J’étais prêt, nous étions prêts, mais la baie qui nous abrite est déjà couverte de moutons, du vent d’est bien sûr ! Je ne comprends pas, je n’arrive même pas à crier. Ici, en cette saison, c’est toujours le calme plat, la mer même pas ridée et depuis mon départ, il y a déjà 34 jours, les vents contraires ne m’ont pratiquement pas lâché. Je rumine : mais pourquoi ? Au départ d’Ilulissat, une montagne s’écroule en mer en ravageant la côte du nord d’Uummannaq, un village rayé de la carte et des morts. Puis une autre montagne menace de s’écrouler, le passage est interdit, mais têtu je poursuis quand même, mon passé prend le dessus, j’ai tout vaincu, je n’ai jamais été freiné par mes peurs, et pourquoi je ne passerai pas ? Puis la péninsule de Nuussuaq, un désert de lave où je me fais ramasser par deux gros coups de vent, un delta boueux qui me glace les os en manquant de me faire chavirer et la mort dans l’âme je rebrousse chemin. Alors s’en suit un chemin de croix, sur la route j’érige même un calvaire dédié à la Liberté, mais rien à y faire, le vent me refuse, il joue de mes bras, de mon dos, de mon égo surtout. Rien à faire, j’avance, 20km en 8h de mer, mon record de lenteur est battu. En Botnie, j’avais traversé cette mer sur 1200km en 42 jours, sur le fleuve Yukon j’avais fait une étape de 140km, mais là, le voyage prend une autre dimension…
Il me faut sortir de la tente, ses coutures me sont devenues familières, un sommet me permettra de trouver le calme et la sérénité. Au loin le fjord de Torssukatak, au milieu de ces géants de glace, des moutons, les rafales se jouent des icebergs, je m’assois face à ce spectacle. Il me faut faire le vide, avec ce vent aucun moustique ne peut jouer le trouble fête. Il fait vraiment froid mais le ciel est bleu azur. Je m’assoupis, peut-être que mon corps est là mais mon esprit s’évade, à mon retour sur terre, un raisonnement m’effleure. Je ne dois pas être prisonnier de mon égo, et mon égo c’est le passé, c’est le futur mais ce n’est jamais l’instant présent. Pourquoi avancer sans relâche, pourquoi toujours l’action ? Je ne suis pas une machine mais un simple petit homme avec toutes ses faiblesses et ses doutes. Cette expédition doit changer, elle est complètement morte, désintégrée. Ce que je vis au quotidien est exceptionnel, mais je ne suis pas sûr qu’en voulant avancer toujours, je découvre quoi que ce soit de ce présent. A peine arrivé sur zone, je dois deviner si la marée basse me fera quand même partir le lendemain, puis le camp doit être monté au plus vite, trier la nourriture du soir, celle du matin, bricoler deux trois trucs, écrire ma journée et m’écrouler pour redémonter sans geste parasite le camp et reprendre la mer, ceci à l’infini. Je suis maître de mon destin alors, des choses vont changer…
Là haut un souffle de bonheur me prend aux tripes. J’avais oublié que j’étais un Freeman. Kiffaanngissuseq en groenlandais qui veut dire homme libre est tatoué sur mon avant bras gauche, ce n’est pas pour rien, non ! Alors je deviens l’explorateur d’un pays fantastique, la pente sud mène vers de belles prairies. A grandes enjambées, la toundra est foulée par un mec libre comme le vent. A un moment, un caillou attire mon attention, une énorme griffe est posée là devant mes yeux, incroyable si loin du bord. Puis, plus bas au bord de la plage, un ancien village est encore tracé au sol, des bases de maisons de tourbe où des hommes et des femmes ont vécu de manière si difficile. Le lieu est majestueux, plat sur un sol herbeux et face à la mer, avec une belle crique protégée du vent dominant qu’est l’est. Les premiers champignons apparaissent, une dizaine de chanterelles croisent mon pas boiteux, incroyable je ne savais pas qu’elles pouvaient pousser ici. Toutes crues, je les grignote ! Plus loin, un vieux cimetière tient encore debout, quelques croix ont survécu aux tempêtes. Ici cela ne fait si longtemps, peut-être à ma naissance, des inuits (qui veut dire en groenlandais, gens*) survivaient, alors qu’en bas, au pays des vies faciles, les hommes guerroyaient.
Vers 13h, je retrouve mon petit camp. A quelques encablures, une minuscule cabane rouge est posée, une table face à la mer est fixée au sol. Je vais m’embourgeoiser pour la squatter, mes nouilles chinoises aujourd’hui ont un sacré gout de liberté.
Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à 12h40.
A pluche
*Inuit veut dire en groenlandais : gens. Ici, ça irrite les locaux de s’entendre appeler gens alors qu’ils sont eskimos, groenlandais, hommes des glaces, mais certainement pas de simples : gens !
Avancer de force, c’est risquer de perdre le sens de cette aventure. J’ai l’impression que tu t’es libéré aujourd’hui en choisissant de la vivre différemment. Toi seul sais quel est ton chemin, mais nous sommes tous avec toi.
« J’ai tout vaincu » tss tss tss Homme libre tu es Homme libre tu resteras. Il faut savoir juste interpréter les signes …. cette fois ci tu ne devais pas continuer et ce n’est pas un échec bien au contraire Profites du présent. Je t’embrasse mon Cabochard préféré
Enfin ! Depuis le temps que j’attendais ca.
Tu y es presque.
Vis fort l’ami.
Bisous
Merci Frank pour cette nouvelle page. J’étais bien contrariée par la perte de tes lunettes, puis soulagée qu’elles te soient revenues. A bientôt de te lire.
Bon ici pas de paella groenlandaise juste des tomates du jardin
beaucoup de vent donc on pense un peu plus a toi