vagues monstrueuses prend le cap de la petite tente orange. Aucun souci, nous sommes plantés à au moins 6 m au
dessus du niveau de la mer et Immaqa bien haut sur la plage. Mais une série de vagues me fait comprendre l’importance de la hauteur du bon bivouac, ouf !
Ce matin, alors que j’étais calé sur une plage de galets en me demandant si le vent allait se calmer ou pas, j’ai ouvert mon calepin et griffonné ceci : J’ai choisi le chemin de l’inconnu, de la route noire, celle qui donne des raisons d’aimer la vie, ce sillage si tortueux mais qui mène vers la paix intérieure. Par hasard, ici tout est noir, terre volcanique où rien ne pousse, rien ne vit, ici on ne peut que passer. Un lieu où je grandis, où je découvre d’autres limites. Le sillage noir nous permet d’apercevoir ces petites lumières, de les apprécier encore plus. Le Cap des Défunts, c’est certainement le nom que l’on aurait donné à ce promontoire. Aussi sinistre, que mystique, la rudesse en est sa couleur pastel. Ici pas de chasseur, pas de pêcheur, pas d’explorateur, que des âmes en passage qui prient pour leur salut. Si l’enfer existe, ici c’est sa plus belle fenêtre. Seul au milieu de rien, mon âme se purifie, se nettoie de tout le superflu. Le Cap des Défunts est un monastère austère, le passant doit s’y incliner. Quand les tempêtes le retiennent en otage, il ne rêve que de s’enfuir, et quand il est libéré, ce lieu reste à jamais gravé au fin fond de ses souvenirs…
Ecrit sur mon vieux calepin au cap des défunts, 12 juillet année 2017…
Article du 12 juillet 2017 dans Corse Matin
12 juillet 2017Camp de la liberté
11 juillet 2017Ce matin vers 4h, un miaulement me fait sursauter, ni une ni deux je suis hors de la tente, un chat ici impossible ! En fait je me trouve nez à museau face à un renardeau perdu, son cri est plus qu’étrange, il me glace les os. Je ne sais quoi faire, serait-il orphelin ? La vie ici est survie. Hier, avant de me coucher, une butte de lave m’a inspiré une grimpette et ma découverte fut funeste. Des tombes éventrées avec des os humains éparpillés un peu partout. D’énormes pierres plates ont été déplacées, peut-être un ours en quête de pitance ? Ces sépultures semblent très anciennes, mais qui y repose ? Eskimos qui ont péri par une terrible tempête, explorateurs en quête de nouvelle terre ou aventurier assez fou pour y venir en kayak !
Ce matin vers 6h, le ciel s’éclaircit un tout petit peu. Je « dois »repartir vers ma quête du nord ! En moins d’une heure, nous sommes sur l’eau, les gestes deviennent simples et précis. Mais le brouillard revient de plus belle, une vraie « cotonnade ». Le courant nous porte, ça c’est bon pour le moral mais ce qui est incroyable c’est ce manque de visibilité, une trentaine de mètres maximum. Par précaution, hier soir les piles du GPS ont été changées, la carte ne nous suffira pas, le passage du delta va être costaud. A pas de loup nous avançons, l’atmosphère est «hitchcockienne », l’air irrespirable, j’ai l’impression de naviguer sur le dos d’un monstre visqueux. L’eau devient marron et pour éviter les hauts fonds de vase, je dois passer loin au large. Mes repaires de côte disparaissent, mes yeux sont fixés sur mon compas qui me donne le cap. Je n’arrive ni à boire et encore moins à m’alimenter, la tension est à son plus haut niveau à bord de l’équipage d’Immaqa. Par moment, je stoppe mes coups de pagaie pour sentir la mer, des bruits de déferlantes me viennent du large. Je ne comprends pas, je suis loin mais très loin au large. Mon GPS me donne à 600m du bord, mais je vire pour m’avancer encore plus en eau profonde. Soudain, une veine de courant me prend et m’amène d’un bord sur l’autre. Mes mains sont cramponnées aux pagaies, je donne toute ma puissance possible, une vague plus traitre que l’autre me balaie le pont, une deuxième encore plus forte manque de me faire chavirer, puis tout redevient calme et tranquille. Mes mains en tremblent encore bien après cet assaut. Le GPS me fixe à presque 1000m du bord mais sera-t-il juste ? Depuis