Oqaatsut la paisible
9 août 2017En reprenant les mots de ma belle allemande, c’est comme quand tu reviens d’une plongée extrême, la remontée est lente, puis les paliers n’en finissent plus pour te permettre de rejoindre la surface. Mon retour de toutes ces semaines de mer ne pouvait, en claquant des doigts, me replonger dans le soi disant confort qui à chaque fois me met à genoux, là c’est simple, très simple puisque encore rustique. Me voilà à Oqaatsut depuis 24 heures, petit village eskimo de 45 habitants, à vue de nez la population de chiens doit être au moins du quadruple ! Les moustiques sont toujours là mais pour les narguer, je ne porte plus de moustiquaire de tête et je leur offre mes bras nus. La cabane est des plus rustiques, pas d’eau courante comme de partout dans les villages du Groenland, pas de toilettes et c’est peut-être la seule du hameau qui n’a pas d’électricité. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, à 4h30 j’étais déjà debout à nettoyer cette cabane bleue.
La transition, bien que rude, est encore dans la logique de mon voyage, ici rien n’est simple, il faut penser différemment, s’adapter, une fois de plus. Dès l’ouverture, je vais chercher 20 litres de pétrole, le chauffage est toujours de mise même si c’est l’été, puis avec une brouette communale, je dois, au distributeur bleu, comme partout sur cette terre de glace, remplir mes 30 litres d’eau douce pour les ramener sur un chemin scabreux. Julien arrive en bateau, il fait les présentations, explique pourquoi je suis là et des sourires m’enchantent. La patronne de la superette, où tu trouves tout, en passant des couches pour bébés aux cartouches de gros calibre, est la nièce de l’ancien patron de la cabane. Elle est ravie, en apprenant que ce sera un camp de base pour amener des jeunes et moins jeunes raccourcis. Les ados locaux rêvent de ville et le village perd de sa jeunesse, les anciens savent que leur commune coûte cher au Danemark. Un groupe électrogène tourne en permanence pour alimenter le dessalinisateur qui fournit l’eau du puits central, où tout le monde va remplir ses jerricans. Si les jeunes s’en vont, les politiques danois fermeront le village au désespoir de ses habitants. Je visite les maisons communales, il y a celle où tu peux aller bricoler et emprunter gratuitement des machines, il y a aussi un hangar pour caréner ton bateau, puis il y a un dispensaire des plus modernes, en sachant qu’en cas de gros problème, un hélico sera sur zone très rapidement. Puis la salle des douches, bien plus clean que certaines que j’ai utilisé pendant mon tour de Méditerranée, il y a aussi une petite salle de muscu et un coin avec des tables pour jouer aux jeux de société. J’ai d’ailleurs squatté toutes les prises électriques pour recharger tous mes gadgets.
Le tour du village est rapide mais qu’est ce que je m’y trouve à l’aise, bien qu’étranger, je me sens le bienvenu. Alors cette journée est consacrée au décrassage de la maison. Construite en 1955, elle a été longtemps abandonnée bien qu’en état parfait et il y a un monticule de «trucs» à récurer et remplir une belle poubelle pour y sentir une autre odeur que celle d’un phoque en décomposition… Immaqa, lui se repose sur une belle prairie, le GPS, le trackeur qui donne ma position satellite pendant que je navigue et plein d’autres choses sont à son bord et personne n’y touchera. A notre époque cela n’a pas de prix.
Le 16 aout, «ma» Karin arrivera et ensemble nous reprendrons la mer, le chant des baleines, les espiègleries des phoques, la pêche à la morue et aux truites, ce sera le partage pour nos retrouvailles. En attendant, ce soir devant ma soupe chaude, un immense iceberg s’est désintégré juste sous nos yeux éberlués. La cabane est située un peu à l’écart des autres avec une vue imprenable sur l’océan arctique où un petit point rouge a bien risqué sa peau. Au mois d’avril, avec des jeunes de Bout de vie, nous étions arrivé à Oqaatsut en chiens de traineau par la baie qui était gelée. J’avais dis à Rémi : tu vois, un jour je reviendrais ici, dans cette cabane, pour y passer un bout de ma vie… Une fois de plus, ma pensée s’est réalisée…
Mercredi 9 aout à 15h, je serai en direct avec le Festival du film d’aventure des Diablerets dans les Alpes Vaudoises en Suisse. Dume Benassi a pris ma place de membre du jury et à l’occasion de la projection de son dernier film sur ses 15 titres de champion du monde de triathlon (sur une patte), je répondrai en direct aux questions de l’extraordinaire Jean- Philippe Rapp… Pour conclure ma bafouille, je reprendrai une belle maxime de Sylvain Tesson: Arriver sans savoir si tu vas rester, partir en sachant que tu vas revenir…
PS : Jo Zef vient de s’évanouir, je lui ai annoncé que Norra viendra le rejoindre avec Karin ! Il est quand même fragile je trouve !!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Complainte des Baleines
7 août 2017Elles ont du sentir ma nostalgie et pour ne pas me laisser seul, elles m’ont offert leur chant toute la nuit. Je le définirai comme la «complainte des Baleines», elles sont tristes de nous les hommes, tristes de notre vision, triste de notre présent… Je ne peux que les écouter, elles m’ont dit d’autres choses mais ça c’est mon secret. Le brouillard est dense, le son est feutré, la sensation d’être seul au monde est amplifiée. Il me faut partir, le sud m’attend, avant je visais le nord mais après les leçons du Cap de mes peurs, l’expédition s’est muée en voyage de l’intérieur, en parcours initiatique. A l’aller, je n’ai vu que des kilomètres à manger, des notes à prendre, des vents à venir. Le retour fut archaïque, contraire à mes attentes, mais en y pensant bien, c’était les cours du soir que l’on m’offrait. Des contrôles notés sévèrement, je ne sais même pas si j’ai eu la moyenne, ce qui est sûr, c’est que je suis passé, sans redoubler, ici redoubler c’est changer de monde !
