Le voyage immobile…

12 mai 2013 par Frank Laisser une réponse »
Ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous qui passons...

Ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous qui passons...

Je me souviens de cette conversation intime avec Sylvain Tesson, sa vie d’ermite sur le bord du lac Baïkal l’a à tout jamais transformé. Captant ses paroles, j’essayais avec mes propres images de référence de m’y transposer. Je ne suis pas au fin fond d’une région sibérienne mais dans une rare vallée corse encore et totalement isolée. Pas de route, pas de réseau ni hameau et encore moins de sentier. Ce coin paumé tant rêvé je l’ai enfin trouvé, ma cabane est une tente lapone, le torrent se moque bien de mes états d’âme, il suit son cours sans jamais quitter son lit. Cette histoire m’inspire, vivre le voyage immobile, un défi des plus fou à réaliser. Comme Sylvain, j’ai parcouru le monde sans jamais m’arrêter, pourquoi l’aurais-je fait ; il y a tellement de choses à voir. Mais vous connaissez ma devise, quand deux chemins se présentent à moi je choisis toujours le plus difficile. Véro m’a accompagné jusqu’au bout de la piste, je la vois s’éloigner en 4X4, je dois prendre le maquis, retrouver une sente qui me mènera au départ d’un début de voyage immobile. Ce soir je n’aurai pas à pointer sur la carte ma longitude et latitude, pas d’immense feu à allumer pour éloigner les prédateurs, ce soir je dois laisser le vide m’envahir. Une panique, me prend, il faut que je bouge, il faut que je consomme du kilojoule, la tétraplégie complète me bouleverse. Je pourrai aller gravir la montagne d’en face, pas de piste que des ronces et des murs de granit, je pourrai monter quelques murailles de pierres sèches, des pièces dépassant le quintal me défient du regard, pourtant il faut que je commence mon voyage. Une sorte de mise à mort de mon vivant ! Le passé prend du volume, je peste, c’est moi qui aurais dû chanter : Non rien de rien, non je ne regrette rien. Si un piaf sifflote devant ma fronde je le plume ! Nous sommes 7 milliards et chacun fourmille ; tout le monde court contre le temps, mais lui, il reste c’est nous qui passons. Je suis mal, je suis en manque, je veux ma dose, je dois faire un truc, bouger quoi. Aucune chance de me confier au téléphone, pas de 3G pour un simple mail, la connexion n’est qu’avec le maître des lieux ; l’écorché vif qui sommeille en moi. Je me dépouille, je dois tenter le passage de ces rapides du temps qui passe. La vie est une roue, un cercle souvent repris par les religions  de « l’omo-speedus », je ne veux pas, je ne dois pas, et si je tentais la spirale, celle qui monte sans fin. Je dois devenir dingue, le bruit du torrent me berce, m’envoute peut-être, je ne sais plus si je dois continuer ou arrêter. Le compte à rebours, lui ne cesse jamais. Un jeu cruel serait qu’un génie nous dépose notre avis de décès daté, les règles du jeu seraient faussées, la fin du voyage annoncé. Ici au pays de l’immobilisme, il faut qu’équilibre trouve sa place, le mot me plait il est composé de libre, mais que veut bien dire « équi » ? Equi tation, équi valent, « et qui » tu es toi, pour m’embrouiller autant ? L’écran, anesthésie le tête en l’air, plus de place au vide, on vit à cran, la réflexion est dans le couloir de la mort, peine capitale pour qui ose la pause. Un seul maux, pourquoi ! Pourquoi, quoi ? Mais pourquoi tout, c’est si simple. Quand nous naissons nous sommes condamner à mourir, le mot définitif devrait être amputé du dictionnaire, tout est éphémère. Je ne trouve plus mon chemin, je m’égare, le voyage immobile demande une grande concentration, tout est là pour me distraire. Le mal rode, il veut ma peau je le sais, je vois «  pourquoi » en tenue camouflée, je les entends ricaner : On le prend par surprise mais il nous le faut vivant. Puis le temps me sourit, je trouve une oreille sérieuse à qui me confier, tient le bruit du torrent n’a plus la même mélodie. Mon corps est statique mais chose incroyable, mon esprit le devient aussi…