le premier cap, il me donne des positions aléatoires, le doute s’installe. Je reprends ma navigation quand j’entends encore des « choses » étranges. Une autre veine encore plus vicieuse me happe, je n’arrive plus à gérer. Avec moi, le kayak frise les 250kg, quand il gîte même avec toutes mes forces il m’est impossible de le redresser. Je visualise ce moment en me disant que ce n’est pas le moment et qu’il n’y aura pas une tombe supplémentaire ici. Je ne sais pas d’où m’est venue cette force mais en un coup de rein, Immaqa se redresse pour se retrouver à plat en haut d’une lame boueuse, je dois trouver la sortie. Finalement le calme revient, comme sur un lac. Et si j’étais devenu fou ? Mes mains tremblent, mon cœur bat la chamade. En un clin d’œil je viens de comprendre que je suis un miraculé. Mon GPS me donne encore 5,75 km plus au nord pour sortir de ce piège ou alors faire un 180° et revenir en arrière. Ma décision est rapide, simple, sans aucune excuse, nous retournons en arrière. Cette fois c’est de face que nous forçons les passages et au bout de 2h nous voilà sortis d’affaire…
Naviguant vers le camp précédent, la petite voix enfin revient, elle me sermonne, me corrige : Alors tu ne veux plus m’écouter ? Tu vas où sale gosse ? Tu as vu l’arche blanche devant toi ? Tu y allais directement. Effectivement un truc assez démentiel, s’est présenté à moi. Dans ma route choisie, une sorte d’arc en ciel neigeux semblait m’attendre, une sorte de tunnel blanc. D’un seul coup, superstition ou pas je réalise que la mort était au rendez-vous. J’ai même réussi à le prendre en photo… Au cap, je crie tout fort comme un dingue que je suis un homme libre et personne et encore moins un rêve ne me mettront en prison ou dans un trou de lave perdu au grand nord du Groenland. Je prends la décision de revenir en arrière jusqu’à ma petite maison d’Oqaatsut 300km plus au sud. Oui vous avez bien lu, je ne vais plus au nord. Mon choix de vie est la liberté et une succession de signes m’ont fait comprendre le précieux cadeau qu’est la vie.
Comme par miracle, passé le cap qui me mène au camp que j’ai lâché ce matin, une baleine vient à ma rencontre puis une deuxième, une équipe de phoques en profite pour m’offrir encore de belles « delphineries » et là bas, au bout de cette baie de lave, je vais monter mon camp pour vous envoyer tout l’amour de la vie. Je rassure par téléphone Karin qui est enfin soulagée par rapport aux tsunamis qui ravagent tout en tuant et rasant des villages ; aux courants contraires et surtout à la période très douteuse sur les conditions météo qui annonce encore de très gros coups de vent pour l’avenir.
Tout doucement, je vais longer la côte que je connais maintenant tout en prenant soin de bien observer le ciel, le baro et la fameuse petite voix… Ici au pays d’Apoustiaq, un homme est heureux d’être simplement là où il est, à la place qu’il a. Vive la vie… J’ai encore lu tous vos messages de soutien, vous ne savez comme ils me touchent, merci beaucoup, vous êtes ma force.
Camp du brouillard
10 juillet 2017Toute cette nuit le vent du nord qui par la géographie locale est d’ouest, nous a couvert de poudre de lave. La tente, le pauvre Immaqa tout est noir. Mais ce matin, comme par magie, il n’y a plus de vent ni même de houle, on se croirait sur un lac.
Tous les lundis je retarde mon départ pour être en direct avec vous par le biais de la radio, mais cette fois les immenses montagnes tous juste derrière notre camp ont tout gâché. Le téléphone satellite n’arrivait pas à prendre ses relais et je n’ai pas pu me confier à vous, cela m’a mis un peu le bourdon…
Dehors, s’il n’y a plus de vent, le brouillard s’est invité comme prof de vie sauvage et polaire. Un coton où tout est étouffé, sauf mes craintes. Nous voilà reparti pour le cap Niaqornârssuq, un contre courant me casse les bras, malgré mes 60 cadences minute, nous n’avançons qu’a 3km/h, le moral en prend un coup, mais que faire. Il n’y a pas de vent contraire, il n’y a que de mauvaises routes !
