Des bouts de vie en 2023

3 janvier 2024
L’année 2023 aura été riche en émotions et partages.
Être amputé n’est pas une fatalité ou un drame, c’est une opportunité pour devenir un être différent à part entière. Depuis 2003 des expériences sont totalement offertes pour proposer des clés aux personnes amputées. Sans rentrer dans les cases du « handicap » « handisport » « handeprime « , Bout de vie bouscule les normes. Des images qui illustrent ces rencontres insolites et fortes en émotions…
Plein de projets sont en cours pour 2024.
Une jambe de bois, une santé de fer mais pas un cœur de pierre l’aventurier
Frank BRUNO

 

20 ans…

6 janvier 2023

Bout de vie vous souhaite à toutes et à tous une merveilleuse année. Santé, paix, bonheur et liberté. Un brin de folie est aussi au menu de ces vœux.
Votre association www.boutdevie.org
fête ses 20 ans. Vous en êtes les piliers, les animatrices et animateurs, sans vous rien n’aurait pût être possible.
Pour les plus téméraires, pourriez-vous écrire en deux lignes maximum, en commentaire, ce que Bout de vie vous a apporté. Ce serait très intéressant et me donner une réflexion, à savoir si l’association doit continuer ou s’arrêter.
Pour adhérer cliquez sur ce lien https://www.boutdevie.org/adhesion/
Activité 2023…
Du 8 janvier au 14 janvier des hommes et femmes amputées vont être initiés au ski alpin à Saulz D’Oulx en Italie avec des amis moniteurs que je connais depuis mon enfance. Des stages de survie avec des valides vont se suivre, la totalité des engagements sont reversés à l’association. Un, sera avec 15 cadres supérieurs d’une très grosse entreprise internationale. Le film sur mon bout de vie au Groenland réalisé par David Tiago Ribeiro devrait être fini pour une diffusion prochaine sur votre petit écran et dans de nombreux festivals. Le 26 avril, au parc Galéa au sud de Bastia, cet immense espace extraordinaire nous sera gracieusement mis à disposition pour la projection du dernier film, une conférence au thème « découverte de nouvelles limites » animé par Fabrice Fenouillére, je serai en compagnie de Dominique Benassi et Bixente Lizarazu, parrain et président d’honneur de l’association. Première quinzaine de mai il y aura le stage de mer Bout de vie comme à son habitude. Puis ce sera mon départ pour 4 mois au Groenland. Cette année je vais recevoir deux groupes à dates différentes, pour plus de faciliter sur les activités. Quatre femmes (deux amputées, deux valides), puis quatre hommes (deux amputés, deux valides). Le magazine l’Equipe a décidé de me mettre à l’honneur pour un hommage à ma vie un peu atypique d’après leur dire et vont venir passer quinze jours à Oqaatsut. Début décembre, sera organisée une semaine vélo avec étape le matin et rencontres des scolaires l’après-midi en Corse du sud. L’équipe sera composée d’une petite dizaine d’amputé, des habitués qui ne sont pas encore au courant MDR !
Voilà de ce qui est de la vie associative. Et certainement d’autres surprises.

