Chut Zeus dort encore, le nomade se faufile sans crainte...
Ulysse avait fait un pacte avec Zeus et Eole, nul ne sût le gage de la transaction, mais une outre lui fût remise. Tous les vents y étaient enfermés, mais personne au monde ne devait en savoir le contenu…
Sur son vaisseau, l’équipage de mercenaires avait remarqué depuis plusieurs lunes une panse de brebis cousue bien pleine. Tel le feu brulant le maquis, la rumeur dévorait les esprits. Quel trésor peut-être caché, des pierres précieuses de Nubie, des encens d’Arménie, de l’huile de roche arabique … Les bouches de Bonifacio se devine dans une nuit étoilée, la convoitise a enfanté un monstre, la dague reflète sur l’astre blanc, elle pénètre sans bruit ce sac de trésor caché, des rires d’enfants trop fatigué de ne pouvoir s’encanailler rugissent. Le souffle portant se transforme en bise fraîche, le ciel s’assombrit, la tempête fait rage, le fils d’Homère se sent bien seul devant l’outre flasque flottant au vent, son équipage vient de le trahir…
Les statistiques sont éloquentes Bonifacio détient le titre de zone la plus ventée de Méditerranée.
La radio VHF donne le ton à bord du Cabochard : Appel à tous, appel à tous, ici le CROSS MED en Corse qui va diffuser sur le canal 79 un BMS (bulletin de météo spécial)…
La direction du vent est définie par les 4 points cardinaux et sa force est échelonnée de 1 à 12 en force Beaufort qui entre vous et moi nous vexe un peu nous les corses pays des fromages à caractère. Je m’imagine bien la tête des parisiens loueurs de mer, entendre force « brocciu passu », force « caghju merzu », les pauvres là-haut à la capitale le vent a la force « vache qui rit »…
L’humour est le moteur du marin cynique en quête de vent portant. Depuis la modernisation de la navigation on n’entend plus que des vents de Nord-ouest, Sud-est, Nord nord ouest…
Mais où sont passés tous ses noms si parlants, si chantants, si pleurants ?
Tous les peuples vibrant encore avec la Terre ont donné un nom, une âme, une personnalité à chaque type de vent.
La Corse nommée par les grecques « Kallisté » (la plus belle) a encore gardé ce patrimoine si précieux. Quand je suis avec mes amis pêcheurs, je me sens l’apprenti sorcier de Fantasia : « Tu vois le nuage en os de seiche, quand il se forme en dessous du massif de Cagna en regardant la Sardaigne, la Tramontane va arriver avant midi…
Le chapeau là haut sur la pointe la croix de la Trinité, le Maestrale va nous secouer plusieurs jours… »
A mon tour en quelques mots je vais vous dévoiler des noms de légendes.
U Grecale vient de L’Est et n’est qu’éphémère, il va devenir en une nuit « a Tramontana » (Nord-est) dérangeante. Ici dans les bouches on dit qu’il peut rendre fou un homme en une journée de pêche, la mer est trouble et cassante, les vagues sont courtes et fouillis, mais surtout un courant traversier rend le travail difficile.
U Siroccu (Sud-est), c’est un méridional venu des contrées de peuples sous la dictature de quelques visqueux généraux. Comme ses despotes, il est violent, imprévisible, la pluie qu’il amène est rouge, le sang versé par des rêveurs de liberté peut-être. C’est un traitre dévastateur, il ne connaît pas la convention de Genève, en 1968 des milliers de familles ont pleuré des disparus, de la Sicile aux côtes ligures, la baie de Naples en porte encore les stigmates.
U Libeccu (Sud-ouest) le roi des bouches, vent dominant il tord tous les estivaux en quête de récits marins, Nous le connaissons bien c’est un membre de la famille, sa houle longue est familière, un lève tard, jusqu’à midi il soupire d’une après-midi musclée, il va se régaler à faire vomir les « pumataghji » (expression corse qui définit les touristes « neufs » blancs le matin se retrouvant le soir, rouges comme des pumati (tomates) »
U Punente (Ouest) un bisexuel, entre la féminité du sud et la masculinité du nord il est éphémère et choisira vite fait le camp des hommes du nord.
U Maestrale (Nord-ouest), c’est l’intellectuel de la rose des vents, il ne vient qu’accompagné de la règle de 3. Les savants de la météo auront leur théorie, nous pauvres habitants de la mer nous savons qu’il vient pour 3, 6, 9 voir 12 jours l’hiver. Les amarres sont rêches, le pont est craquant et froid. La houle semble venir de l’autre bout du monde tellement elle est longue et dure. Il est loyal, on sait qu’il ne tournera pas sa veste et on peut travailler avec lui.
Puis les deux romantiques, ils bercent les enfants en apprentissage du métier noble de la mer. U Montese et U Marinu. Dans la période estivale il y a 2, voire 3 semaines avec un gros anticyclone calé sur le mare nostrum, les brises rafraîchissent les paillotes où l’on recoud les trémailles, où l’on appâte les palangres, où l’on prépare « l’Aziminu » (Bouillabaisse où en plus des poissons de roches classiques on y rajoute : langouste, cigale, poulpe, calamar, st Pierre, Denti. Ne cherchez pas ce met dans les restaurants il n’existe que dans les familles pour des grands événements. Les stagiaires Bout de vie 2009 ont eu ce privilège).
Donc, ces deux amis se partagent la journée, u Montese descend des vallées le matin et les anciens qui travaillaient à la voile latine savaient l’apprécier, vers midi il part à la sieste et U Marinu vent du large prend la relève ramenant les felouques ajacciennes pour troquer la pêche du jour.
Mes voyages au bout du monde m’ont fait rencontrer des nomades du vent et de la terre et ils m’ont présenté:
Le Piteraq, violent, il balaie l’Inlandsis du Groenland
Le Sharav, dans son souffle sec il sable le désert Negev en Israël
Le Williwaw, des immenses glaciers, il lâche ses airs cabatiques sur le détroit de Magellan en Patagonie
L’Unghalak , briseur de nomade en kayak, le Nord-ouest dans le grand Nord canadien
Le Canterbury Northwester, vent de Nord-ouest de Nouvelle-Zélande, il tourne à l’envers de ses cousins de l’hémisphère nord, la force de Coriolis inversée sans doute…
A partir d’aujourd’hui quand vous sentirez une brise sur votre visage, humez là, si elle est froide, humide, tiède, sèche elle vous dira d’où elle vient et vous racontera de belles légendes.
Jo Zef rajoute que quand sa pile de crêpes commence à s’envoler, il est temps de rentrer au mouillage !