Au cap même, l’atmosphère est sordide, la plage est lunaire et le brouillard rend le site lugubre. Des sortes de tourbillons me font aller dans tous les sens. Pendant 15 minutes, j’ai des mini déferlantes qui nous
prennent de tous bords, nous ne sommes pas fiers. Le brouillard ne veut rien lâcher, alors les yeux rivés sur mon compas, je ne lâche rien et fonce dans le coton. Pas un bruit, une sensation que le Monde n’existe plus, que je suis le seul survivant d’une catastrophe. A terre, je ne suis qu’à quelques mètres du bord, les premiers déchets en plastique apparaissent, nous ne sommes plus protégés comme la baie de Disko mais bel et bien en plein océan. Le courant amène au milieu des bois flottés qui viennent de je ne sais où, des restes de filets et de bouées de pêche hauturière. Au détour d’un promontoire, une scène me refroidit encore plus, un pan de montagne est fraîchement tombé, pas un éboulement énorme, mais une trentaine de mètres en hauteur sur 10 de large, cela me fait penser à cette épée de Damoclès qui m’attend plus au nord…
Nous pénétrons le golfe Sikilling. Seuls les icebergs sont faciles à voir. Malgré le brouillard, ils récupèrent les ultraviolets et semblent être fluorescents, le reste est mystère. Je m’épuise et mes efforts ne servent à rien. 15km en 5hrs, je baisse la garde, au prochain bon spot je dresse le camp. Comme d’habitude, j’ai un petit rituel, je demande à mes anges gardiens de m’aider, de me guider vers le bon coin et ici c’est assez hostile. Dans le brouillard, je vois une sorte d’échancrure, un petit nid pour la nuit serait-il là devant nous ? Euréka, c’est parfait, il y a même un peu d’herbe pour poser la tente à une hauteur d’au moins 6 m au dessus du niveau de la mer, au cas où et assez de bois pour faire fondre des bouts d’iceberg… La dame d’Ata décidément ne me lâche plus, nous sommes main dans la main…
Karin m’a transmis vos messages de soutien, cela me fait un bien fou, vous êtes magiques, merci du fond du cœur.
Un névé englué sur une plage face à un immense iceberg, cela me fait penser à un intermittent du spectacle face à Mozart !!!
PS: Message codé de Jo Zef à Popeye: t’as qu’à venir toua le chercher ton os de baleine, un coup de bateau et hop c’est fait. En pluche tu pourras ramener des glaçons, ici c’est le pays…
A pluche
Camp de la désolation
9 juillet 2017Ce matin, la fleur au fusil, vers 6h30, nous reprenons la mer. Une petite houle de sud-est donne à ce départ un air de cirque. Il faut que j’arrive à tenir le kayak face aux déferlantes et à le pousser tout en me hissant à bord, bien sur côté droit, la souplesse de ma cheville en lame de carbone rajoute un peu de piquant ! Au large, la navigation est simple. En plus, la brise est d’est donc dans les fesses, mais un « truc » me chagrine, nous n’avançons pas à bonne allure, encore une histoire de courant contraire. En me remémorant la descente du fleuve Yukon que j’avais effectuée été 2010, j’essaie de me souvenir de ces histoires de courant et contre courant, donc je décide de m’éloigner d’au moins 2km des côtes, le vent étant nul et la houle dans le bon sens, le risque est nul. Euréka, ça marche, enfin nous touchons la bonne vitesse de croisière.
A ma grande joie, aujourd’hui beaucoup de phoques nous espionnent de loin. Hélas, ils ne s’approchent jamais. Leur karma n’est pas de finir en blanquette ou goulash, donc par habitude ils fuient les hommes. Encore plus magnifique, à un moment une bande d’une petite dizaine se mettent à imiter les dauphins en sautant hors de l’eau à vive allure. Nous sommes gâtés par ce spectacle. La route est longue mais belle. Sur notre tribord, un mur de basalte dont certains pics culminent à presque 2000 m d’altitude et là en bas un petit point rouge seul au milieu de l’océan arctique…
Au bout de 7h de route et pas moins de 33km, le vent bascule à l’ouest, mais je suis bien, le cap visé n’est plus très loin, mais la petite voix me dit, regarde à ta droite comme la dune parait accueillante ! Regarde tête de mule, si tu t’obstine à continuer tu vas morfler !!! Ok, ok, j’écoute cette satané petite voix et tire au plus vite Immaqa loin de la houle qui a changé de sens, maintenant elle est de sud-ouest. Effectivement, la dune est parfaite pour y monter le bivouac et en moins d’une heure la brise d’ouest se transforme en un gros coup de vent. Les rafales frisent les 30 nds et le sable de lave pénètre l’abside comme si quelqu’un avait saupoudré de farine noire l’entrée de la tente. Je retourne voir Immaqa. Je le remonte encore plus en sécurité, si une vague de quelques ondes arrivait, il serait en totale paix.