Immaqa est mis à l’eau une fois de plus, son chariot semble tenir le coup, tant mieux. Entre des îlots, je glisse sans bruit, le courant me pousse, je crois que les leçons commencent à payer. Je visite, je stoppe mes pagaies, pour voir si ce satané phoque veut bien se laisser filmer, ici le 7 ème art n’est pas dans leurs mœurs. Les dalles sont toutes accessibles, au contraire de tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent, les lieux de bivouacs sont multiples et variés, un vrai confort pour le plan B. Une cabane est en rive, pourquoi ne pas la visiter, ici tous les abris n’ont pas de serrure. La maison est parfaitement rangée, trop à mon goût, serait-ce un danois qui utiliserait ces lieux ? Je le saurai peut-être un jour. Des fjords magnifiques et encore quelques icebergs coincés, certains d’entre eux sont de taille phénoménale.
Là-bas, je devine l’île qui défend Oqaatsut des terribles vents du nord, derrière «ma» cabane, et dire qu’il y a encore deux ans, je vivais sur mon petit bateau, sans jamais penser un jour résider à terre. Mais la route n’est pas encore finie, à chaque instant un piège peut-être fatal, ici, seul en kayak, la concentration doit être au plus haut niveau. Je me tourne une dernière fois pour deviner les caps du nord, d’où nous revenons. Je stoppe tout, la brise est de nord, le silence une fois de plus me prend aux tripes. Je marmonne une sorte de prière, la dame d’Ata m’a protégé, combien de fois m’a-t-elle envoyé un de ses anges en forme d’oiseau pour me guider sur le bon chemin ? J’ai des larmes dans les yeux, j’essaie de me confier à la caméra, ma voix est nouée, les mots sont trop durs à sortir, je suis un miraculé et ça je l’ai bien compris. Je suis parti sans savoir ce qui m’attendait, heureusement sinon je ne serai pas parti.
Je me projette sur les jours prochains, la vie au village, la visite de ma douce allemande… Mais je reste prudent, Oqaatsut est encore loin… 15 h, je touche enfin terre, le village est silencieux comme à son habitude, la marée est tellement basse que je suis obligé de laisser Immaqa loin du point de débarquement prévu. Je monte voir Steen, il me sourit, m’offre un café et lit dans mes yeux ce que j’ai vécu, lui c’est pour survivre qu’il subit ces caprices météo, moi c’est juste pour me sentir «homme libre». Il me dit que j’ai grandi, je ne sais pas, mais ce qui est sûr c’est que ce soir, je sais que l’aventure est loin d’être finie…
A pluche
Escorté par les baleines
6 août 2017Brouillard, calme plat, Immaqa cherche la passe pour quitter ce havre de paix. En face, là-haut sur une crête, le renardeau m’observe, ah quand le reverrais-je ? Jamais certainement… Il me faut traverser devant le détroit de la grande mer intérieure Pakistup Ilordlia, la passe est moins mouvementée qu’avant-hier, nous sommes à marée haute. Je ne sais quel moustique m’a piqué mais j’ai voulu voir si je pouvais naviguer là dedans, une vraie idée de génie ! A peine j’embouque le goulet que je me sens aspiré mais d’une force terrible, l’océan est en train de rentrer dans ce trou à rat et moi, le rêveur de service, en train de me laisser perdre. Il me faudra une énergie folle pour en sortir, parfois je me demande si je ne vais pas un peu me les chercher. Sorti du flux, je peux observer la côte intérieure qui est abrupte, que de hautes falaises se jetant dans la mer, aucun moyen d’accoster. Remis de mes émotions, je scrute la brise qui va me balader aujourd’hui, elle semble dans le bon sens…
Après la pointe Sarfaq, j’ai l’option droit vers le sud-ouest mais au large ou alors raser la côte doucement. Mon choix sera entre les deux, pas trop près de la rive mais assez loin pour choper le vent portant et gagner du terrain. Bam, là devant moi, maman et petit côte à côte, juste pour l’équipage d’Immaqa. Deux baleines enfin se laissent un peu approcher, si près que le baleineau, curieux du « truc » rouge qui flotte, vient nous tourner autour, à un moment, j’ai failli avoir le tournis !!! Un cadeau matinal qui m’a enchanté, ici si les conditions sont perpétuellement extrêmes, elles réservent toujours des surprises fabuleuses.