Bout de vie en 2021 et ses projets à venir

5 janvier 2022

Bonjour à tous
L’année écoulée de mon association Bout de vie a su garder son cap, le stage de mer fût réalisé comme à son habitude en Corse du Sud, une belle semaine printanière de partage et d’échanges. Chacun y a prit des clés pour son proche avenir. Le déplacement de chaque équipier, ainsi que la semaine de mer en pension complète, furent pris en charge par l’association.
Une autre équipe, invitée, est venue rejoindre la petite maison bleue au village d’Oqaatsut au Groenland, là encore, la découverte de nouvelles limites fut à son apogée.
Dans un autre registre, une jeune femme amputée a été invitée à la visite des ateliers d’un des plus grands couturiers du monde. Les « petites mains » de cette immense marque ont ravi la privilégiée.
Une bourse a permis à un jeune ado de pratiquer un week-end de voile sans l’assistance de ses parents.
Un stage survie-montagne de détection, pour sélectionner des futurs alpinistes amputés, pour le Groenland, s’est déroulé en Corse du sud, sous les caméras d’une chaine de TV. Diffusion programmée cet hiver.
Des stages de survie en plein maquis sont aussi organisés pour des personnes valides, un moyen ludique de récolter des fonds, puisque la totalité de leur frais de participation est reversée à Bout de vie.
Tout au long de l’année l’association reçoit des appels, des courriels, de personnes fraîchement amputées où d’autres qui rencontrent des difficultés avec leur prothèse. Bout de vie est une écoute attentive aussi.
D’autres parts, j’anime régulièrement des conférences en entreprise, puis des rencontres scolaires et universitaires me permettent de rendre le mot handicap différent, il perd de sa noirceur et de son sectarisme.

Les projets 2022 sont déjà en place. Du 1 au 7 mai le stage de mer nouvelle version tentera de faire rêver les participants.
Eté 2022 une belle bande de bouffeurs de vie tenteront l’ascension du massif de Perserajuk au Groenland.
D’autres activités vous seront dévoilées au fil de l’année.
Si vous désirez adhérer et parrainer ces projets cliquez ici.

Adhérez à l’association

Que 2022 vous apporte la paix, la santé et la liberté…
#boutdevie #groupelagarrigue #gerifonds #amputee #alive #frankbrunocabochard
❤️

Cap sur 2021

11 janvier 2021

L’année 2020 fut un océan de contrainte et de vent capricieux, le sloop Bout de vie a su maintenir son cap. Le sloop n’a qu’un mat à la différence du ketch qui en a deux ! Le stage de mer a été maintenu, pendant cette semaine les participants ont découvert un monde loin du regard des autres et des « ont dit ». Se dévoiler au large est plus facile, plus initiatique aussi. D’autre part, un groupe de 6 personnes m’a rejoint au Groenland où Bout de vie possède une petite maison bleue. Ils ont bivouaqué dans des lieux retirés, le chant des baleines leur a conté certaines aubades lointaines où l’apparence n’avait pas encore été inventée. Bout de vie est une association atypique qu’aucune case ne peut enfermer. Dans ces rencontres des échanges profonds et sincères s’effectuent, ce seront les tuteurs de leur nouvelle vie. Votre aide est précieuse, essentielle, les mots me manquent pour vous dire merci du fond du cœur.

Faites passer le message, cette année les tempêtes sont à craindre, ils nous faut être unis pour naviguer vers des jours meilleurs.

Très régulièrement sur les réseaux sociaux des actualités et des réflexions sont postées Facebook Bout de vie et Facebook Frankbrunoofficiel

Pour adhérer à l’association cliquez ici adhésion

Bout de vie s’adapte…

6 août 2020

Bonjour à tous,

Bout de vie poursuit sa route et s’adapte aux nouvelles technologies. Pour plus de visibilités, plus de partages, toutes les infos sont quotidiennement mises à jour sur ma page Facebook . Depuis le Groenland je vous envoie plein d’énergie positive.

Temps de vivre…

3 novembre 2019

Tour de Caldarello cliché de ce matin retravaillé.

Certains ont la montre, toi tu as le temps…

C’est ce que j’ai reçu ce matin par texto, en remerciement de l’écriture de mon dernier livre : Carnet de voyage d’un homme libre.

Jour des défunts, jours des morts et il parait, journée de la gentillesse ! Dehors c’est enfin l’automne, orage violent, pluie, tonnerre, la vie au ralenti peut reprendre ses esprits. Le temps va enfin s’écouler sans bruit, sans paraître, sans accélération.  J’ai rougi en recevant ce message, mais tout compte fait, cela est bien vrai. J’ai appris du temps, pour prendre mon temps.

 La liberté n’a pas d’agenda, la mort se moquera de nos rendez-vous essentiels. La souffrance et les drames viennent toujours à l’improviste, riches, pauvres, grands, petits, célèbres, inconnus, ils se moquent de nos émotions, alors prenons le temps.