Après une micro sieste, je pars marcher vers ma prochaine direction. Le vent est devenu violent, le froid est terrible. Malgré toutes mes couches, le froid est saisissant et dire que là-bas dans le sud c’est la canicule ! Au bout de ce petit promontoire, je peux à peine voir plus loin, une sorte de brume rend le coin désolant. Je m’en retourne au camp en récupérant quelques bois flottés. Si le vent se calme un peu, j’allumerai un feu sinon ce sera réchaud dans l’abside…
Chaque jour depuis mon départ, des leçons de vie me sont offertes, celle-ci est belle encore une fois. Ce soir, je me sens encore plus petit que les jours précédents… Prenez soin de vous, du camp de la désolation, un nomade un peu poète pense à vous.
Robinson
8 juillet 2017Ce matin, je n’ai pas repris la route. Julien et Karin m’ont envoyé un bulletin météo défavorable, le vent devrait se mettre à l’est jusqu’à une trentaine de nœuds. En Corse, je serai parti profitant de cette aubaine qui m’aurait fait faire un pas de géant, mais ici je suis méfiant, les côtes me sont inconnues malgré des cartes et le GPS, l’atterrissage est toujours dangereux suivant sa configuration.
Prenant mon mal en patience, j’en profite pour tout contrôler. D’abord le carburant, la cambuse ! J’ai noté les nouilles chinoises, les plats salés et sucrés de lyophilisés, les boites de poissons en sauce, le café, et le dernier kilo de riz au cas où. Pour le petit déjeuner, je vais attaquer les « poudres » de Dume, ce sont des produits reconstituant un repas. Trois doses le matin peuvent me fournir de l’énergie pour une bonne partie de la journée, c’est ce qu’il utilise sur ses Ironmans. La mascotte proteste, le dernier paquet de cookies est mis de côté pour plus tard ! Le matériel de sécu est aussi revisité, le gilet, les deux balises satellite en cas de soucis majeur, l’écope, la pompe à main et la boite «MacGyver ».
J’en profite aussi pour faire fondre dans ma bassine pliante, quelques bouts d’icebergs gisant sur la plage. Je les entasse dans l’abside de la tente qui chauffe un peu et naturellement les fait fondre. Dans ces moments de récupération je bois beaucoup pour éliminer au mieux l’acide lactique que j’ai emmagasiné.
Puis c’est surtout le moment de la réflexion. Des moments que j’affectionne tout particulièrement. Seul au bout de cette plage de plusieurs kilomètres, l’immensément grand me renvoie à ma place de microbe. Quelques livres sont aussi sortis du sac étanche. Sylvain Tesson, « sur les chemins noirs », une manière de comprendre son addiction qui lui a couté une longue hospitalisation, suite à une grave chute d’escalade alors que la vodka lui avait mis le carton rouge… Puis l’incroyable manuel, le courage d’Osho, un livre qui devrait être obligatoirement lu dans les écoles. «Le courage n’est pas l’absence de peur, dit Osho. C’est plutôt et justement le courage d’y faire face». Juste le livre qu’il faut là où je suis. Puis un bouquin qui me suit depuis des années, de Tom Butler-Bowdon : 50 classiques de la spiritualité. Aujourd’hui, je l’ouvre au hasard et me laisse porter par ces sages qui ont fait notre ère. Coïncidence, le chapitre de la vie de St François d’Assise m’est proposé. Vivre libre, c’est de ne rien avoir, parler aux oiseaux, aux plantes, vivre comme un ascète en quelque sorte. Je suis loin de ce grand homme, mais je retrouve des similitudes, dans mon quotidien actuellement…
Puis mes taches restent basiques. Le vent tarde à venir puis en un claquement de doigt, une belle houle déferle sur la longue plage que nous squattons. Immaqa est sécurisé, la tente aussi. Comme c’est une journée calme, je laisse mon tel sat allumé et le bip qui me relie au monde résonne à deux reprises. Ma belle allemande veut entendre ma voix. Elle au camp des solitudes, moi au bivouac du solitaire, elle me parle du torrent qui rafraichit de la canicule qui sévit en Corse, de son quotidien teinté d’inquiétude pour son nomade en quête de liberté. Puis c’est un autre tintement, mon Félix qui lui aussi s’inquiète. Des andouilles sur le net et en Corse ont propagé de fausses informations sur ma progression vers le nord. Non, je n’ai pas perdu mes sacs de victuailles, non je ne suis pas en survie extrême, tout va bien. Quant aux ravages qu’a causé le tsunami d’Uummannaq, le bilan est de 4 morts et non du chiffre de dingue que certains mal informés font circuler… Pour les infos à 100% valides sur mon expédition, il y a ce blog animé par Audrey, Karin ma compagne, Julien par Facebook et Patrick et tous les lundis à 12h40 sur les ondes de France Bleu RCFM. Toutes les autres sources ne sont pas valables…
Je vous envoie plein d’énergie positive. Le monde est une boule qui tourne où nous devons cohabiter, tant bien que mal. Ici au frais, la seule vérité est l’instant présent, hier est déjà trop loin, demain bien incertain…
Vor der kaserne
Bei dem grossen Tor
Stand eine Lanterne
Und steht sie noch davor
So wollen wir uns wieder seh’n
Bei der Lanterne wollen wir steh’n
Wie einst Lili Marleen…
Camp Ata!