Le golfe de Pakitsoq ne m’inspire que peu de confiance alors je ne traîne pas, plus vite j’en serai sorti mieux ça vaudra. Pour une fois depuis 47 jours, le courant est en notre faveur, régulièrement je cesse de pagayer pour voir si je ne rêve pas. Non, nous sommes portés. Là où il m’a fallu 6 heures il y a 2 jours pour le pénétrer, il me faudra aujourd’hui 2h30 pour en sortir. Tout au long de cette «croisière» polaire, à quelques 500 m, maman et bébé m’escortent. Le silence est tel que j’entends tout de leur respiration, de leur «conversation», elles doivent dire : qui sont ces bancals avec le truc rouge, qui nous regardent sans cesse ?
Au cap Niaqornaq, nous prenons une route sud, le courant est toujours en notre faveur et la mer est sans une ride, un vrai délice de naviguer aujourd’hui. L’eau à la pointe est très claire et le fond s’offre à ma curiosité, jusqu’au moment ou des centaines de morues, à quelques mètres sous nos fesses, sont en train de nous regarder passer. Là, à 10 m, une roche plate, ce soir Jo Zef, poisson frais ! Le kayak bien assuré, il me faudra un seul lancer pour assurer les protéines pour au moins deux repas. Ici tout est extrême, la richesse de cette mer est incroyable, à croire que seul ici l’homme n’a pas trop d’impact sur la nature. En bas, dans la fourmilière du sud, ce capital serait pillé ou alors protégé par des parcs marins gardés qui sont devenus des parcs d’attractions surfréquentés.
Les gros icebergs ont réapparu, le protocole de sécurité reste le même, surveiller leurs explosions pour éviter les vagues de submersion au débarquement… En face de notre étrave, une belle île semble avoir de belles dalles plates qui pourraient servir pour sortir en douceur Immaqa. Tranquillement, je pose l’étrave sur un caillou plat et décharge le matos. Mon moignon reste toujours très douloureux, le premier voyage est un calvaire, mais entre vous et moi, je ne crois pas que ce soit le lieu pour se plaindre. Vite fait, j’entreprends le tour de l’îlot, l’endroit est parfait. J’ai bien fait hier d’embarquer 5 litres d’eau potable, sur ces écueils il n’y a aucune possibilité de faire le plein. Au moment de monter la tente, un coup de vent énorme se met en place, je suis obligé de faire «l’indien» pour fixer le camp sans perdre un bout de toile. Je suis ravi, les moustiques et les brulôts seront obligés d’être planqués. Mais, en voulant mettre mon embarcation sur son chariot, celui-ci, une fois de plus se met en avarie en faisant lourdement chuter mon bon compagnon Immaqa. J’en ai mal au ventre, rien de cassé ouf, mais ce maudit chariot me sort par les yeux. Ni une ni deux, je sors la boite magique pour une réparation de fortune, le kayak est hissé hors de la marée haute et des tsunamis causés par les icebergs qui se brisent…
Ce soir, sur ce petit caillou perdu au milieu de l’océan arctique à 400 km au nord du cercle polaire, un homme libre prend le temps de savourer sa liberté. J’ai réussi à bricoler ma prothèse en lui ajoutant une cale en cuir qui semble faire son effet. Ma perte de poids a enlevé aussi du volume à mon moignon qui depuis plusieurs jours me fait grincer des dents.
En point de vue de mon sac de couchage, les baleines peuvent danser, chanter, nous, on est là…
A pluche…
Chut, silence en cours
5 août 2017Pas un iceberg qui claque, pas une houle à guetter, pas un souffle, le silence dans tous ses états. Comme dirait Sylvain Tesson, le silence c’est le bruit du temps qui passe… Une morue a sauvagement émis des splashs dans la lagune face au bivouac, malgré l’heure tardive, elle s’est retrouvée filetée en sachet en attendant notre poêle à frire !
Au petit matin, le brouillard nous enveloppe, un signe de vent de sud-ouest pour la région, cela signifie aussi une journée sans moustiquaire de tête, les suceurs de sang n’aiment pas le Libeccu polaire. Le camp va rester monté, le coin est trop beau pour être si brutalement quitté. Je profite de ce calme à moustiques, pour m’offrir une courte, mais magnifique balade, mon moignon réclame du repos, alors je dois l’écouter. Pas de portage de kayak, de mise à l’eau houleuse avec des efforts de gladiateur pour que rien ne se brise, ni le kayak ni mes vieux os. Je vais quitter mon pantalon étanche pour une paire de pantoufles boréales. Le coin est délicieux, si je devais le classer dans tous ceux visités, il figurerait sur le podium. La température a sacrement chuté mais cela me plait, je laisse aux aoûtiens du sud le soin de se déshydrater sous le soleil méditerranéen, ici le froid est tonique, il met l’esprit en veille permanente.
S’adapter sera le mot clé de ce voyage, mais la vie ne serait-elle pas une succession d’adaptations ? En naissant, on rampe, on chope tout ce qui peut passer sous notre main de bébé, puis l’on se redresse tant bien que mal. En perdant une jambe, c’est un peu pareil aussi, on est bancal, mais vous le savez bien, ce n’est pas tomber qui est important, mais se relever, alors on s’adapte. Ici, c’est exactement ça, s’adapter, se mouler au paysage, au lieu. Je commence à comprendre pourquoi l’eskimo est si peu bavard, si silencieux, depuis des millénaires il s’est adapté. Un gars qui parle fort ici, va être mis sur la touche de suite, j’en suis convaincu en quelques jours son langage deviendrait doux, bas, étonnement à l’écoute de ce qui va arriver.