Cloué sur mon lit d’hôpital, ma seule survie était le souvenir, mon présent était souffrance et mon avenir définitivement foutu. Le temps s’installait, il me paraissait interminable, chaque seconde semblait une heure, une journée un siècle… On aurait dit que je l’avais pressenti, avant mon amputation je n’avais jamais le temps de m’arrêter, une vraie machine infatigable, le lit était un objet bizarre qui me permettait de m’étendre que quelques heures, mais vraiment pas plus. Jamais je n’aurais imaginé rester allongé des semaines, des mois, à regarder passer le temps. Sylvain Tesson dit : le silence c’est le bruit du temps qui passe.

Il n’y a pas de mauvais ou de beau temps, il n’y a pas de bon temps aussi. Le temps est l’instant présent.

Prendre le temps c’est oser. Prendre le temps c’est une philosophie de vie, un arrêt sur image. On entend en boucle je n’ai pas le temps, alors qu’il est là, impondérable, immuable, nous ne sommes que son passager, le temps d’une courte vie.  Les pensées, les lieux, les personnes, les métiers parasites, le rangent aux oubliettes. On griffonne sur un post-it, une ardoise, sur un écran, ce que l’on doit faire sans prendre le temps. Le lapin d’Alice au pays des merveilles court après le temps. Le conte de Lewis Carrol ne dit pas si un jour son personnage a réussi à stopper le temps. Dans chacune de mes expéditions la météo m’a cloué dans ma tente, mon abri. Je pouvais prendre le temps. L’extérieur ne pouvait plus me polluer, m’interpeler, me transmettre l’info qui ne sert à rien. Un sac de couchage, un peu de nourriture et le temps prenait son sens. Je me souviens de cette traversée polaire, nous n’avions plus de nourriture, nous étions amaigris et l’hélico qui devait nous récupérer sur la calotte était cloué au sol pour cause de mauvais temps. Avec mon binôme, nous explosions de joie, nous avions du temps pour nous. Le temps d’écouter le silence de la glace, du vent dans les haubans de la tente. Le grand marin, Bernard Moitessier fait partie de ses peu d’hommes qui m’ont fait rêver. Dans ses écrits, le temps est assis à ses côtés tout au long de sa longue route. Dans sa course en solitaire à la voile autour du monde, il avait renoncé à son sacrement de vainqueur et poursuivit contre toute attente, son périple autour du globe. Il avait planté en moi sans le savoir cette graine de liberté. Car oui, prendre le temps c’est être libre. Libre de penser, libre de devenir.

 Etre plutôt que paraître.

Conférence: s’adapter

14 septembre 2019

» En lire plus:Conférence: s’adapter

Le clip de l’ascension du Mont Blanc par les 3 Monts…

13 septembre 2019

Du Camp des Solitudes…

8 septembre 2019

 

Le camp des Solitudes. Ce petit bout de maquis si isolé, que je n’y ai jamais vu personne, sauf mes hôtes et ils sont rares.  C’est là où je dis au revoir à mes amis les « anges gardiens », quand je pars pour longtemps barouder au bout du monde. C’est là encore où je reviens en premier leur raconter comment étaient les qivitoqs qui ont bien joué avec un boiteux un poil têtu. Ici je me sens bien, apaisé, comme si plus rien ne pouvait m’atteindre. Il est situé à quelques kilomètres à vol d’oiseau, des plages encore sur fréquentées, du bruit, des choses qui à mes yeux n’ont pas leur place en bord de mer. Comme je ne peux rien changer, c’est moi qui transhume !  Déjà deux mois où je suis parti, deux petits mois pour partager, offrir un peu de liberté à ceux qui n’ont pas encore ma chance de réaliser leur rêve. Là-haut sur la terre du grand Nanoq, ils sont venus écouter le silence, comprendre un peu plus la beauté de la nature. Ne leur dites pas qu’ils sont courageux, ils vont se moquer de vous, c’est sur. Ils sont vivants et ça ils le savent.                                                                                                                                          Je repense à mes escapades solitaires puis à celle avec ma compagne, un vrai délice. Et puis ce fameux Mont Blanc, sans aucune préparation, avec une prothèse qui m’a laminé le moignon pendant 2 longs mois. J’ai réussi cette « put… » de traversée par les 3 monts sans que je comprenne encore maintenant comment j’ai pu faire. Mais voilà comme dirait Bastien : Mont-Blanc fait !!! MDR  

