Ca y est le Cabochard est retourné à la mer !
Quel soulagement de le revoir flotter je suis toujours malheureux et inquiet quand il est à terre mais ça lui est nécessaire pour sa survie.
En 1969 Caline et Gilou eurent la bonne idée de faire construire ce pointu (c’est le nom des barques de méditerranée française) il ne pouvait pas choisir mieux comme nom d’armatrice au doux nom et original de Caline.
7 ans plus tard Claudette et William mes parents l’adoptaient mais ils ne savaient pas qu’il allait devenir un membre de la famille Bruno à part entière.
Mon pére partait avec ses copains tous les étés aux îles Lavezzi et puis en 1983 c’était le choix de changer de bateau de prendre plus grand plus costaud pour peut être un grand voyage en mer Rouge, mais voilà la vie est bizzare je devais me retrouver avec un statut d’homme handicapé, le contrat de vente du Cabochard avec un club de plongée était sur le point d’être signé mais mon paternel eu la bonne idée de me le confier pour que je m’en occupe.
Je n’étais pas encore appareillé et les journées me semblaient bien longues, malgré un job d’animateur de radio je devais retrouver un contact avec la vie.
Et voilà le Cabochard m’accepte j’en deviens son matelot et si je ferme les yeux ces 26 ans de complicité me font passer d’un état d’âme à un autre.
Que de rencontres, que d’histoires…
La premiére fois où je m’éloigne de son port d’attache le moteur soudain s’arrête j’ai 19 ans et peu d’expérience, je peste, j’en veux à la terre entière mais j’avais oublié un petit détail un moteur demande souvent du carburant !
Puis ma première traversée entre le continent et la Corse quand je débarque sur l’île de beauté j’embrasse la terre comme avait dû le faire Christophe Colomb en croyant découvrir les indes.
Ensuite mon choix de le prendre comme résidence principale !!!
6m2 ! 365 jours par an !
Puis le désir de partir plus loin plus longtemps.
Gibraltar et l’Atlantique qui accueillent le méditerranen, la remontée du fleuve Guadalquivir jusqu’à Sevilla, le passage par le Maroc tellement deconseillé qui me causera beaucoup d’ennui, les hauts fonds de l’île d’Alboran, l’île de Minorqua pour la st Jean qui restera longtemps gravé dans mon coeur, un pillage de bord en règle en Tunisie et l’obligation de m’échapper en douce.
Le cargo Fénés qui s’encastre dans les rochers des Lavezzi à quelques encablures de notre mouillage.
Un mariage de « raison » pour ne plus naviguer seul et un divorce qui était prévu comme l’est la tempête en hiver.
Une petite fille qui découvre l’antre où vit son père et qui me dit qu’elle ressemble à une maison de poupée.
Des rencontres d’hommes et de femmes incroyablement variés, de ce moine qui aprés 20 ans de prison décide de rentrer dans les ordres pour choisir sa voie et vient se confier pendant plusieurs soirs alors que je suis au mouillage sur l’île des moines de St Honorat.
De ces pêcheurs d’éponges Grecs, aux récolteurs de dattes de mer d’Afrique du nord, des derniers pêcheurs Sardes de corail rouge à la croix de St André, de ses nomades Turcs qui en famille parcourent leurs côtes pour 9 mois de pêche, du détroit de Gibraltar, à celui de Messine, du canal de Corinthe au fleuve Krak en Croatie, des côtes désertes Albanaise pour cause de guerres aux pirates Libyens aux îles Kherkenna qui tentent l’abordage, de mes coups de chevrotines contre des braconniers sans scrupules dans les Lavezzi aux multiples épaves antiques découvertes aux quatre coins du mare nostrum…
Je pars dans ces souvenirs intimes, je suis chanceux je le sais de cette union avec ce petit bateau en bois et notre complicité est devenue fusionnelle.
Tout a un début tout a une fin
La guerre la paix
La vie la mort
La rencontre la séparation
La pluie le beau temps
Donc je sais qu’il y aura une fin avec mon Cabochard mais l’instant présent je le vis à fond et pleinement ;
J’ai retrouvé mon havre de paix et cette solitude qui m’apaise et me donne tellement d’énergie.
Le vent ici me raconte tellement d’histoires, la mer me donne toute sa force, le soleil son énergie, la nuit m’ôte mes doutes, l’orage me prépare au pire.
Oh non mourir ne me fait depuis longtemps plus peur. Souffrir non plus !
Ce bref passage sur terre ne doit pas être gaspillé, vivre pleinement de tout ses sens.
Le soir j’adore faire le silence et écouter la profondeur de la nuit elle me répond à toutes mes questions et c’est grâce à elle que je suis devenu non pas plus fort mais un homme à part entière car je n’ai plus peur de moi même…
A pluche !