Le brouillard avec des trouées de soleil rend le coin mystique, antique. Je m’attends à tout moment à voir surgir de derrière un massif minéral, un mammouth suivi d’hommes d’un autre millénaire. La dite civilisation d’hommes de Saqqaq a habité la baie de Disko et je n’arrive pas à savoir si c’est un effet naturel ou historique mais en me baladant, j’ai trouvé d’immenses dalles recouvertes de lichen avec des inscriptions ! Une sorte d’alphabet tracé dans le végétal qui met beaucoup de temps à évoluer, des lignes et des lignes, un peu comme les signes rupestres de la vallée des merveilles du Mercantour, mais ici ce n’est pas la roche qui est gravée mais le lichen. Au village Oqaatsut, j’aurai certainement ma réponse.
Les bolets tapissent la toundra, un beau plat de morue-champignons m’attend à midi. En entrée, j’ai réussi à transformer les œufs de truites pêchées il y a quelques jours, en poutargue, la simplicité de vie rend ingénieux. Ma balade me mène sur une ancienne maison abandonnée, moitié en planches, moitié en tourbe, ma rêverie essaie de définir le personnage qui a résidé ici et surtout à le dater ! Là aussi, peut-être plus tard j’aurai ma réponse. Tiens, la tête de morue que j’avais planquée assez loin du camp n’est plus là, un renardeau a du s’en saisir pour un festin en l’honneur de l’équipe des bancals. Oui, mon pauvre kayak, lui aussi boite bas, une latte arrière est brisée, mais rien de bien grave pour cet équipage du tonnerre de Dieu. Qu’ils se méfient, si du brouillard sortait un drakkar viking nous l’enverrions par le fond. Par Thor et par Odin, on n’est pas les flibustiers du temps présent ? Les champignons rissolent avec la morue. Jo Zef a la mission de veiller au camp si par derrière, un ours blanc avait la mauvaise idée de venir déjeuner avec nous, c’est que nous, nous sommes des solitaires…
L’expédition du record, de la première mondiale, se recompose en une exploration paisible, non plus avec les vents contraires mais avec le blizzard qui nous guidera où bon lui semblera. Un voyage de l’intérieur, une introspection dans le silence absolu. Quand je pense que 100 millions de touristes sont tout autour de la Méditerranée alors qu’au même moment, ici à des kilomètres, nous sommes seuls au monde. Notre pauvre planète, doit bien nous prendre pour des dingues, il y a assez d’espace pour tout le monde, le brouhaha est la pollution la plus nocive, elle rend dingue les «autres». Sartre disait : L’enfer c’est les autres . Si ici cela peut-être vite l’enfer, c’est parce que j’ai juste fait un mauvais choix de parcours…. Je vous envoie plein de fraîcheur et de silence.
PS : Jo Zef est aux anges, nous avons posé la tente sur un champ de myrtilles, il n’y a même pas à sortir du sac de couchage pour se goinfrer…
Camp du lac salé
4 août 2017C’est bien d’être sur une petite île seul au monde mais encore faut-il la quitter un jour ou l’autre, pourtant un immense «mais» était d’humeur matinale. Un iceberg de chaque côté du caillou et rien d’autre que de l’océan, mais ces deux monstres se sont auto-plastiqués 3 fois, des milliers de m³ de glace qui volent en éclat avec des blocs gigantesques créant une série de vagues à refroidir plus d’un aventurier téméraire. Donc, avec la plus grande des prudences, j’ai posé Immaqa les fesses à l’eau mais encore sur son chariot. Le matos à charger était à portée de prothèse, mais pas trop près non plus en cas de raz de marée. Un vrai exercice de style qui te permet de rentrer dans ta journée avec un bon taux d’adrénaline. Finalement, l’embarquement a pu se faire sans embrouille, direction le golfe de Pakistoq. Bien sûr, vent et courant sont contraires mais je suis resté bloqué sur ma mise à l’eau de ce matin, une vraie roulette russe sans plan B et ça je n’aime pas du tout. Si la vague arrive au moment de charger le kayak, à moins d’un miracle tu te retrouves en slip en perdant tout ton matos, un truc de fou.
J’avance en prenant mon mal en patience. Cette partie m’est complètement inconnue et ma seule question du jour est où vais-je bien pouvoir trouver un abri sûr pour cette nuit.Ce golfe bien plus grand que celui de Porto-Vecchio est hostile, sans la moindre trace de vie. De hautes falaises l’encerclent et à raz des cailloux, un minuscule point rouge. Au bout de 2h30, je trouve le premier coin accostable, en plus il y a de l’eau à proximité, je ne vais pas trop me charger, avec mes 2 litres j’en ai assez pour la journée, ce soir je trouverai ça ! Puis le vent et le courant se renforcent, me donnant une moyenne de 2,5 km/h, à un moment je me suis dit : mais t’as qu’à tourner tes fesses et viser ta petite maison bleue, là bas loin au sud. Mais vous me connaissez, il est têtu le garçon, alors je poursuis dans une impasse, un couloir ventilé à souhait mais à son bout, je devine une cabane. Un vrai calvaire, le vent dans la gueule. A midi pétante, on ne rigole pas avec ça, je peux enfin manger mes nouilles chinoises dans ce pertuis complètement perdu, un vrai coupe-gorge, un coup d’ouest et t’es un rat mort !
