Les baleines de la baie de Disko
30 août 2017Etre charpentier ici est un métier certes, mais qui reste secondaire. Non loin de la maison, une salle communale est en plein travaux, Silva le chef de chantier est un type super qui a toujours le sourire aux lèvres. Chaque matin, avec ses apprentis, il vient d’Ilulissat par la mer avec sa propre embarcation. La pluie ne lui facilite pas la tâche mais ici ils en ont vu d’autres. Ce matin, malgré un temps très chargé, on le voit débarquer, pas d’embarras avec les poignées de main et tout le reste, un « bon » Aluu suffit. La nouvelle couverture de la maison communale avance pas à pas mais je sens qu’il a envie de me dire quelque chose. Hier soir en rentrant chez lui, il a croisé la route d’un puisi (phoque), mauvais karma pour le pinnipède. Son assistant s’empresse de rajouter : avec une seule balle… Voilà que pour plusieurs jours son repas du soir sera assuré. La vie ici est un déroulé de saison, chaque époque apporte sa « friandise » !
Le baro est encore bien bas mais rester en mode pantoufles n’est pas trop le genre de la cabane bleue. Ce matin, j’ai retrouvé avec joie les outils pour jouer avec du plâtre. Les fissures dues aux années commencent doucement à disparaître, mais là-bas au loin nous savons qu’elles sont là. Après le déjeuner, nous enfilons nos habits grand-froid pour reprendre la mer. Au sud, direction que nous prenons, le ciel est de plomb, nous estimons avoir une fenêtre météo de peut-être 3h, nous la saisissons. Au large du fjord d’Ilulissat, nous contournons des icebergs immenses, au sud de ce déversoir gigantesque nous stoppons le moteur. Ni une, ni deux, maman et petit soufflent en surface, notre émotion est au plus haut point, la mère semble tranquille, nous laissant approcher à moins de 20 m. D’un œil, je surveille les cétacés, mais de l’autre ce sont les immeubles de glaces qui nous entourent qui me demandent toute mon attention, en se brisant ils nous engloutiraient. Nous tentons d’anticiper, où sortiront-elles de nouveau ?
Puis le grain s’approche, il est temps de rentrer, la mer grossit, les vagues se forment, la pluie ne me permet pas une bonne vision, les icebergs sont très facile à repérer mais le grand danger vient des petits glaçons qui pourraient déchirer la coque de notre vieux Poca. En zigzag, nous trouvons la passe d’Oqaatsut, le vent se renforce, la pluie nous inonde, ce n’est pas bien grave nous avons vu ce que nous voulions voir, dame baleine et son rejeton, nous ont comblés. Ce soir, le vent du sud se déchaine, la pluie est diluvienne, au chaud dans la cabane nous apprécions ce froid polaire qui rend les Hommes plus humbles.
A pluche
L’hiver à petits pas
29 août 2017Dans l’une de ses chansons, Jacques Brel disait : Ce n’est pas encore l’hiver mais ce n’est plus l’été… Brouillard, crachin, et brise glaciale, le Groenland prend doucement un autre rythme, une autre couleur, d’autres histoires vont naître. Grâce au bateau prêté par notre marin polaire croisé, nous pouvons continuer à explorer les alentours en prêtant moins attention aux vents contraires. Malgré de multiples couches, le froid est pénétrant, mais laissons aux autres les gémissements, ici la nature est génératrice d’émerveillements faisant oublier les détails de quelques degrés de plus ou de moins.
La brise d’est se transforme en coup de vent, le petit bateau frappe de l’étrave mais notre curiosité est trop forte, la carte, bien qu’imprécise, nous laisse l’espoir de découvrir un lac. Un bloc minéral assez haut nous permet de débarquer sur des dalles glissantes à souhait, mais notre embarcation est en eau saine et ça c’est le plus important. Dans mon sac à dos étanche rien n’a changé, téléphone satellite chargé à bloc, balise satellite, thermos d’eau chaude, barres de céréales et quelques bricoles de survie, ici on est seul au monde, la moindre broutille peut se transformer en drame.