 Devant le feu ce soir j’ai le temps de repenser, de dérouler le film de cet été polaire, j’imagine comment décrire au mieux les paysages boréaux pour ceux qui ne connaîtront jamais le Groenland, à ceux qui se sont emprisonné dans une vie virtuelle. Je peux enfin écouter la radio et la comprendre, je peux surfer sur le net… Mon dieu, mais quel gâchis ! Tout se mélange, tout se contredit, les paradoxes s’entrechoquent ! Je critique le virtuel et j’écris un billet sur mon blog que pourra lire le terrien du bout du monde. Je fuis les écrans et j’anime une page Facebook, pour passer mes messages, mes humeurs, mes colères, mes joies. La perversité de la vie nous rend addict, nous emprisonne, mais j’ai encore la chance de pouvoir le gérer, de le ranger par moments au fond du coffre de mes contraintes. Le camp des solitudes me rattrape, ses anges gardiens aiment bien me bousculer, je redeviens le petit garçon perdu dans la forêt. Alors j’écris, je prends des notes et un malin plaisir à me moquer. Dans certains stages de survie, je passe par le camp des solitudes, mais je ne fais que l’effleurer, ici c’est trop personnel, trop mon « moi » pour le livrer. Une nuit et hop il me faut vite le libérer. J’ai essayé d’y amener du monde pendant plusieurs jours mais je me suis senti pris au piège d’un partage impossible. Ce coin je l’ai sué, j’y ai versé mon sang à plusieurs reprises, les blablas, le bruit des pas des autres m’est difficile à encaisser. Ce soir je crois l’avoir compris vraiment. Oui ici c’est une partie de mon âme, je n’aime pas qu’on se l’approprie, pourtant c’est moi qui les ai amené, c’est moi qui ai essayé de leur transmettre ma vibration. J’y ai vécu plusieurs mois d’affilée seul pour écrire mon dernier bouquin « Carnet de voyage d’un homme libre », j’y ai beaucoup réfléchi, on me prend souvent pour un dingue. J’aime me qualifier d’ « extra-merrestre ».Ancien habitant de la mer, devenue trop fréquentée et qui a déménagé au fond d’une vallée perdue. Oui bien des choses ont changé, évolué depuis la découverte de ce petit coin de paradis. Ce soir la lune joue à cache-cache avec de gros nuages noirs, ce soir un petit feu me réchauffe, me reénergise, je me sens vidé, cuit juste envie d’être là parmi eux mes « anges-gardiens ». Envie d’être égoïste, envie de silence immense, envie de vie rustique, envie de m’endormir là au milieu de ceux que les autres appellent : lieu sauvage !

Deux jours sont passés, deux jours rien que pour moi. Chut c’est mon secret. Demain je repars pour transmettre par le biais des conférences, des films, des écrits. Je vais poster des messages sur les liens sociaux, accepter mais juste un peu, ceux qui me diront qu’ils savent ce que j’ai vécu, ceux qui croient connaitre mes secrets ?   Oui je ne vais pas me refaire, je suis un cabochard têtu comme une vieille mule corse mais paraît-il très attachant. Lisez mon dernier bouquin, de toute façon j’ai bien compris que cette histoire était devenue la vôtre…

Takuss.

 

Du Groenland au Mont Blanc il n’y a qu’un pas!