Je m’extirpe de ce piège mais je sais qu’à mon tribord si je grimpe la colline, je pourrai voir la mer intérieure de Pakistup Ilordlia. Donc, je trouve une brèche protégée de l’est mais il faut absolument que je sécurise Immaqa, là je n’ai vraiment pas envie de le voir partir au large. Je noue, je frappe, tout ce qui est corde est fixé à terre. Mais cette ascension rapide pour voir de l’autre côté ne me rassure pas du tout. Je n’aime absolument pas savoir mon beau kayak seul, entouré de cailloux acérés. Malgré tout, je vois enfin cette mer émeraude, un écrin encerclé de falaises, là je crois que les carottes sont cuites pour que j’y trouve un abri. Reprenant ma route, je vais devoir couper la passe qui pénètre cette petite mer intérieure, nous sommes à marée descendante ! Oula oula, ce n’est plus du courant, ce sont les rapides du Yukon, à vue de nez il doit y avoir 6 nds de courant sortant. Malgré le vent, je prends large pour éviter les remous mais me voilà de nouveau dans la tourmente, j’ai le sang qui se glace, les remous sont monstrueux, je prie pour qu’il n y ai pas un tourbillon m’entrainant au fond !!! Encore un gros moment d’adrénaline !
Puis le cap est pris vers une minuscule baie qui devrait me faire trouver l’abri juste du soir. En bifurquant, là sous mes yeux, la merveille des merveilles, en plus de deux renardeaux qui m’observent, une baie super protégée avec un déversoir d’un lac juste à 20 m derrière. Les dalles sont pentues à la perfection pour pouvoir hisser mon bon kayak sans problème, et si c’était ça le paradis ? Je sécurise mon embarcation pour aller me rafraichir au torrent. Mais là, je me dis que je dois être sacrément salé, car l’eau que je bois à le goût du sel, je me lave le visage, les mains et regoûte l’eau du torrent, mais non de bleu mais c’est de l’eau de mer !!! Un lac juste plus haut de 2mts avec son déversoir de 20 m cela me semblait extraordinaire, et ben à marée haute ils doivent être au même niveau… Un peu écœuré de ce malentendu, pour ce soir je vais devoir me contenter de mes 2 litres d’eau. Pour le diner spectacle, une jolie cascade se trouve à environ ½ de marche d’ici mais pour ce soir c’est clair, je suis cuit, extra cuit. Pour finir ce billet, la température est en train de chuter, ce matin à l’abri dans la tente, il faisait un petit 4°, vivement l’été…
A pluche
Vigilance
3 août 2017Le vent du nord a pris de la force, il fait un froid polaire, normal où je suis, non ? La journée d’hier a laissé des traces, ce que j’avais planifié aujourd’hui, je l’ai pagayé hier, alors farniente ! Qu’il est bon d’être enfoui dans son sac de couchage en sachant que dehors c’est un congélateur, je ne veux plus lutter et me laisse bercer par mon immense fainéantise et je n’ai pas honte. L’île qui nous accueille est grande comme un mouchoir de poche, 50 m sur 300 m de large maximum, mais elle a un quelque chose qui fait que je m’y sens bien.
Hier en arrivant, j’ai eu du nez en récoltant quelques bouts de glace qui étaient bloqués sur des dalles. Mis dans une bassine pliable, ce matin j’avais mes deux litres à l’œil. Ici c’est de la survie à chaque pas. Cette journée de repos, ne me met pas en relaxation totale, il faut tout contrôler pour être sûr d’être opérationnel en cas de dégradation du temps ou de vagues d’icebergs disloqués. Hier c’était calme plat, mais j’ai pris mon temps pour quand même récolter des pierres qui ont bloqué ma tente, puis malgré son poids, j’ai fait un effort surhumain pour sortir Immaqa du bord de mer, heureusement. Alors que je rêvassais dans la tente, «mon» île s’est mise à trembler mais d’une force incroyable, une déflagration énorme. Le temps de mettre ma « guibole », un pull, un blouson, le bonnet, quel choc de voir une vague arriver droit sur nous, un iceberg de la taille d’une barre d’immeubles s’est pulvérisé, en jetant dans l’océan des tonnes de glace. Bien qu’à marée basse, la berge de l’île s’est transformée en coupe gorge, un ressac d’au moins 1 mètre l’a balayée pendant 10 minutes. Encore une leçon de vie, je suis resté scotché en me disant que si c’était pendant mon débarquement il y aurait eu beaucoup de dégâts. Décidément, la prudence est à assurer à tout instant.
Une journée de repos à observer la houle, les moutons, le vent mais sans le moindre nuage de souffleuse à l’horizon, les copines ont dû changer de restaurant… Ici la vie est survie, le temps est le seul allié sur lequel on peut compter. Ne jamais baisser la garde, vigilance et anticipation sont les seules règles valables, le reste, des blablas de sudiste… En face du camp, l’immense mer intérieure de Pâkitsoq. Si les Dieux du vent et des courants le veulent, demain nous allons aller l’explorer…
Ouf !