Le lac est bien là devant nous, juste derrière un fjord où gémissent des icebergs prisonniers des vents du
sud, eux n’auront pas la chance d’entreprendre leur grand voyage, au bout de quelques explosions ils ne resteront qu’un souvenir d’un été difficile. Mon lancer est en place mais les truites arctiques, si nombreuses il y a
encore quelques jours, ont dû repartir en mer, ma cuillère est la seule à rider le calme de cette masse d’eau douce.
Un silence impressionnant nous rend encore plus petit, cela devient une sacrée habitude, pourquoi s’en lasser ?Bredouilles de protéines mais la besace de l’âme remplie d’énergie, nous reprenons la mer. La carte ne donne rien de précis mais un coin étonnamment plat attire mon attention. A pas de loup, nous nous approchons d’une passe, l’échancrure est trop tentante, nous nous y engouffrons. Waouh, encore une autre surprise, une lagune immense abritée de tous les vents me fait rêver, là un beau voilier pourrait jeter l’ancre. Je note dans mon disque dur la façon de la pénétrer, on ne sait jamais !
A marée montante, le courant est fort, mais fini les coups de pagaies, un coup de 4 temps et nous en sortons. Bien que la mer soit couverte de glace, je laisse
la barre à Karin qui doit retrouver dans le brouillard la route vers Oqaatsut. Concentrée et debout, elle zigzague, les bouts de glaçons explosés sont très dangereux pour un petit bateau, la lourde brume rend la navigation encore plus compliquée. Le froid s’invite à bord, l’humidité nous transperce, il est temps de retrouver la maison chauffée au pétrole.
Mais ici, il se passe toujours quelque chose. Sur la côte, une immense fumée m’inquiète, pas de village, pas de bateau, mais une cabane d’où semblent venir ces fumeroles. Reprenant la direction à fond les manettes, l’intrigue m’oblige à ouvrir les gaz au maximum. A deux encablures de notre inquiétude, des eskimos ont allumé de la camarine pour faire fumer
leurs prises de mer. Du flétan ou de la morue sont en train de sécher. Ce n’est pas leur cabane qui brûle, ouf. Un lointain aluu et nous reprenons le chemin du village. Le visage de Karin est congelé mais elle doit être concentrée, barrer un bateau dans ces conditions demande beaucoup, beaucoup d’attention.
De retour à la cabane, nous encerclons le poêle qui redonne vie à nos mains… Le brouillard, le crachin, la glace, sont devenus nos alliés : ici tu n’es rien et c’est pour ça qu’ils sont là, juste pour te le
rappeler…
Rencontres polaires
29 août 2017Balade sur les hauteurs d’Oqaatsut
27 août 2017Entre myrtilles et mastic
26 août 2017Après ces quelques jours de mer, d’un commun accord nous consacrons une partie de cette journée à la maison. La tâche est infinie mais quelques travaux ont la priorité. Les fenêtres sont doubles, une partie ouvre dehors et l’autre dedans. Même vieilles de 60 ans, elles sont prévues pour le grand froid, mais avec l’âge, certains ajustements ont été pratiqués par des bricoleurs du dimanche. J’entreprends la réfection des joints des vitres qui ont été rafistolés avec un mélange de plâtre, loin du mastic de l’époque à base d’huile de lin. Sans rien, je m’improvise un chevalet pour tenter l’opération, la première fenêtre est prête pour affronter les -40° du prochain hiver, le joint de Sikaflex semble parfait. De son côté, Karin se lance toute seule dans le décrassage du cagibi qui a dû permettre le stockage de viande de phoque et de morue, l’odeur avec la température positive est des plus odorantes !