Cinq jours ont passé, c’est déjà du passé, je ne me suis pas laissé dépasser, s’en est assez. J’ai compris je ne suis pas entrainé pour ce type de voyage, il va falloir bosser, travailler l’isolement, habillé un peu l’écorché vif et retenter le voyage du temps qui passe…

Je vais quitter provisoirement la spirale pour rentrer de nouveau dans le cercle, ne me demandez pas de suivre le flux du courant c’est assez compliqué de tourner en rond !

6 commentaires

  1. vero2 dit :

    On se demandait avec Yves, ce que tu devenais!!! Et 5 min après, tu publies!!! Quelle synchronisation….

  2. Jean-Marc dit :

    Le temps et l’espace se combinent pour donner un théâtre dans lequel la vie va jouer ses représentations… La vie est mouvement ; bien qu’immobile le temps en fixe les limites.

    J’emprunte à Lamartine (Le Lac) les vers qui suivent et qui pourraient bien nourrir une méditation, autre voyage immobile…

    Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
    Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
    Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
    Jeter l’ancre un seul jour ?
    ————————————————————-
    Ô temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,
    Suspendez votre cours!
    Laissez nous savourer les rapides délices
    Des plus beaux de nos jours!
    ————————————————————-
    « Mais je demande en vain quelques moments encore,
    Le temps m’échappe et fuit ;
    Je dis à cette nuit : « Sois plus lente » ; et l’aurore
    Va dissiper la nuit.
    ————————————————————-
    « Aimons donc, aimons donc! de l’heure fugitive,
    Hâtons-nous, jouissons !
    L’homme n’a point de port, le temps n’a point de
    rive ;
    Il coule, et nous passons ! »
    ————————————————————-
    Eternité, néant, passé, sombres abîmes,
    Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
    Parlez : nous rendrez vous ces extases sublimes
    Que vous nous ravissez ? »

    ————–

    Allons bon, il est l’heure d’aller dormir ; les étoiles sont là, qui nous parlent nuit après nuit, d’un temps qui déjà n’existe plus…

    Bonne nuit…
    J.M

  3. Jean dit :

    Merci de ses recherches intimes et internes,je me suis permis ces mots de Jean Giono
    Le voyageur immobile