2 août 2017Hier soir en faisant ma « vaisselle », je trouvais vraiment le camp très près de la mer, il n’aurait pas fallu de houle d’ouest ! Eh ben oui, elle est arrivée cette nuit qui est toujours et encore jour. Comment veux-tu dormir dans ces conditions ? 4h du mat et on change de coin, via le sud… 5h du mat, ça y est, nous glissons sur une mer houleuse mais avec un vent faible de nord nord-ouest, vraiment comme il faut. Mais voilà qu’il se renforce, levant une mer chaotique, mais au moins ça pousse… Mais le vent augmente, la mer aussi, les premiers moutons nous lèchent la poupe, cela ne me plait pas du tout. Je tente la vitesse en envoyant le cerf-volant qui part au premier coup, waouh 7 km, Timmiaq, c’est son nom qui veut dire oiseau en groenlandais, tient seul mais au delà des 20 nds de vent, il part dans tous les sens pour finir à l’eau. Les déferlantes m’impressionnent, mais le kayak tient bon le cap. Par les pieds, je pilote le safran qui compense sans cesse les travers dus aux rouleaux. Il faut que rien ne casse, mais ça il ne faut pas y penser. Au bout d’une heure, c’est le coup de vent et dire que c’était prévu calme avec une brise de Nord nord-ouest de 3 à 4 nds !!! Timmiaq prend mal le vent, les bourrasques le déstabilisent, pour l’aider, je force comme un malade sur les pagaies pour lui donner moins de prise, mais patatras il s’écroule. Il me faut un exercice de cirque pour le ramener le plus rapidement possible sans qu’il ne passe derrière en se transformant en ancre flottante qui risquerait de me faire chavirer. Je ne sais toujours pas comment il s’est trouvé à bord aussi rapidement.
Maintenant, je n’ai plus que ma pagaie pour maintenir le cap, le travail est dantesque mais l’adrénaline me fait tenir le rythme sans souffrance aucune. Deux heures et le vent est stabilisé vers les 20 nds, avec un voilier c’est un pur plaisir, avec un kayak en mer polaire c’est la roulette russe. Pour tenir la cadence, des images me viennent et aujourd’hui la conversation que j’ai eu hier soir avec Karin me prend aux tripes. Son amie de formation yoga, s’est tuée dans un accident de la route il y a quelques jours, ma «petite» allemande est très affectée. Je ne connaissais pas cette femme, mais je pense fort à elle, à la vie. Nous sommes pendus à un fil de soie, à tout moment il peut céder pour nous amener vers l’autre monde… 3h, le vent est toujours là mais la mer est encore plus hachée, j’allume le GPS il me donne 4km/h, le courant est contraire au vent ! Il me faut sortir de cette route cabossée, le large me semble la seule solution. Et me voilà bouchonnant seul au monde avec une concentration extrême. Au bout de 4h, je franchis le cap pour enfin me retrouver sur une mer d’huile. Mais quelle galère, quelle énergie pour ne pas chavirer. Je ne dirai pas qui, «micca nomi», mais un drôle de spécialiste m’a dit : après le cap tu trouveras des accostages supers simples, plages, roches plates !!! Mais où bordel, où ? Que des roches abruptes et pour ce qui est des plages, une seule avec des galets gros comme des roues de tracteur !!! Alors je continue. Au dernier cap, j’entends sa voix qui me dit : « là tu verras, c’est super, un beau coin pour toi », oh l’enfoiré pour être poli !!! En face, le détroit large de 8km, j’ai compris ce sera encore une très grosse journée. Je me lance sur une mer d’huile avec un vent inexistant alors, pourquoi s’en faire. La motivation est au plus haut niveau, et quand la motivation est là, même les montagnes tu peux les déplacer… Des phoques me font oublier les baleines de ce matin qui ne nous ont même pas calculé, je les rassure : nous non plus ! Puis une légère brise de nord se lève, tout sur le travers. Là je me dis : non pas encore une rouste ! Puis non, cela reste une petite risée qui m’amène de l’autre côté de la rive pour une journée de 40 km. A notre arrivée, une belle baleine moins prétentieuse que les autres, se laisse un peu plus approcher, alors nous dansons ensemble…. L’île qui nous sert de bivouac est celle du premier camp que j’avais fait avec Karin il y a plus de 40 jours déjà, que d’eau sous la quille d’Immaqa depuis. En douceur, nous accostons pour enfin retrouver le calme et nos si bonnes nouilles chinoises.
Pour l’amie disparue de Karin, en mer, ces mots me sont venus : A toi belle inconnue, prends soin de toi et de ceux que tu aimes. Là où tu es, notre quotidien te semble bien drôle, prie pour nous pauvres tricheurs, prie pour notre salut, pour les peurs qui nous habitent. La vie ici en bas n’est qu’un combat d’une guerre que nous créons au quotidien. Si le ciel est ton paradis, je te dis à bientôt, la mort n’est qu’une porte que l’on ouvre derrière l’inconnu, alors n’ayons plus peur, ne tremblons plus de ce que nous ne connaissons pas…
Freeman plus que jamais…
Camp ouest Agdlugtodq
1 août 2017Je ne sais pas si je suis plus heureux d’arriver ou de partir, c’est la quête du nomade, se poser en sachant que proche sera le départ. Le village abandonné d’Agpat est dans mon dos, le courant nous porte vers l’inconnu. Un phoque décide de jouer les bodyguards pendant une bonne heure mais ce loustic reste toujours à distance, alors je l’engueule mais plus je parle fort plus il tente de sortir sa tête de l’eau pour savoir qui est le fada qui lui cause.