Mais par moments, nous nous posons pour admirer en silence l’océan. Les icebergs venant d’Ilulissat sont en grand nombre, la brise de nord-ouest malgré un courant de sud nous offre un spectacle merveilleux. Profitant de notre activité qui nous fixe au même endroit, nous pouvons noter la progression des icebergs. Même contre le vent ils arrivent à être poussés par un sacré courant de sud. Je me souviens d’un pauvre kayakiste entêté qui s’obstinait à naviguer contre ces monstres liquides ! En milieu d’après-midi, nous rangeons nos outils pour la récolte du diner. Ce sera bœuf musqué en entrecôte, il nous attend patiemment pour être grillé au barbecue ce soir. Il ne nous reste plus qu’à trouver des bolets, des cèpes, puis de remplir une boite en plastique de myrtilles. Derrière la maison, le sentier qui mène à Ilulissat en 23km semble le bon endroit pour nos besoins, mais tout n’est pas si simple. Je ne peux parler de choses que je ne connais pas, le réchauffement climatique est une histoire de spécialistes, mais ici, cet été, les choses n’ont pas été habituelles. Le mois de juin a été le plus froid depuis que la météo s’intéresse au Groenland, 6 pêcheurs de la région ont trouvé la mort. Le tsunami d’Uummanaq est peu expliqué, tremblement de terre, recul du permagel, éboulement naturel, personne ne semble en trancher l’origine. En juillet, le vent a été sacrément fort et le mois d’août s’est vu pluvieux de manière inédite. Donc, pour en revenir à notre cueillette, cette année les myrtilles sont rares. Mais cela ne nous gène pas trop, le ramassage est
quand même suffisant pour nous deux, les mascottes seront mises au régime !
En grimpant derrière le village, la baie de Disko s’offre à nous à l’infini, des centaines d’icebergs prennent la route du large pour leur long voyage qui leur fera faire une route de 6 ans avant de venir mourir au large de Terre Neuve. Tout d’abord, ils grimperont jusqu’au cul de sac de la grande île d’Ellesmere pour ensuite être remis sur un courant nord-sud le long de l’île de Baffin. Nous, là haut, ces mastodontes nous impressionnent toujours autant, comment s’en lasser ?
Tout au long de la journée, les chiots du village encore en liberté en profitent pour grappiller quelques bricoles à se mettre sous les crocs, je soupçonne Karin de craquer à leur regard de fripouilles malodorantes. Quant aux bruants lapons, ils se sont adaptés et commencent à becqueter les restes de pain dur, d’ici quelques jours, ils reprendront leur long voyage vers le sud, l’hiver est en train de s’installer doucement…
Le week-end, le village est encore plus calme, on entendrait presque la respiration des mascottes qui attendent leur pitance !!!
Aller et retour polaire!
25 août 2017Aluu, nous revoilou,
Le kayak prêté par l’agence 66°Nord a repris sa place pour l’hiver, un grand merci à Ben et Quentin pour leur confiance. Comme convenu, nous devions lui donner un nom. Ce sera Malik, qui veut dire la vague. Son comportement dans le vent nous a agréablement surpris, il mérite bien ce patronyme. Partis chacun sur son embarcation, nous sommes revenus avec Immaqa monté pour l’occasion en double. La glace nous a demandé beaucoup d’attention et le froid nous a accompagné jusqu’au bout. L’été est parti, la température est basse et si le vent se met dans le nez, le corps se retrouve congelé. Karin et moi-même, ce matin, avons dégustés. La brise de nord-ouest nous a donné encore une leçon polaire. Ma belle allemande ne disait rien mais ses silences en disaient long. De mon côté, mes mains souffraient aussi mais nous n’avions pas le choix, il nous fallait rentrer à la maison. Tout en pagayant à un bon rythme, le fait d’être en double nous permettait d’échanger et le sujet du matin fut la gestion du froid ! Presque une question du BAC philo. Le froid, la douleur, la peine sont des informations, à nous d’en faire ce que nous voulons. Si l’on se laisse aller, cette information prendra le dessus sur tout le reste, si on la classe dans la case des «choses secondaires», elle ne pourra plus nous submerger. Au milieu de gros icebergs, je proposais à Karin de visualiser ses mains qui rentraient dans un bain tiède, de percevoir la chaleur lui rendre leurs mouvements, de sentir de nouveau le sang qui afflue dans les extrémités… Au bout de quelques minutes, placébo peut-être, elle n’avait plus froid. Tout ceci n’est qu’un simple exercice de changement de données. Un événement peut vous décupler les forces, comme il peut vous mettre au plus bas. Le travail mental, jusqu’à une certaine limite, peut vraiment faire beaucoup…
