Une nuit ventilée mais j’en ai pris mon parti, le lieu est tellement beau, comment lui en vouloir? Une plage de sable blanc de plusieurs kilomètres et personne, personne, personne… Ce matin, l’ouest a compris que ses blagues ne me faisaient plus rire alors l’est était déjà en place, au moins je sais à quelle sauce on va être mangé ! Passé le cap de mon abri, un mur de glace m’oblige à zigzaguer, la prudence est le mot clé de ce mauvais passage saupoudré de courants violents et contraires, bien sûr. Le soleil est enfin au rendez-vous ce qui donne presque un air estival, à l’abri du vent il fait un bon 9°, la canicule. Je vise une petite île qui coupe un peu la longue traversée qui se présente à l’étrave d’Immaqa, 6km c’est vraiment peu mais avec 1nd de courant et un bon 15nds de vent cela fait une moyenne de vieux retraité clopinant. Mais je prends mon mal en patience cela fait au moins 125km que le vent est contraire, alors pourquoi changer. Le soleil est juste dans le cap que je dois prendre et je n’arrive pas du tout à deviner l’île. La carte et le GPS remplacent mes yeux éblouis. Au bout de 2h de galère, mais de bonne humeur, enfin une tache blanche de sable semble apparaître, serait ce « mon » île ?Là aussi, un mur de glace me demande la plus grande prudence pour ne pas éperonner Immaqa, mais là bas sur l’île, quelque chose se passe. Il me semble voir du monde, la folie du solitaire serait-elle à mes côtés ? J’accélère le rythme pour découvrir un homme qui me surveille aux jumelles. Le kayak réceptionné par cet inconnu, je lui lance le « aluu » de service et lui me répond, bonjour en français !!! Là je suis sur le cul, pardon mais je crois que ce sont les seuls mots qui me sont venus ! Devant moi, Jeff et Hélène les « proprios » de cette île perdue au bout du pôle. J’ai du mal à y croire. Il m’aide à sécuriser Immaqa et devant un café chaud, une tartine de beurre confiture et une autre beurre salami, à l’abri du vent, il me raconte son bout de vie. Depuis 34 ans, il visite chaque été le Groenland, il a bossé comme guide sur Ata et connait très bien la baie de Disko pour avoir guidé quelques touristes égarés en kayak. Sur cette île plate, il a 4 cabanes de 2m² chacune, composées de palettes et de bois flottant, un endroit surréaliste… Pendant 3h nous papotons, je prends des notes, ils me donnent des coins de bivouacs, des places nickels pour un solitaire et son kayak… Quelle rencontre, je sais même maintenant le nom de la dame enterrée à Ata : Trine Christiansen…
Mais voilà, un nomade reprend toujours son chemin surtout quand le large l’appelle. Cap à l’est vers le village de Saqqaq, le vent et le courant sont contraires, décidément ce sera jusqu’au bout. Enfin le village et sa palette pastelle de maisons colorées, est à notre étrave. Dans un coin au loin sur une pierre plate à côté de leur embarcation, 2 hommes semblent affairés. Je crois avoir compris. Mes coups de pagaies se font plus forts, plus puissants, je ne voudrais pas arriver après qu’ils soient partis. Aluu ; Ils me répondent à peine, leur tâche est sérieuse, ils dépècent un beau phoque gras. Par chance, une pierre propice au débarquement me permet de me poser à 3 m d’eux, Immaqa flotte dans un bain de sang. Je leur baragouine si je peux avoir un bout de viande, dans un sac en plastique me voilà avec un bon kilo de bavette. Ils refusent de me faire payer et retournent à leur histoire. Cela me touche profondément. Ici, la vie est rude, on ne s’embarrasse pas de question, la vie polaire va à l’essentiel. Un homme en kayak qui semble arriver de loin passe, on lui donne de quoi manger. D’où il vient, pourquoi il le fait, ça ce sont des questions des hommes d’en bas où tout est facile.
Mon sachet de protéines est fixé à la proue d’Immaqa sur le pont, il ne me reste plus qu’à trouver le bon coin que m’a indiqué Jeff pour monter le camp. La maison rose, le séchoir à poissons, c’est bon, j’ai trouvé l’endroit protégé pour Immaqa et son équipage. Il est déjà tard, mais je suis heureux de cette incroyable belle journée. Au loin un couple vient sur moi, je comprends au premier coup d’œil que ce ne sont pas des locaux. Ils me saluent en anglais, on cause un peu. C’est un groupe de danois qui séjourne dans la maison rouge à deux pas d’ici. Ils me questionnent sur mon parcours… Mais j’ai une mission, douche et ravitaillement, la mascotte trépigne ! Mais voilà, devant le magasin un panneau écrit en groenlandais me laisse entrevoir qu’il ne sera ouvert que demain à 9h, Jo Zef s’est évanoui !!! Pas de souci, la douche publique est ouverte, à moi le décrassage. Encore un coup du hasard, un magnifique ciseau de coiffeur est posé proprement dans un coin de la salle de bain. Habitué au cheveu rasé, là depuis un moment j’ai la gratouille dans le bonnet, je me transforme avec beaucoup de patience en coiffeur polaire ! Me voilà enfin propre, je laisse mon nom et prénom sur la liste d’attente pour la machine communale à laver le linge, demain à 9h20 ça va faire du jus. De retour à la tente, ce soir ce sera phoque et riz, mais une surprise nous attend. Un petit mouchoir blanc savamment mis dans un coin de l’abside attire mon attention, deux petits pains moelleux… Nos voisins danois nous ont fait ce beau cadeau. Je vais les remercier, ils me proposent même une double prise électrique pour charger tous mes gadgets électroniques. Vue sur les glaçons qui pètent fort ce soir, des tranches de phoques rissolent dans ma poêle, de l’eau ne cesse de s’accumuler dans ma bouche.
Demain du vent fort est annoncé, ce sera une journée repos et rencontres…
PS : Jo Zef veut dormir devant la supérette pour ne pas louper l’ouverture, sacré mascotte !