    J’ai revu cette vieille épicerie, échouée, toute de guingois dans un coude de la ruelle. Le tourbillon des foires ronfle maintenant là-bas loin, sur la place du monument aux morts; le flot de la vie coule dans d’autres rues contre la carène d’étincelantes boutiques. Les nouvelles ménagères veulent des machines de précision pour découper le jambon, des balances qu’on lit avec une table de logarithmes, des fioles de carry et des conserves d’anchois à la dynamite. Tant de choses que la petite épicerie n’a pas osé… et, d’abord, c’est une épicerie-mercerie. Alors, elle a amené tous ses pavillons et elle meurt, seule, là, dans l’anse vaseuse de la ruelle.
    C’est dans cette épicerie que je venais m’embarquer pour les premiers voyages vers ces pays de derrière l’air. Tous les jeudis soir on me menait chez ma tante. C’était là, dans cette petite rue, une vieille maison obèse qui débordait l’alignement de tout son ventre soutaché de balcons de fer. Le couloir vous saisissait aux épaules avec des mains de glace, vous donnait d’une marche sournoise dans les jambes et, tout compte fait, vous poussait devant la porte de la cave. Je n’ai jamais connu de personne plus énervée ni plus aigre que cette porte de la cave. Elle tremblait dans un courant d’air perpétuel qui semblait monter du fond de la terre. Elle grinçait un: «Ah! bon, c’est ceux-là, ça va bien.» Et alors, en étendant les bras, on finissait par toucher la pomme de la rampe.
    Là-haut, c’était une pièce comme un champ de manoeuvre avec, au fond, un petit feu d’âtre, un feu jouet, un feu enfant tout gringalet, pas sérieux pour un sou et qui se cachait en sifflant sous des bûches vertes encore humides de toute la sueur de la colline. La tante s’animait dans sa chaise avec un bruit de jupes froissées et de craquements de bois secs. Elle avait en nous regardant un sourd grognement de gros chat qui voit le papier de boucherie et sa grande voix d’homme se ruait tout de suite dessus ma mère pour un orage de questions et de réponses dont toute une semaine de silence l’avait gonflée.
    En deux temps et trois mouvements j’étais rejeté vers l’ombre, les épaules endolories et les joues en feu comme picorées par une poule; la tante avait les mains sèches et les joues dures.
    Je redescendais à pattes souples l’escalier et, dans la rue, tournais le coin. Voilà l’épicerie-mercerie de Mlle Alloison. Ah! Mlle Alloison! Un long piquet avec une charnière au milieu. Ça se ployait en deux, ça se frottait les mains, ça disait: «Ah! Janot, on est venu chez la tante, alors?» Ça avait la taille serrée dans la boucle d’une cordelière de moine, et un large ciseau de couturière lui battait le mollet. Elle était tout en soupirs et en exclamations. Un soir on avait dit, sans se méfier de moi, qu’elle avait été jolie en son jeune âge. Elle était l’entrepositaire du «Bulletin paroissial». Elle savait par coeur ce que je venais chercher; elle rentrait dans sa cuisine et elle me laissait seul dans l’épicerie.
    Il n’y avait qu’une lampe à pétrole pendue dans un cadran de cuivre. On semblait être dans la poitrine d’un oiseau: le plafond montait en voûte aiguë dans l’ombre. La poitrine d’un oiseau? Non, la cale d’un navire. Des sacs de riz, des paquets de sucre, le pot de la moutarde, des marmites à trois pieds, la jarre aux olives, les fromages blancs sur des éclisses, le tonneau aux harengs. Des morues sèches pendues à une solive jetaient de grandes ombres sur les vitrines à cartonnages où dormait la paisible mercerie, et, en me haussant sur la pointe des pieds, je regardais la belle étiquette du «fil au Chinois». Alors, je m’avançais doucement doucement; le plancher en latte souple ondulait sous mon pied. La mer, déjà, portait le navire. Je relevais le couvercle de la boîte au poivre. L’odeur. Ah! cette plage aux palmiers avec le Chinois et ses moustaches. J’éternuais. «Ne t’enrhume pas, Janot. – Non, mademoiselle.» Je tirais le tiroir au café. L’odeur. Sous le plancher l’eau molle ondulait: on la sentait profonde, émue de vents magnifiques. On n’entend plus les cris du port.
    Dehors, le vent tirait sur les pavés un long câble de feuilles sèches. J’allais à la cachette de la cassonade. Je choisissais une petite bille de sucre roux. Pendant que ça fondait sur ma langue, je m’accroupissais dans la logette entre le sac des pois chiches et la corbeille des oignons; l’ombre m’engloutissait: j’étais parti.

  4. MAYSPE dit :

    Visita interiora terrae rectificando invenies occultum lapidem.
    « Explore l’intérieur de la terre. En rectifiant, tu découvriras la pierre cachée »
    Descends au plus profond de toi-même et trouve le noyau insécable, sur lequel tu pourras bâtir une autre personnalité, un homme nouveau.
    Bien à toi petit Scarabée
    MAYSPE

  5. Iréne dit :

    Le Temps est l’image mobile de l’éternité immobile
    Platon

  6. marie de voujeaucourt dit :

    Lorsque je vois cette bougie allumée, je me dis que le temps limite peut être notre vie … mais il nous laisse libre choix de l’admirer et de s’en nourrir comme il se doit … quand on veut , on peut …
    merci Franck pour ce billet qui une fois de plus nous laisse en réflexion … si on prend « le temps » 😉
    Bisous et à pluche 🙂

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