3 septembre 2019

 

Un pas entre le Groenland et le Mont-Blanc…

2h du matin, le ciel est dégagé, les orages ont heureusement cessé, sous la voûte céleste des fourmis se préparent à s’approcher un peu plus des étoiles. Fred mon guide fait parti du fameux groupe PGHM de Chamonix, sa grande expérience me rassure sur mon choix, une fois de plus dingue, de gravir le Mont-Blanc. Il y a quelques jours j’étais encore au Groenland avec une prothèse qui me blessait, là, je suis au pied d’un géant de glace qui se moque bien de ma différence et des mes petites tracasseries. La priorité de cette longue journée sera la légèreté du sac à porter, il devra être minime mais complet. Nos baudriers ne seront ôtés que ce soir, la longe sera plus au moins courte suivant la dangerosité du terrain. Mon binôme ouvre la route, le glacier des Cosmiques me rappelle le pays de Nanoq, mais ici, il y a l’altitude en plus. Une équipe de 4 personnes nous accompagne, le silence nous envahit, chacun est dans sa bulle, dans son histoire. Le chef de cordée de l’autre groupe vient à ma hauteur, ma préparation l’a interpellé, ma différence aussi. En quelques pas il me raconte l’histoire de sa sœur paraplégique depuis l’âge de 15 ans, ses silences m’en disent plus que de longs discours.