Au bout de 4 heures, nous retrouvons avec joie la paix du petit village d’Oqaatsut, les quelques courses que nous avons pu embarquer vont donner un air de fête aux jours suivants. La routine eskimo nous plait bien. Il faut aller chercher de la bonne glace pour le «frigo» et l’eau de table. La douche municipale ferme le week-end et avant 17 heures, ma belle ira se laver les cheveux qui devront sécher au vent polaire. Les 42 villageois nous saluent en silence à notre passage, on sent beaucoup de respect et de complicité, l’exubérance n’a pas de place ici… Le chauffage à pétrole est rallumé, les 4 degrés à l’abri du vent rendent l’atmosphère du soir piquante. Même si la cabane est en chantier, il y fait bon vivre…
A pluche
Déménagement
24 août 2017En Méditerranée, le vent du sud signifie chaleur humide, ici cela prend tout un autre sens. Le fjord d’Ilulissat, classé patrimoine de l’Unesco est le point qui déverse le plus d’icebergs dans l’hémisphère nord et comme le port est situé au nord géographique de cet endroit, quand le vent du sud est insistant comme depuis quelques jours, il le bloque. A l’infini vers le midi, des centaines de glaçons ont mis l’horizon au piquet, la navigation va devenir très, très difficile. Le programme de demain sera de ramener le kayak de Karin, là bas au milieu des glaces, mais la région nous a appris à ne penser qu’à l’instant présent…
La pluie n’a pas cessé, rendant le village triste et froid, mais juste en face de nous, dans une cabane foncée, c’est le grand chambardement, notre copain Steen, déménage ! Ici, pas de société spécialisée, pas de carton numéroté, la distance entre les deux maisons est de 200 m alors de bons sacs poubelles feront bien l’affaire. Nous nous proposons pour apporter un peu de main d’œuvre, le travail de fourmi peut commencer. Le crachin nous accompagne, à chaque entrée dans l’une des deux maisons, on se déchausse pour récupérer nos ballots et repartir dans l’autre sens… La bonne humeur nous fait oublier ce temps pourri. Les chiens, eux, bien qu’enchaînés, semblent retrouver un peu d’énergie, la température de la semaine dernière les avait mis amorphes, le petit 0° de ce matin leur donne du baume au cœur.
Finalement, autour d’un café fumant, nous reprenons notre souffle. Steen parle anglais ce qui facilite l’échange. Je lui demande bien sûr ce qu’il pense de demain, si la glace va nous laisser passer, sans mot, sourire en coin, il lève les yeux au ciel, ce qui signifie que ce sera bon, Immaqa (peut- être)…
Le vent du sud se renforce, les icebergs éclatent à n’en plus finir, la côte exposée du village est recouverte de débris d’icebergs, c’est une belle opportunité pour ramener une belle réserve de glace qui sera notre eau de table. Sur un gros glaçon, je laisse Karin manipuler le pic,
d’elle-même, elle va découvrir le secret de la bonne glace. Elle doit faire un bruit sec à chaque coup de « tok », sa couleur doit être bleu turquoise, la langue groenlandaise utilise plus de 50 mots pour le mot glace…
La journée semble s’envoler, pourtant nous n’avons pas fait grand-chose, la quiétude est incroyable, le silence est indescriptible, la vie au village d’Oqaatsut est de plus en plus facile, sereine, comme si nous avions
toujours vécu ici. Le bouquin de langue groenlandaise, est mon livre de chevet, pas à pas cela rentre mais de bleu que c’est compliqué… A pluche
En mode exploration
23 août 2017La carte indique des lacs à portée de prothèse, l’envie d’exploration nous reprend de plus belle. Les dernières pluies ont rendu la toundra spongieuse, il nous semble marcher sur des literies de matelas épais. Les moustiques sont de retour mais en quantité négligeable, certainement leur dernier quart avant une mort certaine, le froid est sur le pas de leur porte. Un torrent nous sert de guide pour nous mener au premier lac, une impressionnante cascade l’alimente, de l’autre côté bien à l’est, d’autres lacs le rejoignent. Pas une route, pas un sentier, pas une cabane, l’homme une fois de plus ici, n’est que de passage. Mais nous ne voulons pas en rester là, d’autres montagnes nous donnent envie de voir ce qu’il y a derrière. Des lacs à l’infini, des vallées vierges à n’en plus finir. Des idées de rando guidées me viennent en tête, pourquoi ne pas proposer des
treks natures sauvages pour des valides qui contribueraient, en payant leur participation, à la venue d’amputés dans le coin, une idée à creuser, une de plus !
