Nuit blanche, aucune idée du pourquoi, peut être un pressentiment, à moins que ce soit ce maudit dos qui a encore envie de se bloquer. Les arrêts dans des villages quand je suis en expédition solitaire me déstabilisent énormément. En un bivouac, je me retrouve confronté à un groupe de personnes qui sont à des années lumières de mon quotidien. J’ai hâte de reprendre la mer et de retrouver un calme aux grands bienfaits…
Ce matin à 7h00, aussi précis que la SNCF, je glisse sur l’eau. En montant dans le kayak, un grand crac se fait entendre. Ce craquement vient de mon dos qui en montant sur Immaqa, s’est remis en place. Mon beau kayak a beaucoup de vertus, mais en plus il est ostéo, incroyable ! Donc, le cœur léger, nous reprenons le cap à l’est qui est fortement chargé de glaçons. Cette nuit, une série d’explosions m’a aussi fait cogiter sur « l’état de la route » qui m’attendait. Est ce que Glaçon futé a donné des embouteillages ? C’était chargé mais jouable, il y a eu deux trois fois où nous avons serré les fesses pour n’avoir comme solution que de passer à proximité d’un colosse de glace prêt à péter et à tout emporter sur son passage. Le vent est quasiment nul, mais le courant est très fort, je ne peux dépasser les 3,5 km de moyenne tout en tirant comme un bœuf sur mes belles pagaies esquimaux. Au bout de 2 heures, une plage m’autorise un arrêt café, la mer est lisse, les glaçons eux, sont sur un tapis roulant qui va en sens inverse de notre route. Mes yeux s’enivrent d’une telle beauté, mes idées s’envolent mais un petit oiseau vient se poser devant moi à portée de prothèse. Il ne cesse de tourner la tête dans tous les sens, il me chante une belle mélodie et insiste sur le regard. Allez savoir ce qui s’est passé, mes yeux ont brulé, mes joues ont rosi, je me suis mis à pleurer comme un nouveau né, c’est grave docteur ? Après ce moment incroyable, une petite brise me rafraichit le visage, chouette, les 8° du matin commençaient à être un peu trop chauds.
Le passage est difficile à trouver. Derrière votre écran, si ma balise émet bien, vous avez dû voir mes virements de bord. Pour me donner du courage, j’essaie de compter les durées des rafales d’est qui se font plus fréquentes et plus soutenues. Au bout de 3h de route, je comprends que ce vent va se maintenir en se renforçant peut-être… Mais je ne me suis pas trompé, il augmente, il prend de la force et les vagues doucement arrivent… 4h je ne peux pas y croire, hier sur ce satané écran maudit que l’on appelle internet, la météo donnait vent d’est 3nds maxi 6nds, on est déjà à 15nds ! Mais je suis têtu, alors je continue, je baisse la tête, la route est longue, il me faut juste tenir le rythme. 5h que nous sommes partis, le vent est à 20 nds, mon kayak est minuscule, les vagues balaient le pont avant.Tout est rangé, calé, ma jupe contrôlée une énième fois, l’état de guerre approche, le combat pacifique est déclaré. Difficilement, j’allume mon GPS, les quelques secondes qui me font lâcher les pagaies me font partir en travers et là cela devient dangereux. Je suis à 2km/h, la côte est à seulement 5km, pourquoi lâcher ? Revenir en arrière voudrait dire repasser en plein milieu des icebergs qui avec ce vent et ces vagues sont en acte de « plastiquage » imminent, il me faut avancer coûte que coûte. Ce n’est pas la première fois que je me retrouve dans cette situation, la seule chose qui change c’est que là j’ai de vilains icebergs à gérer en plus. Au bout de la 6ème heure, enfin je suis sous le vent, je n’en crois pas mes yeux, j’y suis arrivé. Tout y est passé : mon accident et ces fameux 10 jours de lutte pour être rapatrié en France, les doux sourires de ma belle allemande, les stagiaires Bout de vie, les amis, les vrais ceux
qui sont dans mon cœur, les coups durs aussi passent par là, les réussites aussi, toi aussi tu es venu l’inconnu derrière ton écran, si, si, j’ai essayé de t’imaginer ! Hier, j’ai lu vos commentaires sur l’ordi de la commune, vous ne pouvez savoir comme cela me touche, cela me fait prendre conscience du message de ce voyage. Alors oui, je me suis accroché aux pagaies, avancer c’est vivre, reculer c’est mourir, alors vivons jusqu’au bout des pagaies. Tant qu’il y aura des horizons, il y a aura des vents contraires à affronter. Sentir les rafales sur son visage, cela veut dire que l’on est encore vivant, avoir mal aux muscles c’est le privilège de la vie, ce n’est pas l’esprit qui souffre, juste un peu d’acide lactique qui engorge les muscles, alors donnons assez d’amour pour avancer et la côte de nos solutions sera atteinte… Au bout de la 8ème heure, un coin super abrité de la mer, nous a accueilli. Seulement 23 km effectués, mais cela a une saveur de victoire teintée de partage. Si nous y sommes arrivés, je vous le dois. Merci du fond du cœur.
Mais posé sur la berge, ce n’est pas un palace qui nous attend et ce soir, ce n’est pas du beau sable blanc qui nous accueille mais de gros cailloux glissants. Il m’aura fallu plus d’une demi-heure pour sortir Immaqa de la zone de marnage, un autre travail de gladiateur… La tente montée en plein vent pour s’assurer que les moustiques ne se casseront pas le dard sur mes avant bras tétanisés, l’état de la cambuse fait plaisir à l’équipe. Assis sur un caillou face à l’ouest, je déguste une pomme voyageuse en savourant le parcours du jour. Là bas, Saqqaq et des glaçons et des moutons à perte de vue.
En revenant à l’abri de la tente, un bon chocolat chaud et 3 cookies me remettent les idées en place. Mon dos ce soir semble totalement remis, le coin est paisible. Demain il fera jour pour prendre la décision du plan de route.
A pluche
Bonsoir Frank. Encore une longue journée de passée à lutter contre les éléments. Bon bivouac de récup. Bravo pour ta ténacité. MERCI pour ton message de vie.
Excellent 🙂
Quel plaisir d’avoir des news de notre aventurier ! Encore bravo pour cette expédition. Nous comptons aussi acquérir un nautiraid out une future expédition. Pourquoi pas avec Bout de Vie.
Profitez bien de ces instants magiques.
Karim
http://www.larando.org
Trop fort franck … Et quel poète narrateur un régal à te lire … t es un warrior je t embrasse
Bravo, Bravo, Bravo, vous nous faites voyager et rêver, merciiiiiîiiiiî
Quel beau récit et quelle belle aventure, que du bonheur de te lire . C est quoi l adresse de ton osthéo ? @+
comme tous je me régale en te lisant…respect Frank .