Le terrain prend du dénivelé, le premier danger va nous tester. Sous un sérac nous devons nous faufiler, des géants de glace prêts à tomber nous jugent, nous observent, nous analysent, ouf, ils nous ont laissés passer sans le moindre accroc. Puis c’est ma première difficulté, il faut franchir un mur de glace de 4mts de haut. Crampons aux pieds et un seul piolet, il me faut beaucoup de concentration et de force pour passer. Fred me met au pied du mur de glace : Là-haut ce sera beaucoup plus long et difficile. Mon sang se glace, c’est normal me diriez-vous, il est 3h du matin et nous sommes à 4000mts d’altitude ! Pour avancer il me faut trouver mon rythme sans aucune pensée parasite, mes gestes doivent être eux aussi au plus simple tout en étant efficaces. Devant moi un homme que je considère comme un géant de l’alpinisme, je me sens « gauche », médiocre, perdu, nul à vomir ! Nous doublons une cordée de deux gars qui semblent en difficulté, cela me booste un peu, je me sens moins nul, puis une deuxième, tous feront demi-tour. Je réalise que maintenant nous sommes seuls devant. La nuit est juste magique, le froid n’est pas si terrible que ça, bien que la température soit négative, je pense que mes escapades polaires m’ont aguerri. Nous y voilà ! La paroi nous stoppe, il faut trouver la bonne voie. Je sens Fred très concentré, il doit réaliser que son binôme doit avoir le signe astrologique lorrain de « quiche » ! Il m’explique ma tache, les broches à glace à récupérer, la manière de planter le piolet et de me hisser avec mes deux mains, de cramponner violemment la paroi pour être en appui… L’ascension se corse, aurait dit Pascal Paoli !  Fred part en tête, la cordée de 4 arrive, nous nous cachons dans une crevasse, des pluies de glaces semblent vouloir nous lapider d’être là. Ça y est, il est arrivé au premier relais, c’est à moi. Le froid, en attendant la fixation de la ligne, a commencé un travail de sape, mes mains qui ont déjà gelé au Groenland me rappellent à leur bon souvenir. Je m’élance, j’ai la boule au ventre, je sais que je dois tout donner et encore plus pour passer. Mes chaussures n’ont pas de semelles rigides, le choix d’avoir du léger pour ne pas blesser mon moignon a sacrifié du confort pour grimper, je redoute de perdre le crampon côté prothèse. Au premier mètre, une pluie de glace me secoue, mon casque évite le pire mais un impact sur le visage me fait craindre la grosse blessure. Le sang coule jusque dans ma bouche, mais je suis lucide, cela doit être une simple égratignure. Je progresse, je m’accroche, je me sens si nul, je râle à n’en plus finir. Soudain la prise de mon piolet cède, je glisse, je suis dans le vide maintenu que par un bout de ficelle à plus de 4000mts d’altitude. Fred me sécurise, mais je sais que je dois vite réagir, reprendre mes esprits et surtout quitter cette paroi infernale. Soudain je découvre pourquoi j’ai décroché ! Mon crampon droit n’est plus en place sur mon pied en carbone. Oh bordel, je ne vais quand même pas rajouter mon nom à liste des disparus en montagne. Sur une patte et avec un seul piolet j’atteins un piton rocheux pour me refaire une santé, mes mains sont gelées, je sais que ça va aller mais dès que le sang va revenir je vais morfler. Comme par miracle Medhi, le chef de cordée du quatuor que nous avons doublé, arrive sous moi. Instinct de survie, solidarité, il me propose de me caler pour me refixer le crampon… Esprit de montagne où les hommes s’unissent pour moins mourir. Fred est arrivé enfin au col du mont Maudit, il me reste 40mts de paroi à gravir, en dessous les lumières des lampes frontales de mes 4 coéquipiers semblent minuscules. Dans un effort surhumain, j’arrive au col, le petit jour pointe le bout de son nez, mon binôme me félicite, de mon côté j’en ai envie de vomir tellement j’ai forcé. Nous faisons un break, la cordée de 4 arrive, tout le monde est éprouvé mais fier d’être passé. Le sang revient dans mes doigts, j’ai l’impression qu’ils vont exploser, mais je me souviens de mes expériences hospitalières passées, je vais minimiser ce moment. Nous reprenons la route par une longue traversée au travers d’un glacier très pentu, bien sûr nous sommes toujours encordés, bien sûr la vigilance reste toujours accrue. Le soleil vient enfin au rendez-vous, il nous inonde, nous rassure, nous réchauffe, la journée ne fait que commencer alors que cela fait déjà 5h que nous grimpons. Puis là, devant nous, le tronçon pour atteindre le dôme du Mont-Blanc. Le piolet est rangé, les bâtons vont être mes jambes supplémentaires. Il y a 30 cm de poudreuse et par ce côté-là, très peu fréquenté, le passage n’est pas damé. Un pas devient vite à cette altitude, un vrai exploit. Il va falloir gravir encore 410mts de dénivelé, je ne pense qu’à l’instant présent. Fred ouvre la route, je le vois aussi souvent trébucher dans la poudreuse, de mon côté c’est une fois sur deux. Mon souffle est saccadé, mais ce qui me rassure c’est que mon moignon ne me fait absolument pas souffrir. La cordée de Medhi et Thom sont devant, eux aussi avance doucement mais ils prennent un peu d’avance, je me sens diminué, mon esprit de compétiteur me mine mais je dois rester dans cet instant présent si important. Comme j’aime le dire aux sportifs de haut niveau que je croise régulièrement ou militaires de haut vol, il faut mettre le cerveau sur le côté et avancer sans gémir et trembler… 9h05, je pose enfin la prothèse au sommet du Mont Blanc, la brume nous envahit en même temps que je reprends mon souffle. Mutuellement nous nous félicitons, chacun est fier de son Bout de vie. En même moment que nous déployions la bannière « CimAlp Bout de vie » Mehdi et Thom avec leur binôme, s’afférent sur leurs parapentes ultra-lights pour s’envoler vers la vallée. Je savoure ce moment de grâce, de libération. Fred me filme, l’émotion m’emporte, les blessures du passées semblent couler par mes yeux pour s’envoler vers les cieux où reposes mes années noires. J’appelle ma chérie, c’est pour la deuxième couche…

