Vendredi,Le jour n’est qu’à son balbutiement, je me connecte au « monde », en allumant mon téléphone, un appel brise la quiétude du bord, l’écran affiche un 0088… synonyme de contact par une connexion satellite. Emmanuel Coindre, rameur d’océan m’appelle, l’Indien a bien voulu lui accorder une grâce, devant lui, l’île de la Réunion, cela fait 57 jours qu’il est parti de l’Australie, il devient le premier au monde à avoir ramé les trois océans. L’un de ses mécènes m’offre un billet d’avion pour l’archipel des Mascareignes, mon vol est prévu dans quelques heures. Je suis encore en Corse et il me sera pratiquement impossible de rejoindre l’aéroport de Roissy en temps voulu, mais ce qui penche dans la balance c’est que je me suis engagé à me rendre samedi soir à une soirée caritative à Porto-Vecchio. Une manière de récolter des fonds, pour permettre aux enfants d’Isolette, hospitalisée sur le continent, de rejoindre régulièrement leur maman victime d’un très grave accident de la route… Ma sortie vélo, aux airs de Laponie méditerranéenne, me remettra de la décision de rester en Corse, la pluie, le vent, ont le pouvoir d’épousseter mes idées parfois floues. Samedi matin je prends la direction de mon camp, je vais poursuivre mes entraînements en pleine nature, me gaver d’ions négatifs, promis, juré, à 16h je rentre ! La journée se passe à merveille, l’âme d’enfant, là-bas, prend toute sa place, aucun Homme pour juger. Précis comme un valaisan, je rejoins mon véhicule à l’heure ; depuis quelques jours les orages ont largement inondés le massif montagneux. Le sol est gorgé d’eau et gras à souhait, les roues patinent, elles n’accrochent plus, tel une savonnette, elles creusent une belle tranchée ! Un peu surpris de cet imprévu, il m’en faut plus pour m’inquiéter, je sais que je ne dois compter que sur moi, la piste n’est que très rarement empruntée et il est improbable qu’en fin d’après-midi quelques 4X4 puissent roder ; mais je regorge de plan B C et D ! J’arrime un tire fort à un arbre qui pour pourra me sortir de cette tranchée boueuse et commence mon travail de gladiateur, je pompe énergiquement mais mon outil gadget, montre des signes de faiblesse. Le réa, aux à-coups de mon pompage, se déforme, je perds confiance en ma réussite en temps imparti. 18h, le soleil a disparu depuis un petit moment, je dois prendre une décision, si Véro n’a pas de mes nouvelles, elle s’inquiétera, mais ici pas de réseau ! Je bois une grosse gorgé d’eau me glisse une barre de céréale dans ma poche latérale tout en contrôlant la présence de mon briquet, de mon couteau et pars à la première maison susceptible de détenir un téléphone fixe, 5km de marche forcée, m’attendent ! Je sais que je ne dois pas courir mon moignon ne supporterait pas cet exercice, alors je m’invente une cadence aux pas très rapide, je souffle, me concentrant sur la piste qui s’obscurcit de plus en plus, je n’ai pas de frontale avec moi, puisque ce n’était qu’une petite journée « pépère » ! Des bruits sourds me confirment que la forêt est infestée de sangliers mais je n’ai pas le temps de les taquiner, il faut avancer ! 37’ après, je frappe à la porte d’une vieille demeure en pierre de granit, nous nous connaissons depuis peu sans trop avoir approfondi nos états d’âmes, ici le coin est rude, les protocoles urbains ne sont pas tolérés. Dominique m’offre un verre d’eau que je refuse, je dois prévenir que je suis vivant, c’est tout, mais qu’à contre –cœur il y a peu de chance que je sois présent à la soirée. Mon hôte tente de trouver un gros 4X4 pour me décoller de mon piège de boue mais personne ne répond à l’appel, me résignant que ce soir je dormirai à la belle étoile. Le vieil homme ne me demande même pas si je veux rester chez lui, il a déjà compris avec qui il avait à faire. Dans son vieux fourgon rouillé entre fusils et cartouches il reprend courageusement la piste pour me ramener aux pieds du « chemin des Dames », au loin, sous une belle chênaie, mon véhicule est en mauvaise posture, la bataille fut rude, les tranchées, aux lueurs des étoiles, semblent encore plus imposantes. Connaissant la forêt par cœur, à tâtons je tente de rejoindre mon camp perdu, sans lumière je deviens un membre entier de la sylve, chaque pas est une victoire, la lune est absente, la lueur artificielle n’est que très peu tolérée. Un feu prend de sa superbe, le froid me pénètre, je suis peiné de cette issue, mais s’il en est ainsi c’est que c’était mon destin, un bol de soupe brulante et une poignée de riz seront le banquet de ce soir. En bas, là-bas, aux pays des Hommes, le paraître a disparu pour un soir et plusieurs centaines de personnes se sont réunis en solidarité pour la famille d’Isolette. Enfouis dans le fond de mon duvet, je me promets qu’en contre parti, dés que les médecins lui donneront le feu vert, je la guiderai jusqu’au camp des solitudes. Si ses jambes ne marcheront pas encore il y aura d’autres solutions, si les médecins seront craintifs on passera au feu orange. Pendant que Manu traversait l’océan Indien en ramant, Isolette s’accrochait pour survivre, tout les deux, moi, vous peut-être ? savons à quel point le présent est un cadeau…
Pour toi Isolette: Les hommes, les Femmes sont des continents qui se transforment après un drame en une île déserte, après un long périple je suis devenu une presqu’ile.
Toujours fidéle à vous même, bravo.
Vous nous faites rêver et vous avez un cœur en or.
C est tres beau
La photo est sublime !
Tu nous donnes tant 🙂
Merci et bisous