7 juillet 2017Nous ne sommes pas maîtres de ce qui nous entoure et là encore, j’en prends conscience… Aujourd’hui nous avons progressé de 34km en une journée rêvée, pas un millimètre de vent et un soleil à cramer un unijambiste en kayak. Tout au long du parcours, des coins assez pratiques pour bivouaquer et une paix royale, pas une seule rencontre. Comme d’habitude, un renard arctique est venu en curieux voir le bateau rouge passer. Une escadrille d’oies essayait de nous fuir en marchant d’un pas rapide, mais on allait dans le même sens, jusqu’au moment où elles ont compris que leur salut était de grimper vers la montagne.
L’impression est étrange, le coin ressemble incroyablement au lac Léman mais sans aucune construction. Les montagnes sont abruptes mais sans remonte pente et au désespoir de la mascotte, pas de chocolat Suisse abandonné sur la côte. Soudain, un point blanc apparait ainsi qu’un pic vertigineux, une aiguille de lave figée s’élève vers le ciel. Au pied de ce monument, une cabane blanche. Ce sont les premières deux heures, alors nous stoppons la cadence pour aller déguster notre café à l’abri des mouches et moustiques qui sont venus par « palettes » complètes !!! De ce nid d’aigle je peux surveiller Immaqa qui pourrait avoir la fâcheuse idée de prendre la mer sans nous, ce serait bête ; hein !
Puis nous continuons. Personne, pas un bateau pas un souffle d’air. A un moment le courant semble nous porter un peu… Au bout de 8h de rêveries, je décide de monter le camp. Sur la carte je découvre que le coin se nomme Ata !!! Il y a une semaine dans un autre Ata, Karin retournait en Corse et aujourd’hui pour la première semaine je bivouaque dans un coin au même patronyme. En arrivant, des os de baleine et d’autres bestioles jonchent le sol, les chasseurs sont passés par là. Immaqa est posé sur son chariot et hissé en zone hors d’atteinte de la mer. Je m’occupe de lui, vérifie tous ses petits coins. Nous sommes une équipe. La brise d’est se met en place, une aubaine qui va nous laisser
tranquille avec les mouches et moustiques.
Par habitude, je monte la tente avant d’ouvrir mon tel sat, mais là je sens qu’il faut que je fasse le lien avec mon équipe (Audrey, Karin). De toute urgence je dois appeler Julien. De l’autre côté sur Uummanaq, la situation s’est encore dégradée. Voici le message que j’ai reçu de Pierre qui vit dans cette ville : Au cours des derniers jours cette calotte de méta sédiments a continué de bouger jusqu’ à 30cm/jour. Info rapportée à la presse par le géologue Jonas Petersen du département des minéraux bruts. L’ article dont j’ ai pris cet extrait est plus technique et descriptif de la situation actuelle et des risques. Entre autre que si la vague sur la disante du fjord de Karrat peut se situer entre 5 et 10 m de haut elle n’est pas prévue au delà de 3m du côté d’ Illorsuit et encore moins vers Nuussuaq, Niaqornat et Uummannaq où je l’ ai estimée entre 1.80 et 2,00m lors du premier Tsunami du 17/6. J’ étais sur l’ eau dans ma jolle avec les autres et cela correspondait à un marnage de marée habituel. Annie ma compagne (chef médecin à l’ hôpital) vient de me téléphoner à l’ instant pour me confirmer que le risque de rupture de la montagne et de 11,5 sur 12. Je répète que tant que Franck se trouve de l’ autre côté de Nuussuuaq pas d’affolement mais prudence absolue sur la face Nord et et Nord Ouest de la presque’ île de Nuussuuaq.
