Il est toujours là, il a décidé de m’accompagner jusqu’au bout, alors ce matin je lui fausse compagnie. Pas de petit point rouge sur l’eau, le nomade reste à terre, il ne reprendra pas la mer, le vent d’est n’aura qu’à s’en prendre à d’autres fous, s’il y en a par ici. La journée d’hier m’a éprouvé, une épreuve, un combat pacifique de chaque instant. Les bras vont bien, c’est la tête qui gère la mécanique, mais ce matin je n’avais pas envie de m’imposer encore un tour d’arène.
Je traine, je m’invente des petits trucs à faire, puis vers 10h, le sac à dos prêt, je pars vers quelques sommets inconnus. Ici pas de sentier, de panneau jaune, de refuge aux tartes à la myrtille fumante, ici, de la toundra et l’infini. Entre quelques plaques de camarines et des restes de lave, je progresse vers des belvédères qui devraient me faire entrevoir l’immense fjord de Torssukatak. En une seule petite heure, l’immense détroit est un spectacle à vous couper le souffle, au fond la calotte glaciaire qui se jette dans l’océan et là des centaines d’icebergs qui partent pour leur long voyage. Une succession d’arêtes me permettent de progresser toujours en hauteur, l’émerveillement est à son plus haut niveau. Je ne marche pas, je plane, les mots sont difficiles, il faut le vivre pour le comprendre. Un être humain, s’il est chanceux peut atteindre les 100 ans, là les colosses ont des milliers d’années. Dans leurs entrailles, notre histoire est précieusement conservée.
Dans mon sac, de l’eau et le matos au cas où, ici tu n’es rien. Une cheville qui se tord et l’enfer peut arriver. Prudent comme un animal apeuré, j’avance, mais Dieu que c’est beau. Là-bas au loin, mon camp, une tête d’épingle au milieu de l’infini. Je me pose encore et encore des questions sur nous les Hommes qui m’explosent à la gueule. Le toujours plus, la course contre le temps, la croissance qui est le seul leitmotiv des «autres » mais pour quoi faire ?
Un lac sur la carte m’intrigue. Derrière un piton, il apparait, un diamant, un joyau, ancré là devant mes yeux. Pas une cabane, pas une route, même pas les traces d’un pas, rien, que le sifflement du vent et le cri d’oies rieuses. Une perdrix détale devant mes pas, je ne suis pas seul alors… A 13h, j’ai rejoint le bivouac, mais à ma grande tristesse, mes lunettes de glacier manquent à l’appel, où les ai-je bien perdues ? 3 tartines de fromage et chorizo et une micro sieste plus tard, je tente de reprendre le même chemin. L’histoire est compliquée, mais je suis du genre têtu qui ne lâche pas si facilement. Au bout d’une heure, le même panorama m’attend de pied ferme. J’en profite encore un peu, puis je poursuis au deuxième piton mais rien, il me reste le troisième, grosse déception, rien toujours rien. Je me dis que vers le lac, j’ai peut être ma chance, mais pour retrouver ma trace exacte, cela se complique. Le plateau vallonné est encore couvert de névés et mes pas ne savent plus où se diriger. Sur une vire, le passage ne me parle pas, alors je rebrousse chemin et m’assois pour faire descendre la pression d’un cran. Sans lunettes, en mer, mes yeux vont avoir une durée de vie limitée, comment faire si je ne les retrouve pas ? Au moment où je me lève, un petit oiseau se pose à deux pas de mes recherches. On dirait le même qu’hier. A haute voix, je lui demande, sur un ton un peu de dérision s’il n’a pas vu mes lunettes ! Son chant prend de la force, mais il m’engueule, ma parole. Il se pose un peu plus loin, alors je le suis, puis il vole vers un autre caillou, je le suis encore. Jusqu’au moment où je vois mes traces dans la neige, et là au bout du névé, mes lunettes !!!
Promis je n’en rajoute pas, c’est la stricte vérité. Mes mots ne peuvent une fois de plus décrire ce que j’ai ressenti mais je peux vous dire que ce moment va être gravé dans ma tête et mon cœur toute ma vie. Je le remercie à haute voix, il prend ses airs et repart je ne sais où… Assis sur un piton face à l’immense fjord de Torssukatak, une pomme sera ma récompense. Je ne sais pas si ces oiseaux mangent des restes de fruits mais en tout cas, mes pelures étaient bien chargées de pulpe, une sorte d’offrande…
La vie est un cadeau, encore aujourd’hui elle m’a offert un présent doux et si tendre. De là haut, au pays des vents contraires et des glaçons millénaires je vous envoie toute ma tendresse…
A pluche
Drôle de pays le Groenland. Si dur, si rude et si dangereux et en même temps magnifique, poétique et magique. Un pays où il faut savoir être à l’écoute de son instinct, de ses sensations, des petites voix des âmes protectrices et où chaque seconde est un message à intégrer et à méditer. Tu m’as émue aux larmes grand frère.
Merci l’oiseau <3 d'avoir guidé Frank
Superbe ton récit … Comme d habitude bon courage Pour la suite franck
J’adore. ….. merci Petit Oiseau. …. jolie rencontre salutaire
Et oui Frank la nature est avec toi et te sera fidèle jusqu’au bout … Je ne pourrai bientôt plus t’envoyer des petits mots de réconfort 🙁 je suis sur la route pour aller dans mon pays d’origine … retrouver le village de mon grand père et ses montagnes …. enfin si le feu n’à pas tout dévasté 🙁 bisous à vous deux <3
Super bon courage basgi Frank Bruno
Bon courage Frank, mes pensées t accompagnent.
Prends soin de toi mon ami. Eric le chti
Comme Audrey les yeux me piquent…c’est récit est magique et me « parle » beaucoup…Le Freeman et l ‘Oiseau…Bon courage pour la suite Frank Bises