Comme par miracle la brume s’évapore, le monde des fourmis du bas nous apparaît, cet instant est magique, sublime. Nos copains de cordées s’envolent comme des farfadets des neiges, avec leurs voiles ils seront en bas dans ½ heure. Quant à nous, il faut reprendre la route par la voie du Goûter. L’arête se dévoile devant nous, cette partie du Mont Blanc est très fréquentée, à chaque croisement, après le salut d’usage multi-langue, il faut être prudent pour ne pas être happé par le vide. Chaque pas nous délivre du manque d’oxygène, mais aussi de ce moment de privilège. Nous atteignons la cabane du Vallot, sans trop s’arrêter d’ailleurs. Le pain noir et la viande séchée sont les bienvenus cela fait déjà 10h que nous marchons. Les couches, aussi diminues. Finalement nous passons au dessus du refuge du Goûter qui ressemble plus à un vaisseau spatial, qu’à un refuge de montagne. Paradoxe de la solitude des cimes, il faut s’y prendre 6 mois à l’avance pour avoir le droit de s’y reposer quelques heures ! Au bout de l’arête nous atteignons une plateforme pour enfin enlever nos crampons, mais un autre piège nous ouvre ses bras, le pierrier du Goûter, soit environ 600mts de dénivelé dans un amas minéral qui refroidirait n’importe qui, parole de tête brûlée boiteuse. Les crampons sont pliés, rangés, ma prothèse semble s’envoler, bien qu’elle ne me fasse pas mal du tout. Par une échelle de 5 barreaux je pars en premier, le vide et les chutes de pierres se disputent la place du méchant de service. Un câble en acier inoxydable sécurise le parcours, bien que nous soyons toujours encordés. Au fil des minutes, je m’adapte aux pierriers, nous doublons même des personnes, cela me rassure sur ma sensation d’être en mode enclume ! Sur notre tribord, oups, droite, il y a une sorte de vallon de cailloux, par moment sans crier gare, des blocs se détachent et s’envolent vers l’aval, dans un bruit funeste et lugubre. Au bout de 2h de descente sans encombre, il nous faut traverser ce « maudit » vallon. Dans son job de sauveteur en haute montagne Fred à beaucoup ramasser de morts ici. Ce coupe-gorge doit être traversé à vive allure. Par sécurité, je ressors les bâtons, prend un grand souffle et m’élance à fond sur ce piège à rats. Ces 40mts de traversée, je les ai survolé sans penser à quoi que ce soit, juste : objectif passer au plus vite et sans boiter !

Nous y voilà, les dangers sont presque derrières, mais tant que nous ne serons pas dans la vallée, il me faut être vigilant et concentré. Au pied d’un glacier, j’ai envie de vérifier mon moignon, qui pour l’instant a bien résisté. Comme j’aime le faire en région polaire, je vais me servir de l’eau de fonte pour me laver un peu. Waouh quel bonheur, cela vaut toutes les salles de bains du monde. Frais comme un jeune chamois, je peux reprendre la route. Encore un immense dénivelé nous attend, je crois que c’est le refrain de toutes les hautes routes. Bien que mon moignon ne soit absolument pas blessé, des douleurs fantômes me donnent du fil à retordre. Mais je ne suis pas là pour me plaindre, pour gémir, alors mes bâtons me soulagent pour essayer de ne pas louper le dernier train pour la vallée. Une ribambelle de chamois squatte le sentier sans s’inquiéter pour autant, la montagne, ici est minérale, hostile, tueuse. Je n’ose même pas l’imaginer sous l’orage. Finalement la gare du petit train se dévoile, cela fait 14h40 que nous crapahutons dans le massif du Mont Blanc.

Une page est tournée, une belle aventure notée sur le calepin de ma vie d’aventurier à cloche pied.

Merci à l’équipe CimAlp d’avoir monté le projet. Merci Florian qui a pensé l’histoire, merci Marie la coordinatrice, merci Lionel le big Boss et merci à Fred Souchon d’avoir eu la patience et la maîtrise de m’avoir guidé dans cette magnifique aventure.

Vous êtes des milliers à suivre les aventures d’un cabochard boiteux et têtu, je vous en remercie du fond du cœur, vous êtes ma force. Un remerciement aussi à ma belle Niviarsiaq qui m’a beaucoup épaulé, soutenu, écouté, soigné…

Vive la vie…

A pluche comme dirait ma mascotte Jo Zef !