Je ne vais pas me presser mais dans 4 à 5 jours je devrais atteindre le cap Nugssûtâ. Là, je prendrais une décision pour ma progression. Myrtille sur la crêpe un bon coup de vent est annoncé, encore un « truc » à gérer !!!
Je remercie, Audrey, Karin, Julien, Pierre qui sont à l’écoute de l’évolution sur Uummannaq. Ils sont mes anges gardiens… Ne vous faites aucun souci, il n’y a pas de bons aventuriers, il n’y a que de vieux aventuriers.
A pluche
camp Fangsthus
6 juillet 2017Hier, juste après mon bain forcé pour récupérer Immaqa qui prenait le large happé par une vague d’un iceberg en perdition, je repérais, non loin de notre bivouac une sorte de mini cabane encastrée dans la roche. Vu que tous les moustiques du monde s’étaient donné rendez vous ici, je tentais le repli vers la maison des schtroumpfs pour un diner plus tranquille.
1.8 m de hauteur, 2 m de long sur 1 m de large. Fermé par deux gros morceaux de plastique transparent, je trouvais un coin, bien pensé et construit que de récupération. Quelle étrange idée de bâtir une telle cabane aussi loin des Hommes. Popote en main avec mes plats lyophilisés, je m’installais confortablement. Une lunette de camion servait de fenêtre, elle donnait juste en face du glaçon qui avait failli me refroidir !
Savourant en douceur, mes pâtes, un papier coincé entre deux boites rouillées attirait mon attention. En français un mot était écrit : Bonjour Jeff, merci pour l’accueil dans ta cabane… Julien Brieuc, le 28/08/2015… Une cabane de Troll, un mot écrit en français, je ne pouvais y croire. Quelle étrange rencontre. Pour remercier mon hôte, que je ne connaitrais certainement jamais, je griffonnais au dos de ce même papier quelques lignes : Voyager ce n’est pas changer de pays, voyager c’est changer de monde… Sur ce papier, je déposais un œil de St Lucie, j’en ai toujours en voyage au fond de ma poche, ainsi qu’un stick de café en rajoutant: L’œil pour la chance, le café pour le partage… Merci…
Le lendemain je pliais bagage, route vers le nord-ouest. Je jetais un coup d’œil au vilain iceberg qui m’avait forcé à la baignade et imprimais à jamais cette cabane perdue au bout d’une plage polaire… Le vent était portant, mais nous n’en sentions pas les bénéfices, un courant contraire nous freinait, décidément c’était l’expédition la plus lente de ma vie d’aventurier à cloche pied. Des immenses icebergs nous cernaient mais la mer était enfin libre, plus de piège de glace. A distance tout de même de ces immeubles congelés, nous nous méfions. Le ciel était d’un bleu azur et le soleil tapait dur, assurément ils allaient exploser. A moins de 100 m d’un monstre, une série d’explosions nous fait réagir : des pans entiers de glace chavirent dans l’océan provoquant une série de vagues hawaïennes ! Action, réaction, je décide la fuite, mais dans cette position je ne peux voir les vagues alors je décide de virer à 180° pour les affronter. Ouf juste une série d’ondulations qui me laisse tout de même sans voix… La leçon est bien notée, décidément je suis en cours intensif.
Le premier cap est enfin franchi, des milliers de pingouins torda batifolent à quelques encablures de notre étrave. Le lieu est sublime, ce doit être un ancien cratère de volcan, une caldera effondrée à moitié. Le vent tombe pour tourner ouest, juste sur le nez. La moyenne déjà pas élevée, chute encore. En face de moi, une plage pour le café du matin et tout le reste ! Je me sens observé, un tout petit renard, nous épie, il surveille le nomade en croisade. Sans trop de crainte, il me décortique mais en gardant toujours une bonne distance. Il est beau, vif. Sur un piton il stoppe sa fuite et m’offre une sorte de chant des plus touchants, entre le miaulement d’un chat et le croassement du corbeau…
La route est longue alors il faut reprendre la mer, mais le vent forcit. Au 15éme kilomètre, une magnifique plage semble nous accueillir. Comble de chance, plein de bois flottés sont là pour économiser du gaz et de l’eau coule des montagnes. Un coin d’herbe après un moment de réflexion « germanique » est défini comme bivouac du moment. Le coin est vaste mais pas oppressant. Par sécurité, je tire Immaqa bien loin de la mer. Ce travail me demande un effort de gladiateur mais notre vie en dépend. Le vent se renforce, demain est un autre jour…
A pluche