Vers midi, nous reprenons la mer, le baro a entamé une nouvelle chute, cela nous prédit encore du vent fort et peut-être même de la pluie. Le golfe gigantesque est rempli de gros icebergs, toute la nuit passée, des détonations ont bercé notre sommeil ! Entre des glaçons à apéritif, nous pagayons. Une belle dalle plate nous permet de poser nos kayaks pour les bonnes « nouilles chinoises » party, la marée étant descendante cela nous facilitera la tâche pour reprendre le large. A 400 m de nous, deux pauvres pêcheurs tentent de pousser un gros glaçon qui menace leur filet à morues. Moteur enclenché à fond, ils arrivent à sauver leur outil de travail, une opération remarquable qui démontre une fois de plus la difficulté pour survivre ici. Tout doucement, nous nous approchons sans les déranger, leur madrague est pleine à ras bord, à la main, ils ramènent leur butin, un effort de gladiateur. Leur embarcation est minuscule, le poids du filet donne de la gîte à la barque, bien sûr ils n’ont pas de gilet de sauvetage et aucun d’eux ne sait nager, mais ici c’est comme ça…
Nous reprenons la route vers le sud. Le baro est toujours en chute libre, nous décidons de rejoindre Oqaatsut, le vent se renforce, la pluie s’installe, ce soir nous retrouvons avec joie la cabane…
Cap des courants contraires
21 août 2017Le ressac cette nuit est venu nous expliquer la vie du large, la mise à l’eau va être compliquée. Le kayak de Karin est très stable en mer mais beaucoup moins pour s’enfiler dans l’hiloire. L’exercice de cirque va donner le tempo d’une journée de mer. Un bon clapot nous prend à froid, la brise de nord semble établie à 10nds et tout autour de nous, les montagnes sont blanches de neige de manière incroyable pour la saison. Pas plus de 4° à l’abri du vent, avec une mer à la même température, la faute serait impardonnable. Le courant est dans le sens du vent mais là-bas au cap, tout semble différent, la mer est désordonnée, nos embarcations sont malmenées, je me sens énormément coupable d’engager Karin dans cette machine à laver en mode essoreuse. Nous sommes côte à côte, je la surveille d’un œil, son bateau part au surf, elle arrive à garder le cap, son expérience de mer est un gage de sécurité supplémentaire. L’océan en région polaire est très peu salé, il manque de la densité à la teneur en sel de la mer pour l’écraser, nous sommes ballotés dans tous les sens. Je suis en mode commando, je prie tous les saints pour que ce terrible cap soit vite passé, être à deux me rend encore plus tendu, sans moi je sais qu’elle ne serait jamais là ! Finalement nous passons sans mal, il nous faut reprendre des forces. Pour me rassurer, avec son bel accent munichois, elle me dit : Tu sais, pendant 30 ans j’ai fait plonger des touristes au large de Porto-Vecchio dans toutes conditions de mer, aujourd’hui c’est facile, je n’ai que moi à gérer !
Sur cette vérité, nous essayons de trouver un coin sans ressac pour la pause café. Au fond d’un fjord, un accès plus ou moins convenable semble pas mal pour poser nos kayaks. La marée est descendante, il faudra être prudent avec la nature du fond et là où nous sommes, ce sont des amas de gros cailloux qui nous surveillent… Le coin est à l’ombre, j’ai les mains qui me font terriblement mal, elles sont anesthésiées par le froid et le sang reprend son flux au bout de mes phalanges qui semblent exploser… A l’abri du vent et au soleil, on se refait une santé.