Le fameux cap où on m’avait prévu dangers et courant est d’un calme incroyable. La route occidentale de l’ile d’Agdlugtoq, n’est pas des plus faciles pour trouver des coins bivouacs, alors je cherche. Un premier arrêt me présente de gros galets, où il m’est absolument impossible de sortir Immaqa. Plus au sud, une plage de galets plus petits semble mieux mais les 3m² habitables sont difficiles à trouver. Depuis Qeqertaq, je possède la table des marées ce qui me permet de m’organiser, et là aujourd’hui le coefficient est faible et les hautes eaux vont se situer vers 17h30. Je décide donc de placer ma tente sur la plage face à l’île de Disko. Les très gros icebergs sont vraiment loin, donc en se désagrégeant ils ne feront pas de vagues ravageuses au bivouac des nomades polaires. Si les moustiques ont un peu diminué, ce sont les brûlots (entre la mouche et le moustique mais minuscule) qui pullulent, il y en a des milliards, impossible de rester sans moustiquaire de tête, un vrai calvaire. Vers 12h, je monte la tente pour manger ma truite saumonée déjà cuite, à l’abri et oui je me soigne !
Le ciel est gris et la température est douce sans rendre la tente comme un four. Je me repose, mais il y a un petit mais, mon moignon me fait souffrir le martyre. Les galets et la toundra rendent la marche casse patte, ma perte de poids aussi me rend plus ample dans l’emboiture de la prothèse, alors je serre les dents. Mais ce n’est pas ce détail qui va m’empêcher de vivre, il m’en faut plus pour me plaindre. Une fois le bivouac en place et la sieste organisée, je pars en clopinant à la recherche du grand lac à quelques boiteries de là. Immense, sublime et isolé comme jamais. Je n’arrive pas à croire que nous sommes le 1er août. Des glaciers, à perte de vue et des lacs plus beaux les uns que les autres… Demain, je vais tenter de faire un beau bout de route pour retrouver un coin plus abordable, le coin de ce soir ne me plait qu’à moitié, je n’aime pas être aussi proche de l’eau…
La mascotte a de plus en plus la langue bleue, c’est grave docteur, ou ce sont les myrtilles ?
Paix et liberté
1 août 2017Ce matin, mon petit poste qui ne peut capter que KNR, me donne les infos en Groenlandais, je ne comprends rien mais j’aime la musique qui est diffusée, c’est souvent d’ailleurs du local. Mais ce que je note au ton du journaliste, c’est qu’il y a quelque chose de lourd, et je comprends bien tsunami, Uummanaq, des mots clés qui me font réfléchir… Je viens de savoir qu’en vérité, ce sont les gens des villages où a eu lieu le drame qui veulent retourner chez eux…
Le vent est faible mais de sud et le courant lui est prêt à tordre le pôvre kayakiste. Donc on reste ! Ne plus courir pour écouter le chant des baleines, voilà un programme qui me plait. Mais où sont les gens,personne en mer, personne nulle part et dire que c’est le premier week-end des grandes vacances d’août, «ma» pauvre Corse doit être envahie jusqu’à la dernière petite plage. Avant de vaquer à mes rêveries, une dernière fois, je tente une opération de survie sur mon panneau solaire. Je vire mon coin cuisine de la grande table qui me sert de cambuse et installe tranquillement la bête, un rayon de soleil passe à travers le carreau. Soudain, la diode s’allume, mais il n’est pas mort alors. Je me mets en 4 pour comprendre d’où cette coupure peut provenir, jusqu’au moment où enfin j’ai compris que c’est un des éléments voltaïques qui est cassé. Là, je ne peux pas ouvrir au risque de le détruire définitivement alors je lui trouve la courbure adéquate pour qu’il puisse se connecter de nouveau et donner du jus. Une heure de casse tête…
Mais je ne suis pas ici pour me laisser voler «mon» temps si précieux, être ici est un privilège alors vivons le. Armé de ma caméra et de mon appareil photo, je cherche les points de vue stratégiques pour «choper» mesdames les baleines. Un immense hangar en cours de délabrement devait être le lieu où était stockée la graisse de baleine, de gros tonneaux ont résisté au temps, il me semble entendre les ouvriers causer entre eux. Je remonte l’arête de la côte ouest de cette petite île, un cairn me donne la direction. Un monticule de pierre avec un poteau au centre devait être le mirador pour avertir en cas de passage des cétacés. La baleine franche a failli disparaitre, son nom vient du fait qu’elle se laissait approcher sans malice par les harponneurs. Puis je poursuis vers un lac, la vue est magique. A moins de 30km, l’île de Disko, plus au nord, le cap qui m’a fait trembler. La brise de sud ouest me permet d’enlever ma moustiquaire, le silence et la solitude me prennent aux tripes. Quel pays, quel lieu et tout ça rien que pour moi. Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours mais la récompense est tellement belle. Puis je prends l’arête orientale pour arriver sur un cimetière, la dernière date est de 1934. Eva est partie à 39 ans, là encore plein de petits tas de pierre laissant deviner la mort prématurée de jeunes enfants. Puis deux coups de sifflets me font sursauter, je me retourne brusquement sans pour autant voir quelqu’un ! Je continue et là encore on me siffle, mais comme si c’était quelqu’un qui voulait m’interpeller, je me sens soudain moins seul. Damned, le siffleur est un bruant de Laponie, qui me voyant m’approcher de son nid, s’est mis en crise noire pour me faire changer de route. Il continue sa comédie en faisant l’oiseau blessé qui court dans la toundra pour me faire m’éloigner de ses oisillons. Ah l’artiste, à un moment je me suis demandé si quelques fantômes ne se seraient pas mis en tête de me faire un tour.
