Je m’étais solidifié avec tous mes collègues, mais le congestus cumulus ne nous supportait plus, trop petit, trop froid, trop encombrant. Il nous larguait en plein ciel, pas le temps de se dire adieu, pas d’accolade réconfortante, même pas d’itinéraire en poche, nous étions au cœur de l’orage. Entre vous et moi je me demande si nous n’en étions pas la cause. Je plane, je vois la terre sur 360°, que c’est beau, c’est enivrant, je suis devenu éternelle… Une grosse masse noire vient briser mon rêve et sur elle, j’atterris un peu en vrac. Des copines par milliers me rejoignent mais ce n’était pas le temps aux causeries, la foudre fait vibrer la montagne, nous devons fuir, un seul moyen se faufiler dans la terre. C’est lugubre et le noir me fait un peu peur, je ne suis pas une enfant des ténèbres pour mériter cela, mais je sais que tout a une fin alors je continue de me tailler la route dans ces failles infinies. Soudain un grand froid me saisi, un grand vide, je m’accroche comme je peux, mais je glisse sur une sorte de glace géante. Tic, tic, je m’envole de nouveau pour retrouver une autre glace, certains les appellent stalactites et stalagmites. Dans un toboggan luisant je rejoins une mare, mais je me sens aspirée, je ne tente plus rien je sais que c’est mon destin. Dans un entonnoir je suis avalée, ça se rétréci, l’effet venturi nous compresse, soudain la lumière, j’explose en vol je suis une cascade. Mon lit s’offre à moi, il se nomme ruisseau, je peux enfin contempler les environs, la forêt paraît aussi tourmentée que le chemin que je parcours. Des milliers de copines nous rejoignent du ciel, l’union fait la force et surtout la rivière. Une équipe courageuse fait s’ébrouer le maître des lieux, le grizzli. De si petites gouttes qui font tressaillir l’ursus arctos horribilis, comme quoi, la taille n’y est pour rien ! Nous ne sommes plus de simples gouttelettes, nous sommes une armée invincible, mais nous avançons sans connaître notre destin, sans savoir comment sera fait demain. Entre vous et moi demain je m’en moque, je ne suis qu’une goutte d’eau. Nous sommes un fleuve gigantesque, nous mangeons les berges, les arbres tombent, les villages sont emportés. Que de force, que d’énergie et dire que certains ne nous voyaient même pas. Le courant perd de sa force, le serpent boueux s’élargit, des copines se perdent dans des méandres funestes, je ne les reverrais jamais plus. Je suis mon destin de goutte d’eau. Sur le fond sableux, je découvre des pauvres poissons remonter le courant pour mourir, mais quel injustice, quel suicide. Je fonce sur l’un d’eux, je m’infiltre dans ses ouïes, il me pique quelques bulles d’oxygène et me recrache pour poursuivre sa macabre croisade . Je suis toute secouée, il n’a pris le temps de s’arrêter, de me causer, de me sourire et je vous jure ce n’étais pas un humain. Au loin un barrage, des turbines, je vais mourir, je vais être laminée. Dans une grande roue sans ticket j’accomplis le grand tour pour me retrouver expulsée comme un pépin de cerise ! Là bas au loin, apparait l’horizon, le fleuve devient salé, mais c’est que ça me pique les yeux, je suis devenue océan. Enfin tranquille pensez- vous, mais non le courant m’envoute et je me range à ses cotés. Un grand voyage autour du monde sans escale. Le temps n’existe pas puisque je suis éternelle. Du Pacifique à l’Indien, de l’Atlantique à la Méditerranée je fais mon bout de vie. Un puis un rétrécissement, un détroit, celui où Homère a inventé la légende d’Ulysse et du Cyclope. Un drôle de village accroché sur une falaise blanche de calcaire, m’interpelle, un peu plus loin des îles. Je suis curieuse, comme toutes les gouttes d’eau, je m’aventure dans une crique, j’y vois un drôle d’homme qui a le visage couvert de mes amies, les larmes. Je me pose, je l’observe, je le contemple, il pleure. De tristesse ? Non, je ne crois pas ! Il cause aux cailloux, interpelle les oiseaux, répond aux poissons. Flûte, il m’a repérée, me prend dans sa paume, me dit que je suis belle, je ne peux rougir car je suis une goutte d’eau, le soleil me chauffe, m’allège, oups !!! je m’envole et dire que je me croyais éternelle…
Promis si un jour je grandis je veux être une goutte d’eau…
C’est magnifique. Tu es un vrai poète. Merci de nous le faire partager.
J’adore 🙂
Un aventurier-poète… très beau texte Frank.
j’en redemande des textes comme celui là.
C’est très beau, merci!
Moi j’aimerais juste être loin d’ici … et pouvoir être légère comme les nuages ou comme le vent qui souffle dans les sapins … Merci Franck de nous mettre du baume au coeur … Bisou à pluche 😉