En grimpant les cailloux, nous avons remarqué au côté nord de la baie, un bateau solidement amarré, avec une petite tente pas trop loin. Sera-t-elle habitée, y aura-t-il quelqu’un dedans? Nous n’osons pas nous en approcher. Alors que nos cafés fument dans nos bols de thermos, un petit homme tout sourire vient à notre rencontre. Il nous lance le traditionnel kaffimik, et nous voilà invité par un pêcheur. Sans parler, il fait signe à Karin de rentrer dans la tente à l’abri du vent et nous verse un café sucré à volonté. L’échange est basique, mon groenlandais est très faible pour pouvoir échanger correctement mais nous sommes bien ensemble. Ces périodes de pêche seul sont de 10 jours, il pose des palangres appâtées aux ammassat… Puis de sa poche de combinaison de haute mer, il sort avec précaution un iphone, la technologie, même ici a sévi. Les photos s’enchainent, sa mère, sa fille, son village, sa maison… Ses rires nous enchantent, quel beau partage. Ole est un gars de l’océan, son au revoir nous rend nostalgique, la dureté de la mer, même avec la barrière de la langue nous à réunis pour un très beau bout de vie. Non sans difficulté, nous remettons à la mer nos kayaks, le vent maintenant est dans le bon sens, il nous ne restera plus qu’à trouver un beau coin pour le bivouac du soir. Une grosse casserole de moules énormes sera le cadeau final de cette belle journée de mer…
A pluche.
Camp de la pluie
21 août 2017Je ne vais pas vous parler du changement climatique, car ce n’est pas du tout ma «science», mais ce que j’ai remarqué c’est qu’en un claquement de doigt, l’été n’a même pas eu droit à un automne, il a basculé en mode hivernal, constatation du «petit» méditerranéen que je suis ! La pluie ne nous a pas lâchés, le vent du sud a su maintenir le crachin et le froid. Ce matin, entre deux bourrasques, nous avons décidé d’endosser l’habit de Robinson Crusoé, mais qui sera le «Vendredi» de service ?
Alors qu’équipés comme des cosmonautes, nous partions à l’assaut du point culminant de l’île qui frise les 250m quand même, Karin m’interpelle de loin, dame baleine a décidé de jouer la curieuse. Oubliée la rando, nous devenons de simples observateurs. A deux encablures de la rive, elle passe tranquillement sans s’occuper des deux «prisonniers polaires». Sa grâce et sa majesté nous émerveillent, cela fait 2 mois que j’en croise et à chaque fois, je suis aux anges. Comme une plongeuse, nous la suivons aux bulles, elle perce la surface en lâchant son souffle puis elle sonde pour retrouver son univers.
Nous reprenons la route, l’île n’est pas si grande et en quelques enjambées, nous la découvrons. Une cabane en bord de mer nous attire, bien sûr, pas de serrure, notre curiosité est trop forte, nous rentrons. Bien rangée, des petits lits sont superposés, des enfants doivent y passer du bon temps, le coin cuisine est aussi sympa, la photo pieuse bien sûr est en bonne place. Les « qivitoqs » ne pourront pas y séjourner. Puis à flanc de montagne, nous prenons de l’altitude. Dans un pierrier immense, un amas trop régulier nous interpelle, une fois de plus nous trouvons un tombeau des temps passés. Entre deux interstices, 3 crânes reposent, le lichen témoigne de la lointaine époque du décès de ces personnes. L’eskimo se moque du passé, il ne va jamais à la recherche de son histoire et ces tombes isolées resteront à tout jamais des mystères non
élucidés.
La pluie nous rabat au bivouac. Dans l’abside, j’arrive à rôtir les champignons ramassés du matin, les rabats de la tente ont vu sur le large au cas où un gros iceberg pète ou que dame baleine veuille bien repasser. La vie sous tente quand il pleut est un arrêt sur image, le temps
n’existe plus, allongés côte à côte, nous partageons ce présent si atypique. En visualisant notre situation, nous voyons un petit point orange planté au nord d’une île polaire désertique, ici nous sommes «nous», sans fioriture, sans façade, dans ces 3m² habitables à l’abri du blizzard, nos vies se mêlent. Karin me raconte son été, le mien est difficilement racontable mais au bord de la mer de Baffin, nous sommes juste à notre place.
Ce soir encore, la pluie et le vent du sud nous emprisonnent, la houle vient rendre la mise à l’eau difficile, mais demain est trop loin pour que l’on s’en
inquiète.
Rendez-vous lundi 21 à 12h40 sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-
Charles Marcily.