A mon retour, dans un tout petit périmètre, les premières myrtilles apparaissent, l’été si bref est enfin là… A mon retour, «Highlander» fonctionne toujours, c’est le nouveau nom de mon panneau solaire, chaque fois je crois qu’il est mort mais à chaque fois il ressuscite !!! Aujourd’hui j’ai donc eu le temps de penser, de rêver, de me souvenir aussi et j’ai beaucoup ri en repensant à la dernière course à la voile du Vendée Globe. Il y avait un gars, Sébastien Destremau, qui a fini bon dernier car il prenait son temps, il stoppait son voilier pour faire des contrôles, en ce moment je suis devenu un peu comme lui, pas trop pressé d’arriver… A partir de demain, un régime de vent faible de Nord devrait m’aider à prendre un peu de chemin, vive la vie…
PS : Jo Zef en voyant les premières myrtilles vient d’abandonner tous ces gros os de baleine qu’il ramenait pour ses potes, désolé…
Truites
30 juillet 2017Hier soir, le vent du sud a forcé des gens à s’abriter ici. Ce village abandonné est un bon abri pour les marins de passage. Une famille m’invite au café, la jeune fille de 18 ans parle couramment anglais, elle sera ma traductrice. Son grand-père Lars est né ici en 1948, il y a vécu jusqu’en 1963, je n’étais pas encore né. J’essaie de comprendre la vie ici, dans ces temps reculés. Mais l’homme du sud que je suis commet des impairs. Innocemment, je demande quel était le métier de son aïeul à cette époque. Du haut de ses 18 ans, elle me met face à mon monde douillet et surfait du sud! Mon grand-père, comme tous les hommes à cette époque, était chasseur, pêcheur, cueilleur. Ils n’avaient pas le choix, le taux de mortalité était immense… Prends toi ça dans les dents « pôvre » rigolo que je suis. Et oui à cette époque, les eskimos avaient la vie rude, leur vie ne dépendait que de leur chasse… Le vieux Lars nous amène, sur une dalle, ici avant c’était sa maison où il est né. Derrière, juste en haut de la butte, son père et sa mère reposent au cimetière… Quand je demande à Pilunnguag ce qu’elle voudra faire plus tard, là aussi elle me scotche. Plus tard, je veux donner de mon meilleur… Waouh, 18 ans à peine… Puis elle poursuit sur son fiancé qui en ce moment se montre très fort pour elle, car dans le tsunami au nord d’Uummanaq, c’est sa famille qui a disparu. Elle tourne la tête pour fuir mon regard, je suis touché. Son jeune frère Miki lui, est un jeune de maintenant, lui son truc sera d’ouvrir un restaurant à Ilulissat pour les touristes. Loin de sa sœur, il me demande si je sais que la mort de Mickaël Jackson est un fake, en vérité il vit caché. Je lui demande d’où vient cette info, il me répond : Facebook. Mon Dieu, quelle fossé entre ce gamin et son grand-père, en moins d’un siècle, ce peuple est passé de la survie à notre monde virtuel…
Ce matin, je remet le panneau solaire 65 wts en fonction, zut et triple zut il ne marche pas de nouveau. Je me prends la tête, puis à un moment, je baisse la garde, la journée est belle et ce n’est pas la foutue technologie qui va me pourrir ce moment. Je vais bien trouver le temps de réparer, sinon d’ici 10 jours, plus de journal de bord, mon PC a des batteries que seul ce panneau peut charger. Pour le reste, le petit de 25wts suffit largement. Donc, me voilà parti en exploration. Là, sur ma carte à 4km, se trouve un fjord dans lequel se jette une rivière, au dessus une série de lacs, Jo Zef me souffle que quelques truites pourraient s’y cacher. J’ai toujours la boule au ventre de laisser tout mon bivouac seul et de partir pour la journée, mais le coin est protégé et j’ai tout bloqué au cas où encore un gros coup de vent passerait dessus. Au bout du fjord somptueux, deux bateaux au mouillage, des tentes sur la plage. Là j’ai la réponse, c’est un coin à truites. Des gamins courent vers moi à mon arrivée, des moucherons par milliards, des nuages entiers, eux bien sûr ne portent pas de moustiquaire ! Un aluu réglementaire et sans perdre de temps, je prends une sente pour trouver enfin le premier lac. Le même décor que si on était dans les Alpes à 3000 m d’altitude, à la différence qu’ici on est en bord de mer. Au premier lancer, une truite, une deuxième, une troisième… Et dire que je ne suis pas un bon pêcheur ! Le lac regorge de poissons et pour le bonheur des groenlandais, ces lieux sont le garde manger d’un hiver long et rigoureux…
En milieu d’après midi, je suis de retour au village abandonné, seul au monde, personne, même pas le vent. Mon bidon de 5 litres est plein. Dans la vieille cabane que je squatte comme coin cuisine, je m’improvise un coin douche et laverie… Ce soir au menu crêpes aux truites mais sans les crêpes !!!
Demain, comme chaque lundi, on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à 12h40.
A pluche